Par Raymond Morell
Cet article examine la vague croissante de grèves, ses causes et certains des défis auxquels sont confrontés les syndicalistes, les grévistes et la gauche.
Une vague croissante de grèves
Les grèves nationales dans les chemins de fer, chez British Telecom (BT) et chez les postiers de Royal Mail [firme privatisée en 2013 et présente en Bourse] ont transformé l’atmosphère au sein du mouvement syndical et de la classe ouvrière au sens large. Les salaires face à l’inflation ne sont pas le seul problème. Il y a des attaques importantes contre les emplois et les conditions de travail dans les chemins de fer, chez Royal Mail et chez BT.
Les grèves dans les chemins de fer sont conduites par le syndicat Rail Maritime and Transport (RMT), l’Associated Society of Locomotive Engineers and Firemen (ASLEF-mécaniciens de locomotive et chauffeurs) et la Transport Salaried Staffs’ Association (TSSA). De plus, les mécaniciens d’Unite sont également en grève sur Great Western Rail [filiale de First Group qui a obtenu cette concession de la part de la Strategic Rail Authority]. Ce conflit s’inscrit dans le cadre d’une attaque beaucoup plus généralisée qui touche presque toutes les catégories de salarié·e·s du rail. Les objectifs des employeurs prévoient des suppressions massives d’emplois ainsi que des modifications radicales des conditions de travail et des attaques contre les pensions. Comme pour BT, les grèves du Syndicat des travailleurs de la communication (CWU-Communication Workers Union) de Royal Mail portent sur les salaires, mais s’inscrivent dans un contexte d’attaques plus larges contre l’emploi et les conditions de travail. Après la pause unilatérale dans l’action appelée par le RMT et le CWU suite au décès de la reine, Royal Mail a fait monter les enchères en se retirant d’une série d’accords préexistants avec le CWU. En réponse, le CWU avait prévu une escalade des jours de grève en octobre et novembre, dont certains ont été suspendus pour permettre des discussions avec la direction – voir le post-scriptum ci-dessous et la note publiée sur ce site le 11 novembre, note consacrée aux grèves en cours et à venir.
Au-delà des grèves nationales
L’augmentation des grèves sur un seul lieu de travail, dans le secteur privé, est antérieure aux grèves nationales [voir par exemple la liste des grèves et des scrutins pour grève dans l’article publié sur ce site en date du 19 octobre 2022, notes 1 et 3 http://alencontre.org/laune/royaume-uni-le-congres-du-tuc-se-tient-sous-les-auspices-dune-vague-de-greves-et-un-debat-public-pour-les-coordonner-et-synchroniser.html]. La plupart de ces conflits ont été menés par Unite. Sa nouvelle dirigeante, Sharon Graham, affirme qu’au cours de sa première année en tant que secrétaire générale, les membres d’Unite ont pris part à plus de 450 conflits impliquant 76 000 membres. Au cours de cette année, Unite a organisé 122 scrutins de grève. Le syndicat revendique un taux de victoire de 80%, avec 150 millions de livres sterling supplémentaires gagnés pour les membres d’Unite. Dans le climat actuel, bon nombre de ces conflits ne débouchent pas sur des grèves, car la menace d’une action directe entraîne souvent des concessions de la part des employeurs.
Certains des conflits sectoriels les plus importants ont eu lieu dans les services de voirie des autorités locales, où la victoire dans un comté entraîne une action dans le comté suivant. Pour ce qui est des bus, nous observons un schéma similaire après un certain nombre de victoires sur les salaires, avec une grève potentielle de 2000 chauffeurs de bus londoniens, grève évitée suite à un accord salarial: une adaptation-hausse de 11%. Nous avons également assisté à une action de grève des dockers. Deux grèves de huit jours menées par 1900 membres d’Unite pour des raisons salariales à Felixstowe, le port par lequel près de la moitié des conteneurs entrent en Grande-Bretagne, ont menacé des échanges commerciaux d’une valeur de 680 millions de livres. La grève des membres d’Unite au port de Liverpool, quatrième port de Grande-Bretagne, a débuté le jour des funérailles de la reine (voir post-scriptum pour la suite).
Contrairement à d’autres syndicats, Unite a laissé aux délégué·e·s le soin de décider s’ils voulaient reporter leur action pendant la période de «deuil national». Par bonheur, les dockers de Liverpool ont ignoré les demandes de «deuil national» et ont fait grève selon leur propre calendrier. Les dockers de Southampton refusent de prendre en charge les navires détournés de Liverpool, ce qui implique une escalade significative du conflit. Une telle action est non officielle et potentiellement illégale. C’est aussi une magnifique démonstration de solidarité de la part des dockers de base. La grève à Liverpool s’est intensifiée et les dockers ont entamé deux semaines d’action supplémentaires à partir du 24 octobre.
