«L’apartheid climatique». Un expert de l’ONU affirme que les droits de l’homme pourraient ne pas survivre

Par Damian Carrington

Le monde est de plus en plus menacé par l’«apartheid climatique», où les riches paient pour échapper à la chaleur et à la faim causées par l’escalade de la crise climatique alors que le reste du monde souffre, selon un rapport d’un expert en droits humains des Nations Unies.

Philip Alston, rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, a déclaré que les effets du réchauffement climatique risquent de porter atteinte non seulement aux droits fondamentaux à la vie, à l’eau, à l’alimentation et au logement de centaines de millions de personnes, mais aussi à la démocratie et à l’Etat de droit.

Alston critique les mesures «manifestement inadéquates» prises par l’ONU elle-même, les pays, les ONG et les entreprises, en disant qu’elles sont «totalement disproportionnées par rapport à l’urgence et à l’ampleur de la menace». Son rapport au Conseil des droits de l’homme de l’ONU conclut: «Les droits de l’homme pourraient ne pas survivre aux bouleversements à venir.»

Le rapport condamne également Donald Trump pour avoir «réduit au silence» la science climatique et critique le président brésilien, Jair Bolsonaro, pour avoir promis d’ouvrir la forêt amazonienne à l’exploitation minière. Mais M. Alston a ajouté qu’il y avait également eu des développements positifs, y compris des poursuites judiciaires contre des Etats et des entreprises de combustibles fossiles, l’activisme de Greta Thunberg et les grèves scolaires mondiales, ainsi que la mobilisation contre l’extinction des espèces.

En mai, le rapport d’Alston sur la pauvreté au Royaume-Uni comparait les politiques d’aide sociale du Parti conservateur à la création des workhouses du XIXe siècle [enfermement, dès 1834, des «indigents» dans ces maisons]. Les ministres ont déclaré que son rapport donnait une image totalement inexacte, mais Alston les a accusés de «nier totalement un ensemble de faits incontestés».

Le rapport d’Alston sur le changement climatique et la pauvreté sera officiellement présenté au Conseil des droits de l’homme à Genève, vendredi 28 juin. Il déclare que l’impact le plus brutal de la crise climatique frappera ceux qui vivent dans la pauvreté, beaucoup d’entre eux perdant l’accès à une nourriture et à de l’eau adéquates.

«Le changement climatique menace de réduire à néant les 50 dernières années de progrès en matière de développement, de santé mondiale et de réduction de la pauvreté», a déclaré M. Alston. Selon le rapport, les pays en développement supporteront environ 75% des coûts de la crise climatique, alors que la moitié la plus pauvre de la population mondiale n’est responsable que de 10% des émissions de dioxyde de carbone.

«Or, la démocratie et la primauté du droit, ainsi qu’un large éventail de droits civils et politiques, sont tout à fait menacés», selon le rapport Alston. «Le risque de mécontentement communautaire, d’inégalité croissante et de niveaux encore plus élevés de privation parmi certains groupes stimulera probablement des réponses nationalistes, xénophobes, racistes et autres. Maintenir une approche équilibrée des droits civils et politiques sera extrêmement complexe.»

Les effets de la crise climatique pourraient accroître les divisions, a dit M. Alston. Nous risquons un scénario d’«apartheid climatique» où les riches paient pour échapper à la surchauffe, à la faim et aux conflits alors que le reste du monde est laissé délaissé dans la souffrance», a-t-il affirmé.

«Lorsque l’ouragan Sandy a fait des ravages à New York en 2012, privant les New-Yorkais vulnérables et à faible revenu d’électricité et de soins de santé, le siège de Goldman Sachs a été protégé par des dizaines de milliers de ses propres sacs de sable et l’électricité produite par son générateur.»

Alston critique vivement tous ceux qui travaillent à la défense des droits de l’homme, y compris ses propres travaux antérieurs, pour ne pas avoir fait de la crise climatique une question centrale. Il a déclaré que la dernière résolution du Conseil des droits de l’homme sur la crise climatique ne reconnaissait pas «que la jouissance de tous les droits de l’homme par un grand nombre de personnes est gravement menacée», ou encore «la nécessité d’une profonde transformation sociale et économique, dont presque tous les observateurs reconnaissent l’urgence si l’on veut éviter une catastrophe climatique».

Les traités internationaux sur le climat ont été inefficaces, selon le rapport, et même l’accord de Paris de 2015 laisse encore le monde sur la voie d’un catastrophique réchauffement à hauteur de 3 degrés, sans autre action. «Les Etats ont dépassé tous les seuils et tous les avertissements scientifiques, et ce qui était autrefois considéré comme un réchauffement catastrophique semble aujourd’hui être le meilleur scénario», indique le rapport.

Le président américain est l’une des rares personnes nommées dans le rapport. «Il a placé d’anciens lobbyistes dans des rôles de surveillance, a adopté les positions régnant dans l’industrie, a présidé à un démantèlement agressif de la réglementation environnementale et s’emploie activement à réduire au silence et à obscurcir la science climatique.»

Toutefois, les changements qui s’imposent dans les sociétés et les économies pourraient être l’occasion d’améliorer la vie des pauvres, a dit M. Alston. «Cette crise devrait être un catalyseur pour que les Etats puissent réaliser les droits économiques et sociaux longtemps ignorés, y compris la sécurité sociale et l’accès à la nourriture, aux soins de santé, au logement et à un travail décent», selon le rapport.

Ashfaq Khalfan d’Amnesty International a déclaré: «Le changement climatique est un problème de droits de l’homme précisément en raison de son impact sur les gens. L’obligation première de protéger les personnes contre les atteintes aux droits humains incombe aux Etats. Un Etat qui ne prend aucune mesure réalisable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre viole ses obligations en matière de droits humains.»

Il a déclaré qu’Amnesty avait l’intention de cibler les gouvernements et les entreprises de combustibles fossiles. «Nous avons besoin que chacun soit à la hauteur de ses responsabilités pour agir sur le changement climatique et protéger les droits de l’homme», a-t-il déclaré. (Article publié dans The Guardian en date du 25 juin 2019; traduction A l’Encontre)

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