Par Tess McClure, Peter Beaumont et Luke Harding (Lviv)
Les responsables ukrainiens ont déclaré que Kiev était «prête à se battre» alors que les forces russes ont repris leurs bombardements sur la capitale et que les observateurs ont mis en garde contre une «tragédie inimaginable» après plus de deux semaines de guerre.
Samedi matin 12 mars, les sirènes des raids aériens et les bombardements ont retenti au-dessus de Kiev et d’autres grandes villes ukrainiennes, alors que les responsables occidentaux de la défense avertissaient que les Russes commençaient à gagner du terrain autour de la capitale.
De fortes explosions ont été signalées samedi à Dnipro, dans l’est du pays, ainsi qu’à Mykolaiv, Nikolaev et Kropyvnytskyi.
Mais le conseiller présidentiel ukrainien Mykhailo Podolyak a déclaré que la capitale était «prête à se battre». Il l’a qualifiée de «ville assiégée», avec des postes de contrôle préparés et des lignes d’approvisionnement en place. «Kiev tiendra jusqu’à la fin.»
Samedi, des images satellite de Maxar Technologies ont montré des maisons et des bâtiments en feu et des bataillons d’artillerie russes semblant tirer sur les villes environnantes au nord-ouest de la capitale ukrainienne, alors que les forces avancent. Le Guardian n’a pas vérifié ces images de manière indépendante.
Un haut responsable de la défense des Etats-Unis a déclaré lors d’un briefing du Pentagone vendredi: «Nous estimons que les Russes commencent à progresser sur le terrain en direction de Kiev, en particulier depuis l’est.»
Le ministère britannique de la Défense a déclaré samedi matin que «le gros des forces terrestres russes» se trouvait à environ 25 km du centre de Kiev, tandis que les villes de Kharkiv, Tchernihiv, Soumy et Marioupol restent encerclées et continuent de subir de lourds bombardements.
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Toutefois, l’Institute for the Study of War, un groupe de réflexion étatsunien, a déclaré que les opérations russes autour de Kiev «sont restées largement bloquées au cours des dernières 24 heures» pour «réapprovisionner et rééquiper les unités de la ligne de front» – une évaluation partagée par le conseiller présidentiel ukrainien Oleksiy Arestovych, qui a déclaré vendredi 11 mars que l’avancée russe avait été stoppée au cours de la dernière journée.
Volodymyr Zelensky a appelé les Ukrainiens à poursuivre le combat, mais a déclaré que les conditions de vie dans la région de Kiev s’étaient détériorées jusqu’à devenir une «catastrophe humanitaire», avec des coupures de gaz, de chauffage et d’eau. Le président ukrainien a déclaré que son pays avait atteint un «tournant stratégique» dans le conflit. «Il est impossible de dire combien de jours nous avons encore [devant nous] pour libérer la terre ukrainienne. Mais nous pouvons dire que nous le ferons», a-t-il déclaré. «Nous nous dirigeons déjà vers notre objectif, notre victoire.»
Environ deux millions de personnes – la moitié de la population de l’agglomération – ont quitté la capitale, a indiqué vendredi le maire de Kiev, Vitali Klitschko, et ceux qui restent continuent de se préparer à sa défense. «Chaque rue, chaque maison est en train d’être fortifiée», a-t-il déclaré. «Même les gens qui, dans leur vie, n’ont jamais eu l’intention de changer d’habits, sont maintenant en uniforme avec des fusils à la main.»
Les soldats ukrainiens ont décrit des combats acharnés pour le contrôle de la principale autoroute menant à la capitale, tandis que des frappes de missiles ont été signalées juste à l’extérieur des limites de la ville de Kiev vendredi.
«C’est effrayant, mais que peut-on faire?», a déclaré Vasil Popov, un homme de 38 ans qui travaille dans le marketing. «Il n’y a pas vraiment d’endroit où courir ou se cacher. Nous vivons ici.»
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La Russie a redéployé des unités près de Kiev et a attaqué de nouveaux objectifs vendredi 11 mars
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La poursuite des bombardements et des attaques russes contre les civils dans les villes d’Ukraine a suscité des mises en garde contre une «tragédie inimaginable» et une multitude mises en garde de l’ONU, qui estime que la Russie commet des crimes de guerre.
«Nous nous dirigeons vraiment vers une tragédie inimaginable», a déclaré Stephen Cornish de Médecins sans frontières à l’Agence France-Presse, insistant sur le fait qu’«il est encore temps de l’éviter, et nous devons tout envisager pour l’éviter».