Bien qu’à plus petite échelle, parallèlement aux actions officielles, on a assisté à une importante flambée d’actions non officielles ou sauvages. En mai, les travailleurs de plusieurs plates-formes pétrolières et gazières de la mer du Nord ont refusé de travailler et ont réclamé une augmentation de salaire de 7 livres par heure. La réaction des syndicats RMT, Unite et GMB-Union a été de se distancier de l’action non officielle, car elle était «illégale». Dans une usine alimentaire près de Bury [ville faisant partie du comté urbain du Grand Manchester], une centaine de travailleurs ont débrayé – bien qu’ils ne soient pas syndiqués – afin de revendiquer une augmentation de salaire et de soumettre des plaintes face à la façon dont ils sont traités par les cadres. En août, une action non officielle a eu lieu à la raffinerie de pétrole de Grangemouth, en Ecosse, lorsque des centaines de travailleurs sous contrat d’entretien et de réparation ont débrayé pour des raisons salariales. Environ 250 travailleurs ont bloqué temporairement l’accès au site des camions-citernes. Cette action s’inscrivait dans le cadre d’un conflit officieux plus large concernant 11 sites. A la fin du mois d’octobre, à la raffinerie Stanlow – propriété d’Essar Energy, située à Ellesmere Port dans le Cheshire – une action non officielle impliquant 1500 travailleurs de la branche a permis d’obtenir une augmentation de 12,3%, le remboursement de toutes les pertes de revenus liées à l’action non officielle et le versement d’une somme forfaitaire de 1500 livres sterling pour régler un conflit sur le «temps de déplacement», c’est-à-dire le temps nécessaire pour marcher à l’intérieur du site afin de se rendre au travail.
Cette victoire est un exemple remarquable de travailleurs de la base qui ont pris des mesures immédiates sans se référer à la législation [qui multiplie les obstacles au déclenchement d’une grève] ou à la direction du syndicat. Ils ont gagné de manière satisfaisante grâce à une action déterminée. Une action stimulante a également été menée dans plusieurs entrepôts géants d’Amazon en août, après que les travailleurs de l’énorme centre de traitement des commandes d’Amazon à Tilbury – dans l’Essex – ont appris qu’ils recevaient une «augmentation» de salaire de 35 pence par heure! Les vidéos de l’action se sont répandues sur les médias sociaux et ont déclenché l’action de centaines de travailleurs d’Amazon dans ses entrepôts de Coventry, de Rugeley [dans le comté de Staffordshire], de Bristol, de Leicestershire et de Swindon. Tant Unite que le GMB ont organisé des actions chez Amazon, mais ces débrayages ont été menés en grande partie par des travailleurs non syndiqués. A la suite de ces actions, le GMB a organisé un scrutin pour une grève parmi ses membres du centre de traitement des commandes d’Amazon de Coventry. Mais il a manqué de 1% seulement le seuil de participation antidémocratique de 50%, qui est imposé par la législation des conservateurs.
L’action s’étendra-t-elle au secteur public?
Les travailleurs du secteur public – de la fonction publique, des collectivités locales, des enseignants, des travailleurs de la santé, des pompiers, des travailleurs de l’enseignement supérieur et de la formation continue – ont voté ou sont en train de voter pour une action. La loi sur les syndicats de 2016, qui a introduit le seuil de participation de 50% pour les scrutins de grève, rend plus difficile d’atteindre les pourcentages pour une action nationale. Cependant, la vague de grève croissante dans les chemins de fer, la poste, les télécoms et l’économie au sens large ont transformé l’humeur, même dans le secteur public où les travailleurs ont été confrontés à des décennies de réductions des services et des salaires nets. [En effet, dans la fonction publique, parmi les enseignants, les scrutins ont abouti à la décision de faire grève, voir l’article publié sur ce site le 11 novembre.]
Dans l’éducation, les syndicats d’enseignants sont prêts à voter cet automne pour des grèves sur les salaires, et les directeurs d’école se préparent également à voter. Les membres de l’University College Union (UCU) ont mené des actions dans les établissements d’enseignement postobligatoire tout au long du mois d’octobre. Plus de 70 000 membres du personnel universitaire ont voté massivement en faveur de la grève dans 150 universités, battant largement le seuil anti-syndical de 50%. La plus grande grève jamais observée dans les universités britanniques devrait débuter le 24 novembre.
