Pour Amnesty International, le Hamas a commis des crimes contre l’humanité

(Capture d’écran)

Par Gwenaelle Lenoir (Mediapart)

Dans un rapport publié le 11 décembre, l’ONG accuse pour la première fois la branche armée du Hamas d’avoir commis des crimes contre l’humanité le 7-Octobre et ensuite. Il y a un an, elle assurait qu’Israël commettait un génocide dans la bande de Gaza. 

Tous les crimes doivent être examinés, enquêtés et qualifiés, toutes les victimes ont droit à la réparation, tous les responsables doivent répondre de leurs actes et tous les États doivent faire en sorte que la justice passe : c’est le credo de base d’Amnesty International. Et l’organisation de défense des droits humains le répète en ouverture de son rapport « Des civil·es pris pour cible : meurtres, prises d’otages et autres atteintes aux droits humains perpétrés par des groupes armés palestiniens en Israël et à Gaza », publié le 11 décembre 2025.

Ce n’est pas la première fois qu’Amnesty International se penche sur les crimes commis le 7 octobre 2023 et les mois et années suivantes contre les civils. Une enquête a été publiée quelques jours seulement après les attaques commises par le Hamas et d’autres factions palestiniennes, le 13 octobre 2023. Elle y évoque déjà des « homicides délibérés, enlèvements et attaques menées sans discernement contre la population civile », un « mépris effrayant pour la vie humaine », des actes qu’elle qualifie déjà à l’époque de « crimes de guerre et violations des droits humains ».

Le dernier rapport va plus loin, décrivant les actes commis le 7-Octobre non seulement comme des crimes de guerre, mais comme des crimes contre l’humanité.

« Les conclusions de notre rapport […] sont implacables : la branche armée du Hamas, la Brigade Al-Qassam, et d’autres groupes armés palestiniens se sont rendus responsables de meurtres, d’extermination, d’emprisonnement, de disparitions forcées, d’enlèvements, de torture et de viols ou toute autre forme de violences sexuelles », lors du 7-Octobre et dans les années suivantes, écrit l’organisation.

Le document de 173 pages s’appuie sur soixante-dix entretiens menés sur place ou à distance avec des survivant·es, des otages libérés, des experts médico-légaux, thérapeutes et professionnels de santé, des centaines de photographies et de vidéos montrant des scènes des attaques et des captifs retenus dans la bande de Gaza. Téléphones portables, caméras piétons portées par les assaillants, images de télésurveillance, les sources ouvertes sont multiples. Les enquêteurs d’Amnesty ont aussi analysé des images qui leur ont été transmises directement, par des secouristes ou des survivants, ainsi que les déclarations et communiqués du Hamas et des autres groupes palestiniens.

Le rapport couvre donc une période de plus de deux ans, du 7 octobre 2023 au 2 décembre 2025. Sans pour autant omettre la situation dans laquelle se sont déroulés les assauts, qui « ont eu lieu dans le contexte de l’occupation prolongée par Israël du territoire palestinien occupé (TPO) et des violations généralisées des droits humains commises par les forces israéliennes contre les Palestiniens, y compris l’imposition d’un système d’apartheid aux Palestiniens et le blocus illégal de longue date de Gaza depuis 2007 ».

Les faits sont décrits et analysés dans leur ensemble puis dans douze lieux visés par les attaquants palestiniens, que l’organisation répertorie en trois groupes : les « combattants », qui portent uniformes, signes distinctifs et armes ; les « hommes armés » – aucune femme n’a été signalée – en vêtements civils et arborant des armes et les « assaillants », civils sans armes.

Les civils systématiquement ciblés

Les premiers, affirme Amnesty International, n’ont pas agi au hasard, mais selon un plan préétabli : « Des combattants lourdement armés, équipés de fusils d’assaut, de mitrailleuses, de grenades et de lance-roquettes ont mené des attaques systématiques et délibérées contre des civils. Ils ont tiré et lancé des grenades dans des maisons familiales, des abris sécurisés et des abris anti-bombes publics où des civils avaient trouvé refuge, et ont pourchassé ceux qui tentaient de fuir à travers champs et sur les routes. Dans plusieurs cas, ils ont sommairement exécuté des civils après les avoir enlevés. »

L’organisation réfute ainsi les arguments du Hamas qui a affirmé, à plusieurs reprises et notamment dans un document publié par le département de communication du mouvement islamiste, « Notre récit, l’opération Déluge d’Al-Aqsa »,n’avoir visé que des cibles militaires : « La grande majorité des personnes tuées étaient des civils et la plupart des lieux visés étaient des communautés résidentielles ou d’autres lieux où des civils étaient rassemblés, à savoir deux festivals de musique et une plage », écrivent les enquêteurs d’Amnesty.

