Brésil. L’«impeachment» de Dilma Rousseff, une nécessité et une possibilité pour réorganiser une gauche classiste et démocratique (II)

Lula et Fernando Henrique Cardoso: les «maîtres» du MLP...
Lula et Fernando Henrique Cardoso: les «maîtres» du MLP…

Par Reinaldo Gonçalves

Les principaux problèmes structurels du pays, dans le cadre du MLP (Modèle Libéral Périphérique) et des relations économiques internationales du pays, sont les suivant:

1° le déplacement de la frontière de production en direction du secteur primaire-exportateur, principalement à partir du gouvernement Lula;

2° la dénationalisation de l’économie avec les privatisations, les concessions et la pénétration de l’investissement externe;

3° le retard du système national d’innovations;

4° le passif élevé de la balance des paiements.

Le fait qui est le plus à relever c’est que le secteur dominant (le secteur primaire-exportateur) «suce» des ressources (capital, main-d’œuvre qualifiée et technologie) appartenant à d’autres secteurs plus dynamiques. De plus, il y a le fait aggravant que l’économie brésilienne dépend de manière croissante de la demande d’importation de commodities par la Chine. Il y a également le volume croissant d’investissements chinois dans l’économie brésilienne, ainsi qu’une offre plus importante de financement extérieur de la part des banques chinoises.

Le fait que le wagon brésilien soit accroché à la sous-locomotive chinoise aggrave la vulnérabilité externe structurelle du Brésil et compromet la capacité du pays à se protéger contre l’instabilité de l’économie mondiale et les pressions bilatérales. A titre d’illustration, le récent accord bilatéral Brésil-Chine est pathétique: d’un côté, les Chinois nous offrent un financement pour que nous achetions leurs biens et services et, de l’autre, le Brésil exportera du minerai de fer, du soja et du pétrole et facilitera les privatisations dans la logistique, ce qui intéresse les entreprises chinoises importatrices de commodities en provenance du Brésil.

Le Brésil redécouvre en plein XXIe siècle sa vocation de colonie. C’est ainsi que notre pays consolide son rôle de figurant sur la scène mondiale.

Certainement, les critiques ci-dessus sont plus «assorties» avec la perspective de la gauche (approche structuraliste, à long terme, associée aux conflits de classes et de secteurs) qu’avec la perspective de la droite, avec la vision libérale en particulier, qui privilégie l’équilibre budgétaire à court terme.

3. La «non-issue» économique

Les problèmes les plus graves sont structurels et affectent les sphères commerciale, productive, technologique et financière des relations économiques internationales du pays. Les tendances à l’œuvre au cours des dernières années sont allées dans le sens de l’aggravation de ces «rétrécissements» (propre au MLP) qui augmentent la vulnérabilité externe structurelle du pays, réduisant ainsi la capacité de résistance de celui-ci face aux facteurs externes déstabilisateurs.

Dans la situation de gestion des défaillances, des faiblesses structurelles, le débat brésilien sur la stabilisation macroéconomique (ajustement interne et externe simultané) est lamentable. Mais le débat est surtout faible du côté des gamins téméraires de l’orthodoxie (des petits chefs de service, candidats aux postes d’économistes en chef dans les banques) qui défendent des politiques budgétaires et monétaires restrictives et se font les avocats de petites réformettes (par exemple dans la prévoyance vieillesse, avec fonds de pension) qui augmentent les possibilités de gains pour les banques, mais n’affectent aucunement des questions structurelles. Faible, le débat l’est aussi du côté des gamines en fleur du keynésianisme qui défendent des politiques macroéconomiques expansionnistes et qui tiennent le discours vide de l’augmentation de la productivité et des dépenses dans l’éducation, sans remettre en question l’allocation des ressources et l’obstacle de la «frontière» sectorielle imposée à la production.