La Grande-Bretagne sera probablement confrontée à un automne de grèves dans les services d’urgence également. La Fire Brigades Union (FBU) a annoncé que 32 500 de ses membres à travers le Royaume-Uni allaient voter la grève comme forme de refus à une offre d’«adaptation» de 2%. Plus de 100 000 membres d’Unite travaillant pour le NHS (National Health Service) en Angleterre et au Pays de Galles sont appelés à un scrutin. Unison va organiser un vote pour 406 000 de ses membres qui travaillent pour le NHS en Angleterre et au Pays de Galles, tandis que le vote est déjà en cours en Ecosse [les votes ont abouti à engager des grèves dès le 25 novembre avec des échéances hebdomadaires fixées jusqu’au 10 janvier]. Le scrutin a concerné aussi le personnel des services d’urgence, notamment les infirmières, le personnel paramédical, les préposés aux appels d’urgence et les ambulanciers.
Dans le même temps, le Royal College of Nursing (RCN), qui a récemment modifié son règlement afin de pouvoir faire grève, organise également des scrutins de grève dans tout le Royaume-Uni et s’attend à ce que les grèves commencent avant la fin de l’année. La secrétaire générale du RCN [Pat Cullen] affirme que les infirmières ont voté pour la grève non seulement pour les salaires mais aussi pour des conditions de travail devenues intolérables. [Voir à ce propos l’article publié sur ce site le 11 novembre.]
Malgré la récente législation autorisant les travailleurs intérimaires à briser la grève – à la manière de P&O Ferries [en mars 2022, l’entreprise licencie 800 marins britanniques qui sont remplacés par une main-d’œuvre intérimaire étrangère à bas coût fournie par des compagnies tierces et venant donc d’Inde, du Guatemala, de Pologne, de Roumanie, etc.] – lors de la grève réussie de 2019 en Irlande du Nord, les agences de travail intérimaire pour infirmières ont refusé d’être des briseurs de grève. La secrétaire générale prédit que les agences d’infirmières à travers le Royaume-Uni refuseraient de fournir des briseurs de grève cette fois aussi. Le Royal College of Midwives [sages-femmes] est également sur le point d’organiser un vote sur les salaires, la Chartered Society of Physiotherapists consulte ses membres sur la possibilité d’une action, et les internes (médecins en formatino) de la British Medical Association semblent prêts à voter en janvier 2023. Une grève de cette ampleur des infirmières, des médecins et des autres travailleurs de la santé impliquerait 750 000 salarié·e·s et serait la plus importante dans le NHS depuis les années 1980. Ce développement aggraverait la crise politique sur le coût de la vie, le financement du NHS et la dynamique de privatisation, créant ainsi un potentiel d’initiatives de solidarité des collectivités avec l’ensemble des travailleurs de la santé.
Pourquoi maintenant?
La Grande-Bretagne est confrontée à une crise de productivité ainsi qu’à une crise du coût de la vie. Les taux de croissance annuels moyens en Grande-Bretagne ont été divisés par deux depuis les années 1960, passant d’environ 3,5% par an à moins de 2% aujourd’hui. Depuis le règne de Margaret Thatcher [1979-1990], les conservateurs n’ont pas résolu ces problèmes profondément enracinés. Par exemple, la production britannique par heure travaillée est restée à des niveaux inférieurs à ceux de l’Allemagne et de la France, sans reprise depuis 1979. La productivité a encore stagné depuis la crise financière de 2008.
En 2012, cinq députés conservateurs ont écrit un livre intitulé Britannia Unchained: Global Lessons for Growth and Prosperity [les auteurs étaient Kwasi Kwarteng, Priti Patel, Dominic Raab, Chris Skidmore, Liz Truss]. Ils y affirmaient: «Une fois qu’ils entrent sur le lieu de travail, les Britanniques sont parmi les pires fainéants du monde.» Ils poursuivaient: «Nous travaillons durant une durée parmi les plus basses, nous prenons une retraite anticipée et notre productivité est faible. Alors que les enfants indiens aspirent à devenir médecins ou hommes d’affaires, les Britanniques s’intéressent davantage au football et à la musique pop.» Deux de ces députés étaient première ministre [Liz Truss] et chancelier de l’Echiquier [Kwasi Kwarteng] dans le gouvernement tory qui s’est récemment effondré. Quoi qu’en pensent les Tories, en réalité les travailleurs et travailleuses britanniques travaillent plus longtemps que ceux de Suède, d’Allemagne et de France et ne prennent pas leur retraite plus tôt.
Mais les travailleurs britanniques sont-ils paresseux? Un ensemble de grandes enquêtes financées par le gouvernement et menées depuis les années 1990 montre que la part des personnes qui disent travailler à «un rythme élevé» pendant au moins trois quarts de la journée de travail est passée de 23% à 45% entre 1992 et 2017. En 1992, 71 % des salariés déclaraient avoir «beaucoup» de contrôle sur leur rythme de travail; en 2017, ce chiffre était tombé à 46%. Le Health and Safety Executive montre également que le stress, la dépression et l’anxiété liés au travail sont en hausse. L’intensité du travail augmente, tout comme «le fouet du manager».
