Par Rochelle Davis
Nous publions ci-dessous un article qui informe sur l’ampleur des mouvements de réfugié·e·s, externes et internes, et sur leur situation plus que précaire à l’arrivée de l’hiver. L’analyse sous-jacente de l’affrontement en cours dans cet article nous apparaît moins importante que les informations précises sur la situation des réfugié·e·s.
En outre, il est certain que les interventions régionales et internationales – entre autres les nouvelles initiatives des Etats-Unis, de la France en lien avec le Qatar et l’Arabie saoudite – peuvent faire «oublier» à certains les causes profondes expliquant le soulèvement populaire en Syrie. Sa persistance extraordinaire est en elle-même un indicateur décisif de ses causes structurelles: économiques, sociales, politiques et anti-dictatoriales.
La mise entre parenthèses de ces facteurs causals permet à certains d’éviter une évidence «géopolitique»: la crise extrême du régime Assad – si longtemps soutenu ou fort bien toléré par des puissances régionales et internationales – ne peut que susciter des initiatives diplomatiques et des soutiens qui ont pour but de tenter de contrôler l’issue politique et institutionnelle de ce «conflit».
Un «conflit» qui non seulement étant donné les formes multiples de la domination dictatoriale, mais aussi les modalités de «sa guerre actuelle» – afin de tenter de perpétuer le pouvoir du clan Assad – ne peut que conduire à des «règlements de compte» de la part de certains groupes combattants. Ce qui a été analysé et dénoncé par des segments importants de ceux qui luttent contre le régime. Nous y reviendrons. Mais ces considérations ne peuvent dévier l’analyse de ce qui est à la source de cette insurrection et qui le reste.
Pour l’heure, on assiste, début novembre 2012, à des attaques par l’aviation – et non pas par des hélicoptères – de quartiers de Damas.
Ainsi, RFI soulignait, le 1er novembre 2012, à propos des attaques menées par l’aviation sur Damas: «Le régime syrien mise tout sur son aviation, il sait que les rebelles n’ont aucun moyen de se défendre contre la force de frappe des avions. Et visiblement, les civils ne sont pas pris en considération, ce sont de simples dommages collatéraux. L’essentiel est d’éradiquer les insurgés qui gagnent de plus en plus de terrain.»
Le 4 novembre 2012, c’est l’un des plus grands champs pétroliers de la province de Deir Ezzor qui est tombé entre les mains des rebelles, après plusieurs jours de siège. L’Armée syrienne libre (ASL), selon divers communiqués, aurait pu récupérer ce dont elle manque: du matériel, entre autres des munitions, des véhicules blindés et un char. Un manque de matériel qui révèle les traits sélectifs du soutien donné à l’ASL. Plus exactement, à des groupes choisis de cette «force» qui est loin de former une structure unifiée, comme pourrait le laisser croire son acronyme. (Rédaction A l’Encontre)
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Selon les dernières statistiques tenues par le HCR [Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés] plus de 300’000 réfugié·e·s ont fui à travers les frontières syriennes vers la Turquie, la Jordanie et le Liban. Ce chiffre ne tient compte que ceux qui ont été enregistrés par l’ONU ou qui sont en attente de l’être. L’ONU estime également que un à un million et demi de personnes sont des «déplacés» intérieurs à la Syrie. Cela signifie donc, si ce chiffre est correct, que près de 10% de la population du pays (qui compte 22 millions d’habitant·e·s) ne vivent plus dans leurs domiciles. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a, à l’intérieur de la Syrie, augmenté à la mi-septembre ses objectifs de rations alimentaires de 850’000 à 1,5 million de personnes pour l’ensemble des quatorze gouvernorats. Selon le Bureau pour la coordination des questions humanitaires de l’ONU (OCHA), le gouvernement syrien a permis à huit ONG internationales de venir en assistance à ceux qui sont «atteints par le conflit.» Le Croissant rouge syrien (SARC) et ses milliers de volontaires ont été des partenaires indispensables en assistant les nécessiteux et en distribuant les aides.