Ils démontrent également que, contrairement aux dires du mouvement islamiste, la plupart des civils ont été tués par les assaillants palestiniens et non par des tirs de l’armée israélienne, responsables de la mort de douze personnes dans le kibboutz de Be’eri et de trois autres à Nahal Oz.

Le Hamas nie également avoir planifié les enlèvements et nie que ses combattants aient participé aux prises d’otages. Encore une fois, l’enquête d’Amnesty International le contredit. « Si certains civils gazaouis sans appartenance à un groupe ont peut-être été impliqués dans des enlèvements de civil·e·s, des vidéos, des photos et d’autres éléments de preuve recueillis par Amnesty International montrent sans équivoque le caractère systématique des enlèvements de civil·e·s, dont des enfants et des personnes âgées, par les Brigades Al-Qassam dans différents lieux civils », affirme l’ONG.

Celle-ci documente aussi des « actes de violence physique, sexuelle et psychologique » infligés aux otages retenu·es dans la bande de Gaza, à partir des images tournées par les geôliers, les récits des captifs et captives relâchés et ceux d’une psychiatre ayant soigné certain·es après leur libération.

Les violences décrites tout au long de l’enquête sont constitutives de crimes de guerre. Mais pas seulement : selon l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), si ces actes sont « commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque », ils sont constitutifs de crimes contre l’humanité.

Ce qui est bel et bien le cas, assure Amnesty, qui rappelle que la Cour pénale internationale a retenu cette charge de crimes contre l’humanité dans les mandats lancés en mai 2024 contre les dirigeants du Hamas – tués depuis – Yahya Sinwar, Mohammed Deïf et Ismail Haniyeh, ainsi que contre Benyamin Nétanyahou et le ministre de la défense israélien de l’époque Yoav Gallant.

L’organisation a réuni des éléments faisant état d’agressions et violences sexuelles perpétrées lors des attaques du 7-Octobre et pendant la captivité des otages, mais elle est incapable d’affirmer si elles ont, ou non, été planifiées et systématiques : « À une exception près, elle [Amnesty International – ndlr] n’a pas pu interroger des personnes disant avoir été victimes ou témoins de violences sexuelles pendant les attaques en Israël ou pendant leur détention en tant qu’otages. Elle n’a donc pas pu déterminer l’ampleur ou le nombre de ces violences. »

Là ne réside pas la seule difficulté rencontrée par l’organisation de défense des droits humains pour mener à bien son enquête : « Quand nous faisons un travail de recherche, nous faisons toujours un contradictoire, c’est-à-dire que nous confrontons les informations récoltées aux dires et aux informations que peuvent avoir les autorités concernées, explique Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer armes et conflits à Amnesty International. Nous avons donc questionné le groupe armé du Hamas et différentes branches du gouvernement israélien. Nous n’avons jamais eu accès aux informations qu’ils détiennent, ni de réponses à nos questionnements. »

En outre, souligne encore Aymeric Elluin, l’absence de rapports médico-légaux et le brouillage des scènes de crime ont entravé la recherche de la vérité.

À ceux qui s’étonnent – et critiquent – le délai de plus de deux ans avant la publication d’un rapport qualifiant de crimes contre l’humanité les attaques du 7-Octobre, il réplique : « Où sont les enquêtes, côté israélien ou côté palestinien, pour établir les responsabilités et permettre aux victimes de se réparer ? Y a-t-il une seule victime en Israël qui a pu obtenir la vérité sur ce qui s’est passé le jour du 7-Octobre ? »

De fait, le gouvernement israélien s’est toujours refusé à mettre en place une commission d’enquête pourtant réclamée par sa population et les proches des victimes. Tout en critiquant et cherchant à affaiblir les instances judiciaires internationales à même de déterminer les responsabilités et de juger les principaux responsables des violences extrêmes commises depuis le 7-Octobre. Palestiniens comme Israéliens.

« Il n’y a pas une partie qui n’a pas commis des crimes. Peu importe les crimes qui ont été commis, toutes ont commis des crimes. Et toutes les victimes ont droit à la vérité, à la justice et à la réparation », conclut Aymeric Elluin. (Article publié par Mediapart le 12 décembre 2025, un site que les lectrices et lecteurs suisses d’A l’Encontre se doivent de soutenir)

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«Israël commet un génocide à Gaza, selon Amnesty International», Mediapart, 5 décembre 2024

«Israel’s genocide against Palestinians in Gaza», Amnesty International, 2024

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