Une meilleure explication de la faible productivité britannique est le manque d’investissement dans les nouveaux équipements et technologies. Les investissements des entreprises ont été faibles au Royaume-Uni par rapport aux normes internationales. Ils ont subi un frein supplémentaire après le Brexit. Le résultat est une économie mal équipée pour faire face à la fois à une crise financière et à une crise du coût de la vie (inflation).
La pauvreté extrême est l’expérience des plus pauvres en Grande-Bretagne. Après une décennie d’austérité conservatrice, et les coupes dans l’Universal Credit [aide sociale soumise à de très nombreux critères fonctionnant comme obstacles] il y a un an, de larges pans des «travailleurs pauvres» sont déjà en train de basculer dans le gouffre car ils n’arrivent plus à joindre les deux bouts. Les salaires ont été comprimés depuis la crise financière de 2008. Les salaires réels moyens ont baissé de près de 7% entre 2009 et 2014. La dernière décennie a connu la plus longue compression du niveau de vie en temps de paix depuis les guerres napoléoniennes. Malgré l’effondrement de la confiance dans les Tories, la Grande-Bretagne reste parmi les 30 pays les plus riches du monde. Les niveaux d’inégalité en Grande-Bretagne dépassent aujourd’hui ceux de tous les pays occidentaux, à l’exception des Etats-Unis.
Au cours des dernières décennies, le déclin de la protection et de l’extension des contrats collectifs en Grande-Bretagne est l’un des principaux facteurs responsables de l’augmentation des inégalités. En 1979, avant l’élection de Margaret Thatcher, la Grande-Bretagne avait un taux de couverture d’environ 85%, ce qui en faisait l’un des plus élevés d’Europe, avec les niveaux d’inégalité les plus faibles. Depuis lors, la couverture contractuelle est tombée à environ 25%. Des recherches menées par le Trades Union Congress (TUC) ont révélé que les inégalités de richesse se sont accélérées depuis le krach financier de 2008 et les années d’austérité. La Grande-Bretagne fait figure d’exception parmi les pays de l’OCDE, avec une baisse des salaires réels depuis 2007. Par exemple, en 2007, le revenu moyen d’un ménage en Grande-Bretagne était de 8% inférieur à celui de ses semblables en Europe du Nord-Ouest. Aujourd’hui, il est inférieur de 20%.
L’Office for Budget Responsibility (OBR), une création des conservateurs, prévoit que la crise du coût de la vie se traduira par la pire atteinte au niveau de vie depuis 1956. Liz Truss, l’ex-première ministre, a déclaré que les coûts élevés de l’énergie sont un prix à payer pour la sécurité énergétique. Il ne fait aucun doute que la hausse des taux d’intérêt pour les propriétaires est également «un prix à payer». Malgré les récentes démissions, l’objectif des Tories, sous la houlette du nouveau Premier ministre Rishi Sunak, sera de réintroduire un nouveau cycle d’austérité thatchérienne pour faire porter le poids de la crise sur les épaules des salarié·e·s. Les Tories sont prêts à introduire une nouvelle législation antisyndicale dans l’espoir de discipliner davantage le mouvement syndical et de saper le droit de grève. Il n’y a aucune garantie que ce projet puisse fonctionner comme ils le prévoient une deuxième fois.
Contraintes menant à l’action
Cet été 2022, le taux de chômage britannique a atteint son niveau le plus bas depuis le début des années 1970, alors même que l’économie était au point mort. Ce n’est pas parce que davantage de personnes ont été employées. Au contraire, le nombre de personnes qui ont déclaré ne pas travailler parce qu’elles étudiaient ou souffraient d’une maladie de longue durée a encore augmenté. La maladie de longue durée est due à deux facteurs clés: les longues périodes de Covid et les personnes en arrêt maladie jusqu’à ce qu’elles puissent accéder aux soins accordés par le NHS. L’expérience vécue par les travailleurs et travailleuses pendant la pandémie a un impact significatif sur leur attitude à l’égard du travail et de leur «employabilité», beaucoup d’entre eux n’étant plus prêts à supporter des «emplois de merde». Ces dernières années, de plus en plus d’entreprises ont construit leur modèle économique en poussant les travailleurs à travailler «au-delà» de leur description de poste [tâches à accomplir, équipements à utiliser, etc.]. Les perturbations ferroviaires survenues au Royaume-Uni cet été en sont un bon exemple: des opérateurs comme la firme Avanti ont compté pendant des années sur le volontariat de leur personnel pour effectuer des vacations supplémentaires pendant leurs jours de congé. Lorsque le personnel a cessé de faire preuve de «bonne volonté», le service s’est arrêté.