Alors que la guerre civile syrienne s’éternise, des combats violents se poursuivent entre l’Armée Syrienne Libre (basée en Turquie et soutenue, entre autres, financièrement et logistiquement par le Qatar, l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis) et le régime syrien dirigé par Bachar el-Assad (soutenu financièrement et logistiquement par la Russie et l’Iran). Au cours de cette guerre, la population non-combattante doit se contenter de vivre avec une peur intense et avec le danger. L’OCHA de l’ONU affirme que les «civils – les hommes, les femmes et les enfants ordinaires – supportent les frais de la violence.» Les mortiers tirent sur les villages et les quartiers urbains atteignant souvent les maisons, les bâtiments locatifs et les magasins. Les avions de combats du régime et les hélicoptères lâchent des bombes. Depuis août, en outre, on enregistre une augmentation des exécutions sommaires, des meurtres ciblés ainsi que la disparition d’individus et de familles entières. Dans de nombreux cas, les responsables de ces actes ne sont pas clairement identifiés ou ne les ont pas revendiqués, qu’il s’agisse des voyous mandatés par l’Etat (les chabihas) ou de groupes militants. Les personnes qui marchent ou conduisent près de leurs localités ou villes sont aussi les victimes des tirs de snipers et de la violence perpétrée aux points de contrôle.
Le nombre de personnes tuées au cours d’une insurrection qui dure depuis 18 mois atteint, à ce jour, plus de 23’000 personnes auquel il faut ajouter des dizaines de milliers de personnes blessées et luttant pour trouver des soins médicaux dans les zones assiégées. Aussi bien comme punition des zones rebelles qu’en raison des difficultés à maintenir les services publics, l’Etat continue de couper l’électricité et la fourniture en eau. Les durs combats à Alep et dans la périphérie de Damas au cours du mois de septembre, ainsi que le blocage des routes et d’autres facteurs ont empêché certains de fuir vers des régions plus stables. Au regard de l’étendue des destructions – autant des maisons que du commerce – il ne fait aucun doute que nombreux sont ceux qui choisiront, ou seront contraints de le faire, de fuir pour leur sécurité.
Des responsables des Nations Unies estiment que le nombre de réfugié·e·s devrait atteindre 710’000 d’ici la fin de l’année. L’ONU a, par conséquent, publié une deuxième révision du Syria Regional Response Plan Appeal (couvrant la période de mars à décembre 2012) pour 487 millions de dollars afin de fournir une assistance humanitaire, en particulier pour le nombre croissant de réfugiés vulnérables et des communautés hôtes alors que l’hiver approche.
En date du 27 septembre, cet Appel a reçu 141,5 millions de dollars. La Turquie et la Jordanie accueillent le plus grand nombre de réfugié·e·s, avec l’Irak et le Liban qui suit immédiatement derrière. La Turquie a, toutefois, récemment fermé ou restreint l’accès d’un nombre important de ces points de passage le long de sa frontière de 878 kilomètres avec la Syrie. Les conditions de vie dans le camp jordanien de Zaatari sont, en outre, misérables. L’Irak a également fermé ou mis en place des restrictions d’entrée à l’un de ces points de passage frontalier. Malgré ces cas, la majorité de ceux qui fuient la Syrie a trouvé des zones de sécurité et d’aide dans les pays alentours.
Le gouvernement turc a fermé, fin août et début septembre, la frontière à Bab al-Salameh dans la province de Kilis pour des raisons de sécurité ainsi qu’en prétendant qu’il n’y avait pas de place pour l’hébergement de réfugié·e·s dans les environs. La Turquie autorise actuellement à 500 réfugié·e·s par jour à franchir ses frontières. Selon l’UNICEF, cette situation fait que 14’000 syriens sont massés à la frontière, attendant de la franchir. Les gardes frontière turcs ont autorisé que de l’aide soit envoyée à travers la frontière en Syrie pour ceux qui étaient piégés entre la frontière et les combats dans leurs villes et villages proches.
A la mi-octobre, l’Agence turque de gestion des catastrophes (AFAD) a indiqué qu’il y avait plus de 100’000 réfugié·e·s syriens en Turquie. La Turquie comprend 14 camps de réfugié·e·s, dont l’accès à l’intérieur et à l’extérieur est restreint, sur son territoire. Le gouvernement maintien un contrôle strict sur la fourniture de l’aide aux réfugié·e·s mais il a récemment demandé une assistance matérielle et financière, ce qui a incité l’ONU ainsi qu’un certain nombre d’Etats et organisations d’aide à faire un pas en avant.
La frontière nord de la Syrie a été, depuis août, le théâtre de combats violents entre les rebelles et le gouvernement syrien. Un obus syrien est tombé, le 3 octobre, sur la localité turque de Akcakale, juste à la frontière, tuant 5 personnes. La Turquie a répliqué en tirant au mortier. Le parlement turc a alors approuvé une disposition qui l’autorise, si nécessaire, à entreprendre, pour une période d’une année, des actions militaires en dehors de ses frontières.