Le débat devient plus erroné encore lorsque se joint à ce groupe une bande de copains qui depuis l’éclosion de la crise affirment que les réserves internationales garantissent le blindage du pays face aux pressions internationales. Cette joyeuse bande méconnaît quatre faits évidents:

1° les réserves ont été accumulées, non comme résultat du solde positif des comptes des transactions courantes, mais comme résultat de l’attractivité de taux d’intérêt très élevés;

2° les réserves internationales brésiliennes ont des coûts budgétaires et des coûts liés au taux de change (réal/dollar) très élevé;

3° les réserves ne sont protégées que par un blindage de papier crêpe face aux multiples sources de vulnérabilité externe structurelle du pays;

4° si l’on déduit les réserves internationales, le passif externe financier liquide dépasse les 650 milliards de dollars états-uniens.

Quelle différence substantielle y a-t-il entre un excédent primaire de 0,5% ou de 2%? Quelle différence fondamentale y a-t-il entre un taux Selic à 10% ou à 15%? En abusant de la métaphore on pourrait demander: pour qui a des métastases cancéreuses, quelle différence y a-t-il entre une dose journalière de paracétamol de 500 ou de 1000 mg?

Le «Brésil extractif»....
Le «Brésil extractif»….

Bien plus intéressant que le dosage de la stabilisation, c’est la nature et la qualité des politiques macroéconomiques, de même que le moteur de l’augmentation de productivité et l’allocation de ressources hors du secteur primaire-exportateur (agro, pétrole, minerais). N’importe quel macroéconomiste bien à droite ayant une bonne formation technique sur la question du développement (sous l’angle de la dynamique court terme/long terme) peut demander: quel est le sens et quelle est la nature de l’équilibre simultané (externe et interne) quand l’économie est prise dans le piège d’un modèle de croissance paupérisant?

Actuellement, l’ajustement fiscal de type «coupes et baisse des coûts» est imprudent et inefficace. Cet ajustement a un coût élevé, il est basé sur le «rognage» de coûts sur des critères peu clairs et est marqué par le clientélisme, la corruption et la «petite politique». Il y a aussi la circonstance aggravante que constituent le caractère aléatoire de la recette fiscale et l’opportunisme régnant dans la gestion de celle-ci. Augmenter les impôts indirects sur les opérations courantes des banques implique immédiatement le transfert de cette charge fiscale vers la population en raison des pratiques d’abus de pouvoir économique de la part des banques [ne serait-ce que les charges liées à la gestion des comptes dans un pays où le crédit à la consommation est extrêmement répandu et d’usage quotidien].

Dans la perspective de la gauche, l’ajustement au travers de la fiscalité implique une progressivité sur les revenus du travail et une imposition plus forte sur les revenus du capital, principalement ceux des secteurs dominants (banques, agronégoce, et grandes entreprises, minières notamment). Pourquoi d’ailleurs ne pas créer un impôt sur l’exportation de commodities?

Dans ce qui touche à l’ajustement monétaire, il faut mentionner qu’un nombre de plus en plus restreint de pays utilise un régime consistant à avoir une cible d’inflation. Selon le FMI, moins de 18% des pays membres du Fonds utilisent actuellement ce type de régime. Au Brésil, le régime de fixation des taux de change est ambigu et la politique de change (actions des pouvoirs publics – pas seulement la Banque centrale – visant à modifier le taux de change de la monnaie nationale) est elle aussi imprudente et inefficace.

Il y a des moments où la politique de change et monétaire est fixée prioritairement sur l’objectif de contrôle de l’inflation; il y a des moments où elle est fixée sur l’ajustement des comptes externes et il y a des moments où le gouvernement perd totalement le contrôle sur la trajectoire de cette variable clé de la gestion macroéconomique. La situation brésilienne est encore plus grave puisqu’il y a inconsistance entre les politiques macroéconomiques, entre la politique de crédit et la politique monétaire en particulier.

Certainement que la discussion ci-dessus est très éloignée de la perspective de la droite libérale, mais elle est compatible avec la façon dont la gauche aborde les questions et avec les recommandations et lignes directrices (aussi bien stratégiques que politiques) de celle-ci

4. L’issue politique: l’impeachment de Dilma

La vague actuelle de protestations est l’unique source d’optimisme au cours des derniers mois. C’est un souffle d’espérance.

Au-delà des vulnérabilités et des fragilités structurelles propres au MLP, le Brésil s’est sali en se trompant, en se trompant à nouveau, et en se trompant plus gravement encore. Les défaillances du marché, les défaillances du gouvernement et les défaillances structurelles se multiplient. S’ajoutent à cela le manque de leadership, l’«invertébration» sociale et la dégradation institutionnelle. Sans perspectives de changements, nous pensons que le Brésil se trouve dans une situation où «rien ne va si mal que rien de pire encore ne puisse arriver».