Toutes ces contraintes s’ajoutent à la crise du coût de la vie qui a créé un sentiment d’expérience commune dans la classe ouvrière, avec une large sympathie pour les groupes de travailleurs et travailleuses en grève, ainsi qu’un sentiment qu’ils se battent pour l’ensemble des salarié·e·s. C’est cet état d’esprit que Mick Lynch, leader du RMT (Rail, Maritime and Transport Workers), a capté. Lynch a été invité à s’exprimer sur toutes les chaînes d’information alors que les présentateurs cherchaient à le diaboliser, lui et les travailleurs en grève. Cependant, il a ridiculisé les présentateurs de télévision et a présenté le cas des grèves des cheminots comme faisant partie d’une bataille plus large dans laquelle tous les travailleurs et travailleuses ont un intérêt. Ce faisant, il s’est transformé en porte-parole des millions de personnes qui subissent les énormes augmentations de prix. Pendant ce temps, Keir Starmer, dirigeant du Parti travailliste, a cherché à éloigner le parti des grèves, allant jusqu’à renvoyer un ministre des Transports [Sam Tarry] du «Shadow Cabinet» pour avoir participé à un piquet de grève. Starmer cherche désespérément à se distancier des syndicats afin d’essayer de paraître responsable et prêt à prendre la relève pour gouverner après les prochaines élections générales. Cette position soulèvera de plus en plus de questions sur la relation du syndicat avec le Parti travailliste.
L’offensive patronale actuelle a commencé pendant la pandémie avec une augmentation de l’utilisation de la tactique «fire and rehire» (licencier et réembaucher) que les employeurs utilisent pour licencier les travailleurs en masse et les réembaucher avec des salaires inférieurs et des conditions péjorées. En avril 2021, les mécaniciens de British Gas qui ont fait grève contre la tactique «fire and rehire» ont été isolés et battus. Au printemps 2022, les travailleurs ont répondu par une occupation de ferry au licenciement sommaire illégal de 800 travailleurs employés par P&O Ferries. Les licenciements ont provoqué une énorme vague de révolte contre les actions de l’entreprise. Au lieu de s’appuyer sur la sympathie du public et de rechercher la solidarité des dockers du port, la direction du RMT a néanmoins demandé aux travailleurs occupants de quitter les bateaux par crainte que la législation antisyndicale ne soit invoquée contre eux car menant une «action secondaire» [1]. Les licenciements utilisant la tactique «licencier et réembaucher» ont diminué pour l’instant, suite à la résistance réussie des travailleurs et à l’inflation galopante. Les employeurs utilisent plutôt l’inflation élevée pour faire baisser les niveaux de salaire réel.
De nombreux travailleurs impliqués dans les grèves de cet été ont été qualifiés, pendant la pandémie, comme des «travailleurs essentiels» et furent contraints de travailler normalement avec tous les risques sanitaires qui en découlaient. Beaucoup d’entre nous ont dû utiliser les transports publics pour se rendre sur leur lieu de travail, où les représentants syndicaux de la santé et de la sécurité ont dû se battre pour améliorer la ventilation, la propreté et la distance sociale [limiter les contacts étroits à cause de la pandémie]. Des millions de «travailleurs essentiels» ont vécu cette expérience pendant au moins un an, en essayant de se protéger. Les personnes chargées de la collecte des déchets, du transport des marchandises vers les supermarchés et les entrepôts, du fonctionnement du système de transport, des soins de santé, de la distribution du courrier et du travail dans les ports étaient toutes considérées comme des «travailleurs essentiels». On leur a demandé de faire des sacrifices tout en acceptant un gel des salaires au nom de «l’intérêt national».
Lorsque l’économie a connu une forte relance à l’automne 2021, se sont manifestées d’importantes pénuries de main-d’œuvre, d’abord dans le transport routier, les conducteurs de poids lourds exigeant une prime après des années de salaires et de conditions misérables. Mais il est vite apparu que ces pénuries de main-d’œuvre existaient dans la plupart des secteurs de l’économie: dans les transports, l’hôtellerie, la santé, l’éducation, la construction et au-delà. L’impact des politiques mortifères des conservateurs en matière de pandémie se fait encore sentir aujourd’hui dans toute l’économie. De nombreux travailleurs essentiels restent amers face au manque de reconnaissance de leurs efforts et de leurs sacrifices. Cependant, l’expérience de la pandémie a également renforcé la conscience de ces travailleurs, avec un sentiment croissant d’estime de soi et de pouvoir potentiel.
