Par notre correspondant au Costa Rica
1.- Tout au long de l’histoire du pays, il n’y a jamais eu un tel effort de la part d’un gouvernement pour démanteler, avec une force meurtrière, le mouvement social comme sous le régime Ortega-Murillo. Heureusement, partout où vous regardez, vous pouvez voir un processus accéléré d’effondrement.
2.- Les messages avancés par les délégués du grand capital en direction de l’Alliance Civique (Coalition de l’opposition censée négocier avec Ortega-Murillo) s’articulent autour de cinq idées clés qui sont de plus en plus acceptées par les autres secteurs.
3.- La première proposition souligne l’idée qu’un accord avec le régime Ortega-Murillo permettra d’aller de l’avant. Ces représentants partent de l’hypothèse qu’il y a des contradictions entre la rue et la négociation, oubliant que le régime ne cédera jamais aux demandes verbales. Un pacte est envisagé, oubliant que les pactes ne durent pas longtemps et conduisent à une nouvelle crise de grande importance.
4.- La deuxième idée répandue réside dans la nécessité d’un accord plus large. Mais cet élargissement impliquerait d’ajouter tous les représentants des partis politiques satellisés [qui ne représentent pas une véritable opposition, «partis moustiques»]. En réalité, avec des personnages tels que Arnoldo Alemán, Byron Jerez, Carlos Canales, Mejía Ferreti, Mario Asensio Flores, Wilfredo Navarro, etc., Ortega-Murillo aurait plus d’alliés pour imposer ses exigences [1. Voir les fonctions des personnes citées en fin d’article].
5.- La troisième idée est que, s’il fut possible en 1990 de vaincre Ortega sur le plan électoral, cela pourrait se faire lors des élections avancées en 2020 ou en mars 2021. Ils promettent donc une sortie froide et indolore de ce régime, faisant silence sur les meurtres, les tortures et les disparus. Ortega ferait difficilement un pas de côté pour laisser la place à un président autre que lui-même ou un membre de sa famille, de peur de perdre le pouvoir ou de susciter d’éventuelles divisions au sein de ses partisans.
6.- La quatrième idée à laquelle les représentants des grandes entreprises réfléchissent est la «convergence au-delà des différences». La réconciliation est exaltée, sans passer en revue les crimes contre l’humanité commis par le régime. Fondamentalement, si Ortega accepte d’avancer la date des élections, ils veulent une sortie calme pour imposer une candidature favorable à leurs intérêts.
7.- Le cinquième message met l’accent sur la priorité de gagner les élections à tout prix et avec toutes sortes d’alliances, y compris avec les «partis moustiques». Nous ne pouvons exclure la possibilité que, lors d’élections anticipées, réapparaissent certains dirigeants des «partis moustiques». Ces derniers émergeront des couches supérieures du système politique traditionnel. La présence populaire sera décisive dans tout scénario électoral.
8.- Entre-temps, le régime Ortega-Murillo a imposé la terreur par une vaste opération répressive, mais à aucun moment il n’a réussi à imposer une défaite stratégique à la rébellion sociale qui nécessite une consolidation de son orientation politique. Il n’y a pas de problème plus important pour le régime que celui de rester au pouvoir.
9.- L’économie ne peut être dupée. Tous les symptômes d’une crise sont déjà présents. Bien que l’inflation n’ait pas atteint des niveaux explosifs, elle affecte déjà gravement la vie quotidienne des gens, provoquant des hausses de prix ou empêchant des baisses de prix, et détériorant ainsi progressivement les conditions de vie de la population.
10.- Dans le secteur militaire, à l’interne existent différentes appréciations. Cela ne signifie pas que les quelques dissidents de la ligne officielle soient prêts à critiquer ouvertement le régime s’ils ne sont pas sûrs de gagner une majorité interne claire. Ils finissent dès lors par agir ensemble, surtout lorsqu’il n’y a pas de leadership crédible; c’est pourquoi ils préfèrent l’obéissance militaire et le statu quo.
11.- La sanction (par le biais du Nica Act Law) contre le général Oscar Mojica [ministre des transports, responsable de la censure des médias, membre du conglomérat Albanisa réunissant des intérêts vénézuéliens et nicaraguayens le Venezuela et le Nicaragua] est un signal envoyé à l’armée. Jusqu’à présent, l’armée a joué le rôle de «complice neutre», mais je pense qu’elle doit réfléchir sérieusement à l’avenir de l’institution militaire. Presque tout le commandement supérieur est soumis à Ortega-Murillo par le biais de redevances et de postes publics (postes importants dans l’Etat, dans les entreprises d’Etat et dans la famille présidentielle, ambassades confiées à des parents de militaires et prestations accordées à la totalité de l’officialité supérieure).
12.- Le régime Ortega-Murillo, pour sa part, estime qu’il est capable de repousser le moment de sa chute finale. Il peut l’éloigner, rien de plus. Le régime a rompu la plupart de ses liens traditionnels et, dès lors, il manœuvre entre les pouvoirs de fait.
13.- Le régime maintient le principe de l’infaillibilité de la direction politique d’Ortega-Murillo, complément nécessaire de l’Etat dictatorial militarisé.
14.- Le régime Ortega-Murillo semble se diriger vers une période de tempête d’une ampleur imprévisible. Ce qui apparaissait insolite auparavant devient l’ordinaire, mais se fait de plus en plus menaçant.
15.- Le régime Ortega-Murillo dépend de la répression pour poursuivre ses plans et tout indique qu’il ne changera pas de cap. Il continuera à jeter en prison ceux qui protestent, à persécuter ceux qui manifestent dans la rue, et cela maintiendra la question des «prisonniers politiques» sur la table, même si elle est considérée «fermée» en juin 2019. (San José/Costa Rica, 22 juin 2019; traduction A l’Encontre)
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[1] Arnoldo Alemán. Chef du Parti libéral constitutionnaliste (droite). En 1999, il a conclu avec Ortega un pacte politique en vertu duquel l’obstacle électoral à l’accession à la présidence a été ramené de 50% plus un à 35%.
Byron Jerez. Il a été élu député par un parti appelé APRE (Alliance pour la République) avec cinq voix. Tous ces votes ont été inventés. Ce parti n’est même pas voté par ses proches. Dans le passé, il a été condamné pour corruption et gracié par Ortega.
Carlos Canales. Principal dirigeant du parti APRE.
Alejando Mejía Ferreti. Chef d’un autre parti appelé PLI (Parti libéral indépendant).
Mario Asensio Flores, du parti marginal PLI.
Wilfredo Navarro. Il est le transfuge par excellence. Il appartenait au parti somoziste, puis il a été ministre du gouvernement Alemán, opposition d’extrême droite à Ortega et il est maintenant le serviteur d’Ortega. Il a été élu député sur la liste du FSLN lors des deux dernières élections.
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