
Par Gideon Levy
La campagne de dénigrement insensée menée par Israël contre l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA) – qui a atteint son paroxysme le 8 décembre avec le raid insensé contre son siège à Jérusalem et le déploiement du drapeau israélien[1] – trouve son origine dans une raison fondamentale qu’Israël n’admettra jamais: l’UNRWA est la principale agence qui vient en aide aux réfugiés palestiniens depuis 1948. C’est là son véritable péché; le reste n’est que prétextes et propagande. L’UNRWA a sauvé les réfugié·e·s, donc l’UNRWA est l’ennemi.
Pendant de nombreuses années, l’UNRWA a servi d’«idiot utile» à Israël, finançant l’occupation et remplissant les fonctions qui, selon le droit international, relèvent de la responsabilité de la puissance occupante. À l’époque où Israël se souciait encore quelque peu de la population, principalement pour qu’elle reste calme, et où les décisions étaient prises sur la base de la raison et non uniquement par haine, l’UNRWA avait sa place.
Puis vint le 7 octobre, et Israël mordit également la main qui nourrissait ses victimes. Israël perdit tout intérêt pour la situation des Palestiniens et cessa de les considérer comme des êtres humains. Pour Israël, l’UNRWA devint une organisation terroriste. Et l’administration Trump ne tarda pas à approuver.
Le premier prétexte avancé par la machine de propagande israélienne fut que des employés de l’UNRWA avaient été impliqués dans les événements du 7 octobre. Ce n’était pas le Hamas qui avait attaqué Israël, mais l’UNRWA! Israël a affirmé que 12 des employés de l’agence avaient participé au massacre: 12 sur les 13 000 employés de l’UNRWA à Gaza. Les médias et la propagande israéliens ont répandu le venin: l’UNRWA est Nukhba, c’est-à-dire la force d’élite du Hamas [Al-Nukhba] qui a conduit le massacre.
L’agence a licencié ceux qui auraient pu être impliqués, mais elle n’avait aucune possibilité de gagner. Personne n’a jamais demandé [Israël organise une armée de milice] combien d’employés de la Bank Leumi [banque créée en 1952 qui a repris les actifs de l’Anglo-Palestine Bank, créée en 1902] ont participé au bombardement des enfants à Gaza, combien d’employés de l’Université hébraïque de Jérusalem ont largué des bombes sur les hôpitaux dans la bande de Gaza ou combien d’employés du ministère de l’Éducation ont abattu des personnes qui attendaient de l’aide. Le sort de l’UNRWA était donc scellé. Les rumeurs, jamais prouvées, selon lesquelles des «centres de commandement» du Hamas se trouvaient dans les abris anti-bombes de l’UNRWA, seul refuge de centaines de milliers de personnes, ont également attisé l’incitation à la haine.
Puis les vieux comptes ont été rouverts: [selon le narratif officiel israélien] l’UNRWA perpétue le statut de réfugié des Palestiniens. Sans l’UNRWA, il n’y aurait plus de réfugiés palestiniens. Le statut de réfugié est la dernière preuve de la Nakba, c’est pourquoi Israël ne le supporte pas. Après avoir rayé de la carte plus de 400 villages, les camps de réfugié·e·s sont restés le seul souvenir sanglant de 1948. C’est le crime de l’UNRWA, comme le soutient également le documentaire de Duki Dror diffusé sur la chaîne publique israélienne Kan. Les Européens sont naïfs, affirme Dror, comme le disent toujours les Israéliens à propos des agences d’aide. Ils sont naïfs, seuls nous, les Israéliens, avons les idées claires.
Ce n’est pas l’UNRWA qui a perpétué le statut de réfugié des Palestiniens. C’est l’occupation. Si les Palestiniens avaient un État, celui-ci assumerait la responsabilité de ses citoyens. Le comble de l’absurdité propagandiste a été atteint lorsque Dror a déclaré dans une interview: «À l’ONU, la Palestine est considérée comme un “État observateur non membre auprès des Nations unies”, et on ne peut pas être réfugié quand on a un État. Décidez-vous: soit vous êtes un État, soit vous êtes des territoires occupés.» (Haaretz, 8 décembre 2025)
Ce n’est vraiment pas gentil de votre part, réfugiés palestiniens, de ne pas avoir encore pris votre décision! Mais Israël a décidé pour vous il y a longtemps. En 1967, il a décidé de l’occupation, et depuis lors, il n’a pas changé d’avis d’un iota. Aujourd’hui, il affirme qu’il n’y aura jamais d’État [palestinien]. Et c’est l’UNRWA qui a perpétué leur statut de réfugié. Et, bien sûr, il y a le programme scolaire de l’UNRWA, qui n’est qu’une «incitation» à la haine contre Israël. Comme si l’UNRWA était indispensable pour que les enfants palestiniens détestent Israël. Tout ce qu’ils ont à faire pour détester ceux qui leur ont fait tout cela, c’est d’ouvrir leur fenêtre, s’ils en ont encore une. L’UNRWA aurait dû leur apprendre à aimer Israël.
Un remplaçant a été trouvé pour l’UNRWA: la Gaza Humanitarian Foundation. Cette agence états-unienne a heureusement été fermée après la mort d’environ 1000 personnes. Les attaques contre l’UNRWA se poursuivent, et il n’y a pas de substitut à cette agence.
Vendredi 12 décembre, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté, à une écrasante majorité, une résolution appelant Israël à coopérer avec l’UNRWA, après que la Cour internationale de justice eut également jugé infondées les accusations portées contre l’agence. L’ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies, Danny Danon, n’a pas tardé à réagir: l’UNRWA est une organisation terroriste. Il faut simplement faire disparaître ces réfugiés de notre vue. (Publié dans Haaretz le 14 décembre 2025)
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[1] «Selon la déclaration de l’UNRWA, les forces israéliennes ont fouillé les locaux, confisqué du matériel et empêché les personnes présentes au siège de communiquer avec leurs collègues à l’extérieur. “Les forces israéliennes sont arrivées en nombre important et restent présentes sur les lieux”, a déclaré l’UNRWA. “L’entrée non autorisée et forcée des forces israéliennes constitue une violation inacceptable des privilèges et immunités de l’UNRWA en tant qu’agence des Nations unies.”» – Haaretz, 8 décembre 2025.

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