Par Charles-André Udry
et Karl Grünberg
L’Appel de l’Assemblée des assemblées vient de sortir. Nous y étions présents. Mais un problème surgit: les militants politisés, en se rapprochant depuis un certain temps des gilets jaunes – ce qui est très bien –, étaient près de la moitié des délégué·e·s. Nous étions absolument pour cet appel et avons insisté pour qu’on le rédige. Mais il y a une difficulté: il faudra maintenant le défendre sur les ronds-points! Et c’est à cela qu’il faut s’atteler, le défendre sans l’asséner, le rendre vivant. Et formuler un «discours», une «narration» qui rendra le programme «assimilable» et «répercutable», pour que des Gilet Jaunes (GJ) puissent dire, sur des modes divers: «Ce programme dit ce que l’on pense, on va le faire rebondir avec nos paroles et “l’histoire” de nos vies et besoins, donc des droits que nous exigeons.» Autrement dit, il s’agit de créer une «transition» et non pas de proclamer le programme comme une proclamation qui en fait, pour desdits «trotskystes», un strict «modèle exemplaire» pouvant majorer politiquement – à partir d’un «exemple concret, cité 1000 fois » – leur vision du processus effectif de la mobilisation sociale actuelle.
Dans ma région du Nord – on la connaît – il y a plusieurs petites villes dans un rayon de 10 km, 5 ou 6 fois 2000 à 8000 habitants. Le rond-point de Sainte-Marie – cela ne s’invente pas! – est le site qui réunit tous les «petits ronds-points» montés sur des endroits pas intéressants. Ils se regroupent là. Il y a aussi un péage plus loin, mais trop décentré, pour y faire autre chose que des actions.
Ce rond-point de Sainte-Marie – qui ne prie pas pour eux – réunit depuis deux mois environ 200 qui viennent épisodiquement, c’est «une famille» comme «ils disent» Un «staff» s’est formé, avec des porte-parole. Il n’y a jamais d’Assemblée générale effective. La demande a été formulée, mais la réponse – ou l’excuse? – est la suivante: «on est jamais les mêmes, sauf le staff, plus ou moins», «c’est trop difficile», donc des porte-parole sont nécessaires; des porte-parole de qui ou pour qui?
Et en partie, les excuses, sont vraies: «il n’y a jamais les mêmes». Mais ce manque d’Assemblée générale – même changeante comme toutes les AG d’un mouvement – ne peut que discréditer une décision. Elle est prise par qui? Pourquoi ce porte-parole résume «ce qu’il pense»?
Néanmoins, la majorité des présent·e·s ne comprend pas qu’un fonctionnement plus concrètement collectif – et pas familial qui a ses hiérarchies spécifiques, formatées dans ce type de collectif qu’est la famille, même élargie, selon les lieu et période historiques – les protège d’une partie des vices de l’autorité. Ce d’autant plus face à la contre-offensive de Macron et des opérations politiciennes dans la perspective des élections européennes; sans même mentionner l’effet politique boomerang d’un résultat qui placerait le Rassemblement national au premier rang et stimulera une lecture cul par-dessus tête – à coups d’assommoir médiatique – du mouvement de GJ.
Et un nombre certain de participant·e·s différents selon les régions et les ronds-points, entre autres dans le Nord – mais pas seulement c’est aussi le cas dans une région comme celle de Bourg-en-Bresse ou Bellegarde –, sont meurtris socio-psychologiquement, suite à «une vie de surnuméraires» comme l’écrivait Marx dans Le Capital, «chronologiquement» avant Robert Castel dans La Métamorphose. Cela ne facilite pas la confiance «de l’atelier» du petit rond-point et cela nourrit l’attente d’un rendez-vous familial, avec la reproduction des règles, des habitus et des conflits, etc. Mais, simultanément, le rassemblement produit un «collectif» le un «lieu de vie partagé» – momentané, chaleureux. Il fonctionne contre la galère de tous les jours. Et souvent, les «membres du staff» sont soit des «surnuméraires» (RSA, par exemple), soit des petits artisans à la retraire ou des petits commerçants qui ont dû fermer, car la désertification socio-géographique et les supermarchés ont joué leur rôle respectif. D’où des tonalités fort différentes parmi les «porte-parole» et la différence de présence les jours de semaine que le rassemblement du week-end. Cela relève de la logique physiologique d’un tel mouvement «venu d’ailleurs». En fait, composé de cette population non représentée, mais vraiment d’ici, donc de cette France tailladée et élaguée, suite à 25 ans de politiques néolibérales et conjointement néoconservatrices.
Un exemple sur les implications du «fonctionnement». Dans le Nord, nous ne sommes pas encore parvenus à convaincre les participant·e·s de fixer une heure, la même, hebdomadairement. Le «staff», comme dans une «famille» peut exclure, censurer une prise de parole, etc.
