Etats-Unis. Des travailleurs d’Amazon en grève les 15 et 16 juillet

Par Joe DeManuelle-Hall

Les plus grandes journées de vente de 2019 d’Amazon jusqu’à présent – ayant pour nom «Prime Days», les 15 et 16 juillet – ont été marquées par des débrayages et des protestations de travailleurs aux Etats-Unis et en Allemagne. Les protestations ont été semi-coordonnées, ciblant Amazon lorsque ses entrepôts fonctionnent à plein régime et que l’entreprise est sous le feu des médias [voir l’article sur ce site le 16 juillet annonçant ces actions].

En Allemagne, les travailleurs d’Amazon qui s’organisent avec le syndicat Ver.di ont fait grève pendant deux jours dans le cadre d’une lutte soutenue pour les salaires. Le syndicat a affirmé que 2000 travailleurs ont participé dans sept installations [voir sur ce site l’article en date du 23 janvier 2019 sur l’organisation de la lutte chez Amazon.de].

Pendant ce temps, aux Etats-Unis, un petit groupe de travailleurs a quitté le centre de d’exécution de Shakopee près de Minneapolis. D’autres dans un entrepôt de Chicago se sont adressés directement à leur patron avec des revendications. Des travailleurs et des sympathisants de la région ont manifesté et se sont rassemblés devant deux entrepôts à Portland, en Oregon.

Simultanément, des organisations de défense des droits des immigrants ont organisé des manifestations dans huit villes états-uniennes pour dénoncer la collaboration d’Amazon avec l’Immigration and Customs Enforcement Agency (ICE). Amazon héberge la base de données en ligne que les agents de l’ICE utilisent pour suivre les immigrants qu’ils tentent d’expulser. Le rassemblement de la ville de New York s’est tenu au méga-penthouse («appartement-terrasse») de 80 millions de dollars du PDG Jeff Bezos.

De Minneapolis à Chicago

Le centre d’exécution à Shakopee, une banlieue de Minneapolis, a été le lieu de certaines des manifestations les plus conflictuelles et les plus réussies à ce jour. Deux fois au cours de l’année écoulée, les magasiniers d’Amazon ont quitté leur travail pour protester contre les objectifs de productivité sans cesse croissants de la direction et contre la discrimination envers les travailleurs musulmans.

Ces actions soutenues par l’Awood Center, un centre ouvrier basé dans la communauté est-africaine du Minnesota, ont conduit aux premières négociations entre Amazon et une organisation syndicale américaine. Les travailleurs affiliés au centre se sont organisés autour de l’affirmation «Nous sommes des humains, pas des robots» et font également campagne contre les représailles et les problèmes de santé et de sécurité.

Soutenus par l’exemple de Minneapolis, les travailleurs d’un centre de livraison Amazon à Chicago, le 16 juillet, ont engagé une action propre de Prime Day. Ils ont interrogé leurs collègues de travail afin d’établir des revendications et se sont entendus sur trois d’entre elles: la climatisation, l’assurance-maladie et un salaire horaire de 18 dollars de l’heure pendant toute la semaine de grande affluence.

Trente travailleurs de l’équipe de nuit ont occupé le bureau du chef d’équipe pendant une pause de 2h30 du matin pour faire connaître leurs revendications. Après un va-et-vient animé, ils se sont engagés à rencontrer le directeur de l’entrepôt.

«Notre objectif aujourd’hui était d’obtenir une rencontre avec la personne qui a la capacité de prendre les décisions concernant nos exigences», a déclaré Terry Miller (un pseudonyme), qui a participé à l’action. «Nous savions que le meilleur scénario était de rencontrer le directeur du site, et c’est ce que nous avons obtenu.»

Collègues de travail animés

Après la réunion, la délégation est retournée au travail et a terminé leur horaire. Les travailleurs qui n’y avaient pas participé étaient impatients de connaître ce qui s’était passé.

«[D’autres travailleurs] ont vu que nous pouvions faire en sorte que l’entreprise fasse attention à nous», dit Miller, qui trie les colis pour la livraison. «Les gens me posaient des questions, me contactaient après l’action. Cela a augmenté notre visibilité.»

Les centres de livraison sont la dernière étape de la chaîne d’entrepôts d’Amazon. Les articles arrivent déjà emballés à partir d’installations situées plus en amont de la chaîne d’approvisionnement, y compris des centres de traitement des commandes comme celui du Minnesota. Les travailleurs des centres de livraison trient les colis et les chargent dans des camionnettes pour la livraison. Ces installations ont proliféré dans les grands centres urbains dans le cadre de l’effort de livraison sur un délai d’un jour ou le jour même.

Les travailleurs de cet entrepôt de Chicago gagnent normalement 15 dollars l’heure. Comme mesure incitative, les gestionnaires avaient promis de payer 18 dollars par heure supplémentaire travaillée en plus du temps de travail posté régulier, mais le taux plus élevé ne s’appliquait que pour l’heure supplémentaire et non pour la totalité de l’horaire de travail.

De nombreux travailleurs n’ont pas suffisamment d’heures de travail pour être admissibles à l’assurance maladie de l’entreprise. [Aux Etats-Unis, l’assurance maladie dépend largement du type de contrat dans l’entreprise.]