Des mouvements dans les deux sens le long de certaines zones frontières ont également été rapportés. Ces rapports comprennent aussi bien les récits de personnes ayant besoins de soins médicaux qui franchissent la frontière en direction de la Turquie puis retournent vers leurs domiciles en Syrie, par contrainte ou par choix, que de combattants et d’autres personnes, ayant des membres de leurs familles de l’autre côté de la frontière, qui cherchent un moment de répit.
Le gouvernement turc tente également, depuis septembre, de déplacer des réfugié·e·s syriens vivant dans des localités vers des camps. Dans la région d’Antakya, de nombreux cas ont été rapportés de fonctionnaires se présentant à des appartements où vivent des Syriens et les menaçant de déportation [vers la Syrie] s’ils ne se rendent pas vers l’un des camps.
Au Liban, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés, les réfugié·e·s sont concentrés au nord (39% de la population réfugiée au Liban) et dans la vallée de la Bekaa (29%). Seuls 2% des réfugiés enregistrés le sont à Beyrouth. Dans le nord du Liban, les réfugié·e·s ont été recueillis par des familles hôtes libanaises éprouvant ainsi les ressources locales et communautaires. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), «les villages frontaliers libanais, tels que Kfartoum et Akroum, n’ont également plus la capacité d’héberger la population croissante de réfugié et les options de location sont rares.» La communauté humanitaire a décidé de reloger les familles qui vivent dans les écoles. Des constructions préfabriquées sont installées dans de nombreuses localités du Liban et des bâtiments inachevés sont arrangés afin de pouvoir loger des réfugié·e·s.
Les réfugié·e·s syriens entrent en Irak principalement dans deux zones: le Kurdistan irakien (Dahuk), qui héberge plus de 30’000 réfugié·e·s et le passage frontalier d’Al-Qa’im. Le gouvernement irakien n’a eu de cesse d’ouvrir et de fermer le passage d’Al-Qa’im ainsi que de restreindre l’entrée des hommes adultes (même avec familles). Dans le camp de Domiz, à Dahuk, qui rassemble plus de 19’000 personnes, le HCR et l’OIM a cessé de distribuer des repas chauds au profit de la distribution d’équipements de cuisine. Un nouveau camp, d’une capacité de 25’000 personnes, est en construction à al-Qa’im. Des espaces pour les enfants, pouvant en réunir 100, existent et les cas de sanitaires sont redirigés hors du camp, vers l’hôpital d’Al-Qa’im.
La situation en Syrie a également affecté les réfugié·e·s irakiens qui y cherchèrent un abri après l’invasion de 2003 de l’Irak par les Etats-Unis. Alors que les estimations de la population réfugiée irakienne en Syrie tournent autour d’un million, plus de 35’000 sont retournés en Irak au cours des derniers mois, principalement vers les provinces de Bagdad, d’Anbar ou de Diala.
Plus de la moitié des réfugié·e·s en Jordanie viennent de la province de Deraa, au sud de la Syrie. L’armée jordanienne continue d’aider les réfugiées à franchir la frontière en sécurité, y compris leur transport vers le camp de Zaatari. Cette action permet à la fois de protéger les réfugié·e·s des intempéries et des dangers frontaliers ainsi que d’assurer le suivi des réfugiés et leur confinement dans le camp.
Les pays d’accueil sont pleinement conscients de la situation critique des enfants et de leurs vies perturbées. Alors que cela a pris des années aux pays accueillant des réfugié·e·s irakiens pour leur permettre d’accéder aux écoles locales, les gouvernements du Liban, de la Jordanie et de la Turquie, assisté par l’ONU et d’autres organisations locales et internationales, se consacrent tous aux problèmes auxquels font face les enfants en âge de scolarité. Cela a été facilité par la concentration des réfugié·e·s syriens dans des camps et des zones spécifiques. Les bureaux locaux du Ministère de l’Education, en collaboration avec l’UNICEF et le HCR, ont établi à Dohuk, en Irak, une école d’été ainsi qu’un espace réservé aux enfants. Dans le camp jordanien de Zaatari, l’UNICEF a mis en place des «espaces temporaires d’apprentissage» qui emploient des instituteurs jordaniens qui enseignent le cursus jordanien en deux équipes devant plus de 2000 enfants. L’UNICEF a, en outre, bâti deux grandes places de jeu ainsi qu’un terrain de football pour les enfants plus âgés et les jeunes. Le ministère jordanien de l’Education a donné son accord à Ramtha pour faire fonctionner des écoles en deux équipes pour des enfants de réfugié·e·s vivant dans les communautés d’accueil.