Par contre, là où ça fonctionne, les décisions sont prises collectivement, par ceux et celle qui sont là. Et «là où ça fonctionne» a surgi – nous avons pu le constater dans des régions fort diverses – une culture de la délibération et de la libération qu’expriment ceux et celles qui se trouvent dans des «coins» où on discute, où «on refait le monde».
Par contre, là où s’impose la hiérarchie indiquée ci-dessus, de facto, le collectif tend à ne pas avoir de vie réflexive car la délibération est marginalisée et donc l’appropriation majoritaire de la parole.
Il faut saisir, certes, le développement inégal, régional et local. Mais se renforce le besoin de débattre, ne serait-ce que sous la contrainte du «grand débat national»; de l’initiative des «foulards rouges» – pro-macron pour l’essentiel des 10’000 mobilisés, selon les chiffres de la police; de la répression très brutale; des changements de loi en cours de débat, changements anticipés dans la pratique par Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur. Ainsi, le droit de fouiller avant une manifestation ne relève plus du judiciaire, mais du préfet, donc des ordres donnés par Castaner et Macron, ce qui est en rupture avec la loi de 1970. Il s’agit d’un mouvement social important, et non pas d’un groupuscule de fanas qui vont casser lors d’un match du PSG. Et eux sont simplement interdits d’assister au match. Rien d’identique.
Et le débat s’impose aussi en relation avec la mise en place des fichiers par une relance des RG (ce ne sont pas des «terroristes») et les manipulations conjointe de LREM (le «en ordre de marche» de Macron). Nous reviendrons sur le rôle des femmes dans cette mobilisation. (28 janvier 2019)
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Appel de la première «Assemblée des assemblées»
des Gilets Jaunes
Nous, Gilets Jaunes des ronds-points, des parkings, des places, des assemblées, des manifs, nous sommes réunis ces 26 et 27 janvier 2019 en « Assemblée des assemblées », réunissant une centaine de délégations, répondant à l’appel des Gilets Jaunes de Commercy.
Depuis le 17 novembre, du plus petit village, du monde rural à la plus grande ville, nous nous sommes soulevés contre cette société profondément violente, injuste et insupportable. Nous ne nous laisserons plus faire ! Nous nous révoltons contre la vie chère, la précarité et la misère. Nous voulons, pour nos proches, nos familles et nos enfants, vivre dans la dignité. 26 milliardaires possèdent autant que la moitié de l’humanité, c’est inacceptable. Partageons la richesse et pas la misère ! Finissons-en avec les inégalités sociales ! Nous exigeons l’augmentation immédiate des salaires, des minima sociaux, des allocations et des pensions, le droit inconditionnel au logement et à la santé, à l’éducation, des services publics gratuits et pour tous.
C’est pour tous ces droits que nous occupons quotidiennement des ronds-points, que nous organisons des actions, des manifestations et que nous débattons partout. Avec nos gilets jaunes, nous reprenons la parole, nous qui ne l’avons jamais.
Et quelle est la réponse du gouvernement ? La répression, le mépris, le dénigrement. Des morts et des milliers de blessés, l’utilisation massive d’armes par tirs tendus qui mutilent, éborgnent, blessent et traumatisent. Plus de 1000 personnes ont été arbitrairement condamnées et emprisonnées. Et maintenant la nouvelle loi dite « anti-casseur » vise tout simplement à nous empêcher de manifester. Nous condamnons toutes les violences contre les manifestants qu’elles viennent des forces de l’ordre ou des groupuscules violents. Rien de tout cela ne nous arrêtera ! Manifester est un droit fondamental. Fin de l’impunité pour les forces de l’ordre ! Amnistie pour toutes les victimes de la répression !
Et quelle entourloupe que ce grand débat national qui est en fait une campagne de communication du gouvernement, qui instrumentalise nos volontés de débattre et décider ! La vraie démocratie, nous la pratiquons dans nos assemblées, sur nos ronds-points, elle n’est ni sur les plateaux télé ni dans les pseudos tables rondes organisées par Macron.
Après nous avoir insultés et traités de moins que rien, voilà maintenant qu’il nous présente comme une foule haineuse fascisante et xénophobe. Mais nous, nous sommes tout le contraire : ni racistes, ni sexistes, ni homophobes, nous sommes fiers d’être ensemble avec nos différences pour construire une société solidaire.
Nous sommes forts de la diversité de nos discussions, en ce moment même des centaines d’assemblées élaborent et proposent leurs propres revendications. Elles touchent à la démocratie réelle, à la justice sociale et fiscale, aux conditions de travail, à la justice écologique et climatique, à la fin des discriminations. Parmi les revendications et propositions stratégiques les plus débattues, nous trouvons : l’éradication de la misère sous toutes ses formes, la transformation des institutions (RIC, constituante, fin des privilèges des élus…), la transition écologique (précarité énergétique, pollutions industrielles…), l’égalité et la prise en compte de toutes et tous quelle que soit sa nationalité (personnes en situation de handicap, égalité hommes-femmes, fin de l’abandon des quartiers populaires, du monde rural et des outre-mer…).
