Par Eric Ruder
Lorsqu’un destroyer de la marine états-uniens a tiré, le 13 octobre 2016, des missiles contre des forces qui contrôlent la capitale du Yémen depuis 2014, le New York Times a décrit ainsi l’attaque: «c’est la première fois que les Etats-Unis ont été impliqués militairement» dans le conflit [1].
Le jour suivant, le Times est allé plus loin dans l’élaboration [2] d’un cadre erroné dès lors qu’il s’agit de comprendre la dynamique du conflit au Yémen [3] en publiant ceci dans son article principal: «Pour les Etats-Unis, il s’agissait simplement de représailles: les rebelles au Yémen avaient tiré à deux reprises contre un navire de guerre américain en quatre jours, les Etats-Unis ont ainsi riposté, détruisant par missiles les installations radars des rebelles.»
Mais l’idée que les Etats-Unis ne sont entrés directement en guerre au Yémen à la mi-octobre 2016 qu’en réaction à des attaques non provoquées contre ses navires de guerre est une chose absurde.
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Tout d’abord, le Pentagone a lui-même reconnu que les responsables américains n’étaient pas certains de l’identité de ceux qui avaient tiré sur les navires US [4]. Les forces rebelles Houthi, un groupe shiite indigène qui entretient des liens avec l’Iran, ont nié que les missiles aient été lancés depuis le territoire qu’ils contrôlent.
Ensuite, les Etats-Unis sont engagés dans une guerre par drones au Yémen depuis 2001, menant sa politique d’assassinats anonymes depuis le ciel de manière accrue depuis 2011. Actuellement, les frappes aériennes des drones américains ont fait entre 65 et 101 victimes civiles [5] et ont blessé un nombre bien plus important de personnes. Des attaques de drones non confirmées ainsi que des opérations militaires américaines ont probablement tué des centaines d’autres personnes. En 2015, les Nations Unies ont rapporté [6] que les frappes aériennes par drone des Etats-Unis ont tué plus de civils yéménites que ne l’avait fait Al-Qaida.
Enfin, les Etats-Unis restent le principal soutien de l’Arabie saoudite, depuis plusieurs décennies en général et, dans le cas particulier de la guerre de type «terre brûlée» lancée contre les Houthis en 2015. Les Etats-Unis ont fourni des renseignements ciblés, ont réapprovisionné les avions de combat saoudien qui attaquaient des positions rebelles et, récemment, signé un achat d’armes d’une valeur de 1,15 milliard de dollars [7] avec l’Arabie saoudite. Selon l’agence Reuters [8]:
«Depuis mars 2015, Washington a autorisé des ventes d’armes à Riyad d’une valeur supérieure à 22,2 milliards de dollars, dont une grande partie doit encore être acheminée. Celles-ci comprennent une vente pour 1,29 milliard de dollars de munitions de précision, annoncée en novembre 2015, dont le but spécifique est de reconstituer les stocks utilisés au Yémen.»
Quelques jours avant que des missiles ne soient tirés sur des navires américains – et ne s’abîment dans les eaux sans causer de dommages – les avions de guerre saoudiens ont attaqué des funérailles à Sanaa, provoquant la mort de plus de 140 personnes. De telles attaques aveugles contre des civils expliquent précisément pourquoi certains responsables américains ont averti l’année dernière – en d’autres termes, avant que l’administration Obama approuve le dernier gigantesque accord de vente d’armes – qu’un soutien supplémentaire des Etats-Unis à l’Arabie saoudite dans sa guerre au Yémen impliquerait des crimes de guerre de la part des Etats-Unis.
Selon The Guardian [9], «l’étude la plus complète sur le conflit, plus d’un tiers de toutes les attaques saoudiennes au Yémen ont frappé des sites civils, tels que des écoles, des hôpitaux, des marchés, des mosquées et des infrastructures économiques».
Les avertissements lancés par des analystes juridiques américains, dénichés par Reuters grâce au Freedom of Information Act, ont été toutefois ignorés par l’administration Obama qui cherchait à utiliser l’envoi d’armes afin d’acheter la complaisance saoudienne [10] au moment où les Etats-Unis tentaient de finaliser un accord sur le nucléaire avec l’Iran [11], contre lequel l’Arabie saoudite était opposé.
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Si les rebelles Houthi avaient tiré des missiles sur des navires de guerre américains ancrés dans le port de Boston, le récit médiatique pourrait avoir un rapport lointain avec la réalité. Mais les Etats-Unis stationnent leurs destroyers au large des côtes du Yémen, contribuant à la mise en place d’un blocus naval tout en veillant sur une voie maritime par laquelle passent quotidiennement 4 millions de barils.
Alors que la plus grande partie de l’attention mondiale, en particulier en occident, est concentrée sur le siège et les attaques meurtrières d’Alep, l’Arabie saoudite et les Etats-Unis mènent une politique similaire au Yémen.
Depuis plus d’un an, les organisations humanitaires et les défenseurs des droits humains sonnent l’alarme sur la famine au Yémen. Selon les Nations Unies, 14 millions de personnes – soit la moitié de la population du Yémen – sont placées dans une situation «d’insécurité alimentaire», 7 millions d’entre eux en situation «d’insécurité alimentaire extrême», ce qui ne veut dire qu’une seule chose: qu’ils sont affamés.
Jusqu’ici, environ 10’000 personnes sont mortes directement des effets de la guerre menée par l’Arabie saoudite. Le nombre des victimes, qui comprend ceux qui sont décédés faute de soins, par manque d’électricité ou en raison d’une vulnérabilité accrue aux maladies ainsi que d’autres causes indirectes, atteint au moins le double.
Tant que les Etats-Unis continuent d’accroître leur engagement militaire au Moyen-Orient – du Yémen en passant par l’Irak et la Syrie – le monde deviendra un lieu encore plus dangereux, instable et mortel rendant plus probable un affrontement interimpérialiste entre le bloc composé des Etats-Unis, de l’Arabie saoudite et de leurs relais, d’un côté, et, de l’autre, celui de la Russie, de l’Iran et de ses relais. (Article publié le 18 octobre sur le site SocialistWorker.org, traduction A l’Encontre)
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[1] http://www.nytimes.com/2016/10/13/world/middleeast/yemen-rebels-missile-warship.html
[2] http://nytimes.com/2016/10/14/world/middleeast/yemen-united-states-missiles-radar.html
[3] http://fair.org/home/hiding-us-role-in-yemen-slaughter-so-bombing-can-be-sold-as-self-defense/
[5] https://www.thebureauinvestigates.com/category/projects/drones/drones-graphs/
[8] http://www.reuters.com/article/us-usa-saudi-yemen-idUSKCN12A0BQ
[10] http://www.reuters.com/article/us-usa-saudi-yemen-idUSKCN12A0BQ
[11] https://socialistworker.org/2015/09/24/appeasement-peace-or-neither
[12] http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0
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