Le début de l’année scolaire en Syrie représente un autre défi. Plus de 470 écoles à travers le pays ont été utilisées, selon l’UNOCHA, au cours de l’été comme abri pour les réfugié·e·s intérieurs. Ce nombre comprend 34 écoles à Damas et 137 autres dans les environs, selon le ministère syrien de l’administration locale. Il a été demandé aux réfugié·e·s, dans certains cas, de partir. Il n’est toutefois pas clair si des espaces alternatifs ont été mis à leur disposition. Les camps de réfugiés palestiniens en Syrie ont aussi été vus comme des lieux sûrs par ces déplacés. L’UNRWA [l’agence des Nations Unies en charge des camps palestiniens] a indiqué en août que ses écoles hébergeaient 11’000 réfugié·e·s et que le double de ce nombre, voir plus, étaient placés dans les maisons de communautés d’accueil palestiniennes, les mosquées et d’autres espaces.
Plus de 30’000 réfugié·e·s vivent dans le camp de Zaatari. 176 cuisines communes viennent juste d’y être ouvertes dans le but de permettre la transition aux familles entre la fourniture de repas chaux vers l’attribution de rations alimentaires qu’elles pourront préparer elles-mêmes. L’eau – sa quantité, sa disponibilité et sa qualité sanitaire (hygiène) – demeure un problème. Alors que les agences gouvernementales et humanitaires fournissent une aide temporaire ainsi que la fourniture d’eau et de nourriture dans les camps, les réfugié·e·s expriment à quel point il est difficile de vivre dans des tentes inadéquates dans les difficiles conditions du désert. Les réfugié·e·s, chaque fois qu’ils le peuvent, quittent donc le camp. Le HCR a noté qu’au cours du mois d’octobre le nombre de réfugié·e·s syriens s’enregistrant aux bureaux d’Amman, de Mafraq et d’Irbid était en croissance significative. (Traduction A l’Encontre, article publié le 26 octobre 2012 sur le site Jadaliyya).
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[Drapeau kurde flottant au-dessus de réfugié·e·s syriens arrivant au camp de réfugiés de Domiz
à Dahuk, Irak (13 août 2012). Photo de Khalid Mohammed]
[Syriens qui ont fui leurs domiciles en raison des combats entre l’armée syrienne et les rebelles criant des slogans au cours d’une marche vers le côté turc de la frontière au cours d’une protestation demandant au gouvernement turc de les laisser entrer dans leurs camps de réfugiés. Point de passage frontalier de Bab Al-Salameh, près de la ville syrienne d’Azaz (28 août 2012) Photo de Muhammed Muheisen]
[Famille syrienne, qui a fui son domicile en raison des bombardements gouvernementaux, se réfugie au point de passage frontalier de Bab Al-Salameh en attendant de traverser vers la Turquie (13 septembre 2012) Photo de Muhammed Muheisen]
[Des barbiers syriens rasent les têtes d’autres hommes déplacés alors qu’ils se sont réfugiés au point de passage frontalier de Bab Al-Salameh dans l’espoir de pouvoir atteindre l’un des camps de réfugiés en Turquie (2 septembre 2012) Photo de Muhammed Muheisen]
[Syriens qui ont fui leurs domiciles en raison des combats entre l’armée syrienne et les rebelles font la file afin de recueillir de l’eau d’un réservoir. Passage frontalier de Bab Al-Salameh
(7 septembre 2012) Photo de Muhammed Muheisen]
[Garçon syrien, qui a fui sa maison avec sa famille, dessinant un char d’assaut avec le drapeau syrien. Infirmerie du HCR à Baalbek, est du Liban (18 septembre 2012). Photo de Bilal Hussein]
[Enfants réfugiés syriens nouvellement arrivés, aidés par des soldats jordaniens après qu’ils aient franchis la frontière depuis la ville de Tal Shehab en Syrie à travers la vallée de Al Yarmouk en direction de la ville de Thnebeh, Ramtha, en Jordanie (5 septembre 2012). Photo de Mohammad Hannon]
[Des réfugié·e·s syriens qui viennent d’arriver se reposent entre les oliviers dans un champ après avoir franchi la frontière depuis la vallée d’Al Yarmouk, Jordanie (5 septembre 2012). Photo de Mohammad Hannon]
[Syriens marchant dans le camp de réfugiés de Zaatari en Jordanie (13 septembre 2012). Les réfugiés dans les camps du désert ont exprimé leur insatisfaction vis-à-vis des dures conditions dans lesquelles ils vivent, comprenant des températures extrêmes (chaleurs et fraîcheurs) ainsi que des vents chargés de poussière. Une Jordanie pauvre en ressources lutte pour faire face à l’arrivée de réfugié·e·s de Syrie. Les responsables jordaniens estiment que 150’000 syriens ont cherché refuge dans leur pays.]
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