Nous, Gilets Jaunes, invitons chacun avec ses moyens, à sa mesure, à nous rejoindre. Nous appelons à poursuivre les actes (acte 12 contre les violences policières devant les commissariats, actes 13, 14…), à continuer les occupations des ronds-points et le blocage de l’économie, à construire une grève massive et reconductible à partir du 5 février. Nous appelons à former des comités sur les lieux de travail, d’études et partout ailleurs pour que cette grève puisse être construite à la base par les grévistes eux-mêmes. Prenons nos affaires en main ! Ne restez pas seuls, rejoignez-nous !
Organisons-nous de façon démocratique, autonome et indépendante ! Cette assemblée des assemblées est une étape importante qui nous permet de discuter de nos revendications et de nos moyens d’actions. Fédérons-nous pour transformer la société !
Nous proposons à l’ensemble des Gilets Jaunes de faire circuler cet appel. Si, en tant que groupe gilets jaunes, il vous convient, envoyez votre signature à Commercy (assembleedesassemblees@gmail.com). N’hésitez pas à discuter et formuler des propositions pour les prochaines « Assemblées des assemblées », que nous préparons d’ores et déjà.
Macron Démission ! Vive le pouvoir au peuple, pour le peuple et par le peuple.
Appel proposé par l’Assemblée des Assemblées de Commercy.
Il sera ensuite proposé pour adoption dans chacune des assemblées locales.
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Prendre connaissance de la compilation des propositions au moyen de ce lien:
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A écouter. Cliquez sur ce lien de France Culture, émission «Les pieds sur terre»
www.franceculture.fr
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À Rouen, Commercy et Epinal, trois histoires de gilets jaunes qui ne parlent (presque) pas de politique mais de rencontres, de solidarités, d’échanges; bref de lien social. Ou comment, en plus de ses revendications, ce mouvement rallume une flamme depuis longtemps éteinte pour certains.
Ce mouvement permet enfin d’être entendu. De pouvoir enfin s’exprimer.
Julien a vingt-sept ans. Il vit et travaille près de Rouen. Il a rejoint le mouvement des gilets jaunes dès le premier week-end. C’était la première fois qu’il participait à une manifestation. Chaque samedi, chaque dimanche et plusieurs soirs dans la semaine après le travail, il passe du temps sur les ronds-points où il raconte avoir enfin trouvé un endroit où s’exprimer, échanger, défendre ses valeurs et ses combats. Malheureusement, son engagement ne passe pas la porte de son bureau où le jeune homme craint de ne pas être compris par ses collègues.
Je viens d’une famille populaire et, dans ce mouvement, je retrouve la solidarité que l’on pouvait avoir entre nous.
Même si je suis fier de ce que je fais tous les week-end, s’afficher gilet jaune dans le monde de l’entreprise n’est pas toujours simple. Mon manager les appelle « grilleurs de saucisses ».
Elisabeth a soixante-six ans. Mariée pendant vingt-huit ans à un militaire, elle a dû attendre le divorce pour pouvoir travailler et s’engager dans la vie locale. Pour elle, le groupe des gilets constitue la famille d’amis et de citoyens dont elle a toujours rêvé. Habituée à s’occuper de son père âgé, de sa sœur handicapée et de sa fille malade, elle y retrouve une énergie et une solidarité qui lui avaient manquées.
Je me sentais un petit peu isolée et là le fait que le petit jeune me tutoie, parce que je suis “gilets jaunes”, ça donne de la vigueur. On retrouve un peu de dignité.
Parfois j’oublie d’enlever mon gilet pour aller à la pharmacie ou en ville… J’y pense pas, ça fait partie de ma tenue.
Karine a vingt-trois ans et vit à Epinal. Petite, elle était connue comme celle qui n’avait pas sa langue dans sa poche. Lorsque le mouvement commence, après un an de petits boulots et d’économies, elle abandonne son projet de road trip et décide de rallier le rond-point de Golbey. Elle y reste jours et nuits et fait la connaissance de Dylan. C’est le coup de foudre et leur rencontre défraie la chronique des journaux locaux : le 24 décembre, tous les deux se fiancent sur leur rond-point, en jaune.
Notre premier baiser, c’était le jour où les CRS sont arrivés sur le rond-point.
Il m’a dit : “Chiche, je t’épouse !”
- Reportage : Alice Babin
- Réalisation : Yaël Mandelbaum
Merci à Karine, Dylan, Elisabeth, les gilets jaunes de Commercy, Julien et PH.
Musique : “Make Me Down A Pallet On Your Floor” par Piers Faccini et Blick Bassy – Album : “Mother Time” (2017).
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