Ces multiples contraintes en faveur de l’action se traduisent également par une augmentation du nombre de membres des syndicats, bien qu’elle soit lente et parte d’un niveau bas. Leur nombre a augmenté de 118 000 pour atteindre 6,6 millions en 2020. Nous constatons une augmentation pour la 4e année consécutive. Jusqu’à récemment, nous avions connu le plus faible nombre de grèves depuis le début de leurs relevés avant la remontée de 2019. Les chiffres officiels des grèves n’étaient plus enregistrés, soi-disant en raison de l’impact du Covid-19. Cela n’a changé que récemment avec les chiffres publiés pour juin 2022: le plus grand nombre de grèves ayant eu lieu dans le transport et la logistique. Les chiffres les plus récents des syndicats montrent que les conflits sont à leur plus haut niveau depuis cinq ans. Au cours des 12 derniers mois, le Trades Union Congress (TUC) a enregistré au moins 300 conflits, soit quatre fois plus qu’il y a trois ans. La croissance des effectifs syndicaux et des conflits est positive. Elle souligne la nécessité pour la gauche de se concentrer à nouveau sur la stratégie du mouvement syndical.
Problèmes de direction
La suspension soudaine des grèves après la mort de la reine est un exemple des limites de toute stratégie qui laisse simplement la conduite des grèves dans les seules mains des dirigeants syndicaux. Certes, les grands conflits nationaux sont plus difficiles à influencer par les militant·e·s de la base. Nous continuons à voir des arrêts de travail d’une seule journée, avec quelques initiatives de coordination et de mobilisation de la part des dirigeants syndicaux. Les conflits locaux sont plus faciles à influencer, mais ont moins d’impact sur les rapports de forces généraux. Le conflit toujours en cours dans le port de conteneurs de Felixstowe offre aux socialistes l’occasion d’influencer un point stratégique de passage important pour le capital britannique. Cependant, s’il est vrai que les dirigeants syndicaux ont été prudents lorsqu’il s’est agi d’appeler à une action soutenue ou coordonnée, ou de contester les appels à l’unité nationale après la mort de la reine, les problèmes restent encore complexes.
Après des décennies de retraites et de défaites, il existe une couche de permanents ayant des fonctions élevées qui n’ont pas participé à l’action, qui n’ont pas connu la victoire et sont éloignés de la plupart des travailleurs de la base. Là où les délégués principaux sont présents sur des lieux de travail, sont installés et organisés depuis des années, voire des décennies, ils peuvent passer la plupart de leur temps à des réunions avec la direction. Souvent, leur relation avec la direction peut sembler plus importante que celle avec les délégués de base et les membres du syndicat. Ces représentants de haut niveau sont souvent les porte-parole les plus influents sur leur lieu de travail. Ils ont également tendance à occuper la plupart des postes dans les appareils syndicaux aux niveaux régional et national, où leur conservatisme renforce celui des dirigeants syndicaux.
Il ne fait aucun doute qu’il existe encore une gauche politique active dans le mouvement syndical. Cependant, elle s’est atrophiée et il est peu probable que son influence soit positive aujourd’hui, car la plupart des organisations de gauche adoptent une stratégie de «gauche élargie» qui s’appuie sur les dirigeants de gauche pour mener des actions. Lorsque ces leaders sont pris en défaut, la seule opposition vient souvent de la droite. Nous parlons souvent du «poids mort» de la bureaucratie syndicale lorsque nous analysons les revers ou les défaites. Cependant, nous discutons rarement de l’impact étouffant d’une couche de délégués, cela combiné à l’absence d’une base indépendante sur les lieux de travail et dans les structures syndicales.
Après avoir annoncé une série de journées de grève pour le mois de novembre, le RMT a subi des pressions de la part de la presse de droite concernant l’une des journées d’action coïncidant avec la National Poppy Day (Journée nationale du coquelicot), le 3 novembre [en lien avec l’armistice du 11 novembre 1918]. La grève ferroviaire à cette date devait être coordonnée dans tout le pays et les grèves dans le métro de Londres devaient entraîner la fermeture de secteurs clés de l’économie. La décision d’annuler l’action à cette date a été prise par l’exécutif des syndicats ferroviaires, composé de représentants élus – ce qui rend trop simpliste le fait de blâmer simplement les dirigeants syndicaux pour avoir fait dérailler l’action. Cependant, il ne s’agit pas ici de dire que le RMT est en quelque sorte sensible au chauvinisme, contrairement aux autres syndicats. Il est probable que la plupart des autres dirigeants syndicaux céderaient à la même pression s’ils étaient placés dans cette position, et la décision du RMT a été rapidement suivie par la TSSA [Transport Salaried Staffs’ Association].