L’entrepôt peut devenir très chaud, car ses murs et son toit sont en métal. Amazon a annoncé qu’elle installait la climatisation dans ses centres d’exécution en 2012 après un examen public minutieux et des incidents très médiatisés. Mais les climatiseurs n’ont pas été installés dans d’autres installations, entre autres celle-ci.

Petit débrayage

Dans l’entrepôt du Minnesota, les travailleurs ont organisé un débrayage le 15 juillet pour se joindre à un piquet de grève communautaire. Les travailleurs ont déclaré que les gestionnaires et la police surveillaient la sortie de l’entrepôt, pour savoir qui débrayait, ce qui a eu un effet dissuasif sur la participation.

Les organisateurs avaient espéré que 100 travailleurs quitteraient l’entreprise. En fin de compte, beaucoup moins d’entre eux l’ont fait. Néanmoins, les travailleurs et les sympathisants de la communauté ont organisé un piquet de grève, dansé et se sont réunis jusqu’à ce que la pluie et un orage mettent fin à l’action.

Plusieurs techniciens d’Amazon de Seattle ont pris l’avion pour se joindre au rassemblement. Ils font partie d’un groupe appelé Amazon Employees for Climate Justice, qui a organisé une lettre ouverte signée par 8000 employés demandant à l’entreprise d’étendre son engagement en faveur des énergies renouvelables et de cesser de fournir un soutien technologique pour l’extraction du pétrole et du gaz.

Etaient également présents au rassemblement au moins un membre de la section locale 1224 du syndicat des Teamsters [salariés du secteur des transports], le syndicat des pilotes d’Atlas Air, qui est chargé du transport des marchandises d’Amazon. La section locale 1224 a été bloquée lors des négociations contractuelles avec Atlas Air et a publiquement ciblé Amazon. En mai, les membres ont organisé un piquet devant l’assemblée des actionnaires.

L’arnaque des soins (scamcare)

L’un des thèmes importants du débrayage du Minnesota avait trait au taux élevé d’accidents dû à la recherche constante de la productivité. Amazon maintient une unité de soins sur place, AmCare. Les travailleurs affirment que cette unité est insuffisante pour répondre à leurs besoins dans un milieu de travail où les problèmes de santé et de sécurité sont nombreux.

«Même si je demande [un médecin], ils ne vous le donneront pas», a affirmé Mohamed Hassan, un employé de Shakopee, par l’intermédiaire d’un traducteur. «Il n’y a pas de médecins dans l’unité, il n’y a même pas d’infirmière. C’est un des employés d’Amazon qui est présent.»

«Les gens ont peur d’aller à AmCare dans mon établissement», dit Kimberly Hatfield-Ybarra, une travailleuse de Dallas Amazon qui a pris l’avion pour Minneapolis afin de soutenir l’action. «Car, c’est votre premier pas vers la porte.»

L’augmentation des quotas de productivité d’Amazon force les magasiniers à choisir entre leur santé et remplir les normes quantitatives (numérisées). Beaucoup d’entre eux abandonnent rapidement à cause de la pression, ou se font virer.

«Si vous n’allez pas assez vite, comment allez-vous aller aux toilettes?» a déclaré Sahro Sharif, un préparateur de commandes à l’usine Shakopee. «Si vous avez peur de ne pas remplir les objectifs, je ne sais pas si vous voulez prendre ce risque. Pour les gens plus âgés, ils ne peuvent tenir les objectifs – ils ont encore plus peur de quitter leur poste.»

La bataille de l’eau

Les travailleurs de l’usine de Chicago ont déjà engagé des actions pour obtenir de l’eau potable décente.

«Il n’y avait que deux ou trois stations d’eau en bonbonnes dans l’entrepôt, qui étaient toujours sales et vides», dit Miller. Les travailleurs ont fait circuler une pétition, qui a réuni 140 signatures – environ un quart de la main-d’œuvre – et l’ont remise au cours d’une réunion lors du changement d’équipe.

L’action a eu des résultats rapides. Les dirigeants se sont empressés d’acheter de l’eau et de la distribuer à tout le monde pendant le temps de travail de l’équipe. En quelques semaines, ils avaient installé des systèmes d’eau filtrée et distribué des bouteilles d’eau à tout le monde.

Après cette victoire, les organisateurs ont rédigé une déclaration décrivant ce qu’ils avaient fait et comment ils avaient gagné, et l’ont distribuée à leurs collègues sur une demi-page de papier. «Nous avons reçu beaucoup de commentaires positifs», dit Miller. «Les gens ont commencé à suggérer qu’on s’occupe aussi d’autres problèmes.»

Les activistes de Chicago se sont inspirés des débrayages de Shakopee, et ils espèrent inspirer d’autres travailleurs d’Amazon.

«J’aimerais que les autres entendent parler de ce que nous faisons et qu’ils prennent cela sur eux», dit Miller. «Nous démontrons que c’est faisable, et que les gens devraient essayer quelque chose au lieu de ne rien faire.» (Article publié sur le site de Labor Notes, le 17 juillet 2019; traduction A l’Encontre)

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