Des centaines de milliers de civils restent pris au piège et sous le feu des tirs dans les villes ukrainiennes, mais la situation à Marioupol est particulièrement désastreuse. Dix jours après le début du siège russe, la population n’a pas accès à l’électricité ni aux réseaux de téléphonie mobile, et l’eau et la nourriture viennent à manquer. Vendredi, 7144 personnes ont été évacuées de quatre villes ukrainiennes, a déclaré Volodymyr Zelensky lors d’une allocution télévisée, soit un nombre bien inférieur à celui qui a réussi à partir au cours de chacun des deux jours précédents.
Volodymyr Zelensky a accusé la Russie de refuser de laisser sortir les gens de Marioupol et a déclaré que les institutions ukrainiennes tenteraient à nouveau d’y livrer de la nourriture et des médicaments, ce samedi.
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L’Ukraine s’est inquiétée à plusieurs reprises du fait que la Biélorussie, alliée de Moscou, qui a servi de point d’appui aux forces russes, verrait bientôt ses troupes participer à l’invasion. Le centre d’Etat ukrainien pour les communications stratégiques a déclaré que la Biélorussie pourrait lancer une invasion de l’Ukraine aujourd’hui, après une réunion à Moscou entre le président russe, Vladimir Poutine, et le dirigeant de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko. L’Ukraine a accusé la Russie de mettre en scène des attaques aériennes «sous faux pavillon» contre la Biélorussie depuis l’Ukraine afin de fournir une excuse pour une offensive.
Vladimir Poutine et Alexandre Loukachenko ont convenu vendredi que Moscou fournirait à son petit voisin des équipements militaires et un soutien mutuel contre les sanctions occidentales, notamment sur les prix de l’énergie, a indiqué l’agence de presse officielle de Biélorussie, BelTA.
Des combattants étrangers sont déjà entrés dans le conflit ukrainien des deux côtés, mais le Kremlin a intensifié ses efforts pour faire venir des renforts de Syrie. L’armée syrienne a commencé à recruter des troupes dans ses propres rangs pour combattre aux côtés des forces russes en Ukraine, promettant des paiements de 3000 dollars par mois – une somme jusqu’à 50 fois supérieure au salaire mensuel d’un soldat syrien. Zelensky, furieux, a accusé la Russie d’engager «des meurtriers de Syrie, un pays où tout a été détruit… comme ils le font ici avec nous».
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Alors que la guerre se poursuit, la Russie est confrontée à un réseau de sanctions de plus en plus ample. Les gouvernements occidentaux ont annoncé leur intention d’imposer des tarifs douaniers punitifs sur le commerce russe afin d’isoler davantage Moscou de l’économie mondiale. Le G7, groupe de nations riches, a déclaré qu’il retirerait à la Russie son statut de «nation la plus favorisée» en vertu des règles de l’Organisation mondiale du commerce. Le président Joe Biden a annoncé son intention d’interdire l’importation de produits de la mer, de vodka et de diamants en provenance de Russie. Le gouvernement britannique a déclaré qu’il envisageait d’interdire les exportations de produits de luxe vers la Russie.
La Deutsche Bank et Sony Pictures ont rejoint l’exode des entreprises occidentales de Russie. Dans un communiqué publié sur son site web, la Deutsche Bank a déclaré qu’elle était «en train de mettre fin à ses activités restantes en Russie» et qu’il n’y aurait «pas de nouvelles activités en Russie». La Russie a décidé de bloquer Instagram après que sa société mère, Meta [la firme dirigée par Mark Zuckerberg], a déclaré qu’elle autoriserait les appels à la violence contre Poutine et les soldats russes [selon Reuters] impliqués dans l’invasion de l’Ukraine à apparaître sur la plateforme de médias sociaux. Les procureurs russes ont demandé que l’accès à Instagram soit bloqué et les autorités ont décidé de reconnaître Meta comme une «organisation extrémiste».
Les Etats-Unis ont également imposé des sanctions à un groupe de l’élite russe, dont le milliardaire Viktor Vekselberg [1], trois membres de la famille du porte-parole de Poutine et des membres du parlement. (Article publié par The Guardian, le 12 mars 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Parmi ses investissements internationaux, Viktor Vekselberg était impliqué dans Sulzer, OC Oerlikon et Swiss Steel Group. Il réside à Zoug. Dès 2018, il a dû modifier ses liens avec diverses entreprises. Et se trouve sous l’effet des sanctions codécidées avec l’UE par le gouvernement helvétique. A tel point que Viktor Vekselberg a protesté contre PostFinance qui lui refusait ses services. (Réd. A l’Encontre)
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