Lorsque les directions syndicales qui affrontent l’Etat dans des conflits à l’échelle nationale sont tentées de mettre fin à l’action dans l’esprit de la soi-disant «solidarité nationale» ou de «négociations constructives», elles s’en tirent souvent parce qu’il n’y a pas d’opinion alternative cohérente de la part d’une base indépendante pour maintenir les grèves.
Dans la foulée de ce dernier recul, le nouveau gouvernement conservateur a autorisé les compagnies ferroviaires à faire une offre pour tenter de régler le conflit. Il s’agit d’un changement d’orientation qui est présenté comme une possibilité bienvenue de négocier un accord. [Le 4 novembre], le RMT a annulé trois jours de grève [prévus pour le 5, 7 et 9 novembre], déclarant qu’il «entrera dans une période d’intenses négociations» avec les compagnies ferroviaires. Dans le même temps, à Royal Mail, l’employeur a déclaré qu’il n’imposerait pas de changements importants avant le 15 novembre, les deux parties promettant de désamorcer la tension sur le lieu de travail grâce à des discussions au sein de l’ACAS (Advisory, Conciliation and Arbitration Service).
Le problème de ces deux conflits est que les négociations commencent sur fond de recul et ont moins de chances d’aboutir à un bon accord avec l’action annulée. En outre, à l’approche de Noël, les travailleurs des chemins de fer et de la poste sont dans une position de plus en plus favorable et la possibilité d’une action plus généralisée et coordonnée avec d’autres groupes de travailleurs en grève dans le secteur public, l’éducation et au-delà, constituerait un défi beaucoup plus important pour les conservateurs. Malgré ces reculs dans le secteur des chemins de fer et le Royal Mail, la nouvelle vague de grèves permet de percevoir les prémices d’une reprise du mouvement. Nous avons également assisté à d’importantes victoires dans le secteur privé. Les militants des chemins de fer et de Royal Mail devraient plaider en faveur de la reprise des grèves, pour une action coordonnée et la possibilité de vaincre le gouvernement.
Opportunités pour la gauche
Alors que l’économie glisse vers la récession, les conservateurs et la Banque d’Angleterre veulent dompter la progression du mouvement ouvrier. Les pénuries de main-d’œuvre seront sans doute moins graves si les entreprises font faillite et que le chômage augmente, mais beaucoup de ces pénuries resteront sans solution. Toutefois, le fait que nous connaissions également une vague croissante de grèves alors que nous entrons en récession constitue une expérience différente de celle qui consiste à subir de multiples défaites avant la récession. Rien ne garantit que les grèves disparaîtront à mesure que la pression s’accroît sur les familles ouvrières, même en période de récession. Quoi qu’il advienne d’une économie en déclin, les conservateurs et les employeurs sont déjà en train de monter une sérieuse mise en question des travailleurs et travailleuses organisés.
Nous avons besoin d’un mouvement de grève plus coordonné et soutenu pour répondre à l’ampleur du défi patronal et gouvernemental. Les arrêts de travail d’un ou deux jours ne permettront pas de gagner ces conflits. Les grèves nationales se multiplient mais, jusqu’à présent, elles ont été conduites d’en haut. Plus elles impliquent les seuls appareils syndicaux, plus le risque est grand que certains dirigeants syndicaux se contentent de concessions mineures. Dès lors, les socialistes doivent continuer à se concentrer sur la construction de réseaux solidaires et indépendants pour soutenir ces grèves et s’opposer à toute capitulation.
Le nombre restreint mais croissant de victoires dans le secteur privé est le résultat de la présence de militants de base bien organisés qui coordonnent les actions dans leurs secteurs. Dans la construction, la voirie, le transport routier de marchandises et les bus, nous constatons qu’un nombre croissant de délégués se soutiennent mutuellement et tirent les leçons de leurs succès. Chez Unite, ces délégués travaillent ensemble dans le cadre de coordinations de branche nationales, qui ont été encouragées par la nouvelle direction. Cette stratégie est combattue par l’ancienne gauche qui veut maintenir son influence et s’accrocher à l’approche de la «gauche élargie» qui a échoué. Les militants socialistes doivent construire ces coordinations dans le cadre d’une stratégie visant à renforcer la solidarité, à coordonner des actions efficaces et à vaincre la «vieille gauche» dans les syndicats. Pour y parvenir, il faudra relier les grandes questions politiques contre la guerre et l’oppression à la lutte pour les salaires. Les dockers de Liverpool ont fourni un exemple inspirant lorsqu’ils ont manifesté leur solidarité avec Black Lives Matter en 2020. Il n’est donc pas surprenant qu’ils aient refusé de se laisser intimider et de reporter leur grève le jour des funérailles de la reine.
Des tentatives sont faites pour lier les luttes dans les collectivités à la lutte syndicale. Un certain nombre de campagnes ont vu le jour au cours des derniers mois. La campagne Enough is Enough (EiE), lancée par la direction du CWU et du RMT, a organisé d’impressionnants rassemblements à travers le pays. Cependant, elle reste une organisation étroitement contrôlée qui entrave le développement des groupes locaux. Le réseau Don’t Pay UK, une campagne de base développée par un petit groupe de socialistes dont l’objectif est d’encourager un million de personnes à refuser de payer les factures d’énergie en hausse. Il a réussi à faire signer cet engagement à plus de 250 000 personnes [voir à ce sujet l’article publié sur ce site le 26 août 2022 http://alencontre.org/europe/grande-bretagne/grande-bretagne-la-campagne-dont-pay-prend-de-lampleur.html]. L’Assemblée du peuple (People’s Assembly), une large coalition de la gauche et du mouvement ouvrier, a appelé à des manifestations nationales pour rendre présent le mouvement dans la rue. Cependant, il nous manque actuellement une campagne unifiée pour coordonner les luttes syndicales à la résistance des collectivités.
Nous sommes aujourd’hui confrontés à des défis sans précédent. L’escalade de la guerre impérialiste, qui inclut la menace d’une guerre nucléaire, la crise économique, la détérioration du niveau de vie et l’accélération du changement climatique. Nous sommes également confrontés à une crise sanitaire croissante, à l’augmentation des inégalités de revenus, de santé, d’éducation et de logement, ainsi qu’à une infrastructure ravagée par quatre décennies de privatisations. La dégradation croissante des conditions de travail signifie que de plus en plus de personnes ne sont plus prêtes à supporter des «bullshit jobs». Cette expérience ne fait qu’alimenter une grande partie de la résistance que nous observons aujourd’hui.
Le nouveau gouvernement conservateur de Liz Truss a pu se soustraire aux contrôles pendant la période de «deuil national», mais ses premières tentatives d’intervention dans la crise britannique ont conduit à son effondrement. L’opportunité de construire un mouvement de masse au sein de la classe laborieuse et de la société au sens large se présente clairement à nous. Cependant, la gauche doit développer une stratégie cohérente pour unir les forces disparates et le nombre croissant de travailleurs et travailleuses qui entrent dans la lutte. Dans le processus de construction d’un mouvement efficace et uni, une nouvelle gauche radicale peut naître. Cela nécessitera un travail patient aux côtés des nouveaux militant·e·s que nous rencontrons dans les différentes campagnes qui ont été lancées.
Post-scriptum de Raymond Morell
Depuis la révision de cet article, le 12 novembre – sur la base du projet initial rédigé le 1er novembre – en vue de sa publication, les dockers de Liverpool ont obtenu une augmentation de salaire de 14 à 18%, le syndicat PCS (Public and Commercial Services Union) a remporté des scrutins de grève auprès de plus de 100 000 travailleurs et travailleuses, l’Educational Institute of Scotland a obtenu un vote de 96% en faveur de la grève parmi les enseignants et autres personnels scolaires en Ecosse. L’ASLEF (Associated Society of Locomotive Engineers and Firemen) a annoncé une grève dans le courant du mois dans 12 compagnies ferroviaires, ce qui entraînera la fermeture de la majeure partie du réseau ferroviaire en Angleterre et en Ecosse. Les dockers de Liverpool ont montré ce qui est possible avec une action de grève déterminée et continue. La possibilité d’une action coordonnée est à nouveau une réalité. Les dirigeants syndicaux saisiront-ils cette opportunité? Les militants de la base peuvent-ils susciter une pression suffisante pour imposer une action de grève coordonnée et continue? (Article publié sur le site rs21, le 12 novembre 2022 ; traduction rédaction A l’Encontre)
[De plus, Royal College of Nursing a annoncé suite à un scrutin positif le déclenchement d’un mouvement de grève. Voir à ce sujet l’article publié sur ce site le 11 novembre. – Réd. A l’Encontre]
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[1] Une «action secondaire» a été rendue illégale par la loi en 1992. Par «action secondaire» (secondary action), on peut entendre une grève par solidarité. Autrement dit, un syndicat pourrait inciter ses membres à entreprendre une grève ou une occupation contre son employeur pour soutenir des travailleurs syndiqués employés par un autre employeur. Or, ici, P&O Ferries, après les licenciements, avait transféré ses services à une société de travail intérimaire qui utilisait des travailleurs issus de l’immigration. Dès lors, l’action d’occupation pouvait relever d’une «action secondaire» illégale. Le RMT a demandé à la Cour européenne des droits de l’homme de déterminer si l’interdiction faite par le Royaume-Uni aux syndicats d’appeler à une action secondaire était compatible avec l’article 11 de la Convention (liberté de réunion et d’association). (Réd. A l’Encontre)
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