La crise de légitimité de l’Etat est très sérieuse. Conciliation et réformettes ne résoudront pas le problème. Nous aurons besoin de décennies pour dépasser l’héritage maudit de FHC, l’héritage désastreux de Lula et l’héritage tragicomique de Dilma. Avec un triste espoir, on peut dire, il ne reste au peuple brésilien que le mécanisme du défi-réponse. Il faut immédiatement que nous entreprenions le processus de rupture avec ces héritages. La vague de protestations populaires est un des outils pour aller dans cette direction.

La rupture exige, pour commencer:

1° le changement radical des mesures visant à favoriser le secteur primaire-exportateur comme matrice de production;

2° le rejet du travers séculaire brésilien consistant à se livrer à des conciliations et à des réformettes, vice basé sur une lâcheté quasi atavique qui, à son tour, génère l’argument selon lequel «les rapports de forces» ne sont pas favorables à un changement structurel.

La direction de la CUT «mobilise» contre l'impeachment, à Brasilia, en décembre 2015
La direction de la CUT «mobilise» contre l’impeachment, à Brasilia, en décembre 2015

La voie empruntée et le travers séculaire conduisent au «ce qui compte c’est d’avancer», au bon vouloir des vents et des circonstances, sans stratégie. Le fait de naviguer au hasard nous conduit en direction d’une structure de production toujours plus rétrograde et vulnérable et d’une société toujours plus corrompue, violente et barbare.

La rupture exige aussi la mise hors jeu des incompétents, la prison pour les corrompus et les corrupteurs, la mise à l’écart des lâches et la destruction de la pseudo-moralité de la «canaillocratie» de la droite, du centre et de la gauche, dans le secteur public comme dans le secteur privé.

En septembre 2014, j’ai consulté des connaissances et amis du camp de gauche (des socio-démocrates) concernant le vote pour la présidence au second tour. Le résultat a été «match nul»: la moitié a voté pour Dilma Rousseff [en octobre 2014, pour son second mandat] et la moitié a voté nul. Moi-même j’ai défendu le vote nul.

Les raisons du vote en faveur de Dilma se fondaient sur certains arguments importants (mais pas nécessairement vrais), notamment sur l’idée qu’il faut «voter pour le moins pire». De son côté, l’argumentation en faveur du vote nul a reposé principalement sur l’argument qu’aussi bien Lula que Dilma formaient des gouvernements qui, dans leur essence, n’étaient pas très différents des gouvernements formés par les toucans [les socio-démocrates du PSD, le parti de FHC] et autres de leurs semblables (en raison de l’impératif du MLP), que le bloc au pouvoir était le même, que le modèle était le même et que les politiques étaient essentiellement identiques.

Il y avait un autre argument, celui de la nullité du leadership de Dilma et de la médiocrité sidérale du premier gouvernement de Dilma, et certainement du second, éléments auxquels s’ajoutaient tous les problèmes accumulés et l’aggravation des restrictions. La prévision (et le pari) était que le phénomène d’éclosion de la crise de légitimité de l’Etat en 2013 se répéterait. Ce fut une question de temps…

Les toucans ou n’importe quel autre groupe politique ne feraient pas de changements dans le modèle et, très probablement, il y aurait approfondissement et élargissement du MLP. La différence se ferait donc sur la maîtrise de la crise de légitimité de l’Etat. Les protestations populaires auraient des revendications plus focalisées sur les problèmes économiques (chômage, perte de revenu, fragilisation de la sécurité sociale, etc.).

Si c’est pour maintenir le MLP, le fait est que les toucans ont plus de crédibilité, qu’ils remplissent plus de conditions objectives et subjectives et qu’ils ont peut-être plus de compétences (malgré Aécio Nieves, candidat du PSD face à Dilma Rousseff, et d’autres membres de son équipe) que la coalition qui soutient le gouvernement Dilma pour mener les politiques restrictives d’ajustement structurel et approfondir le MLP.

José Serra songe à être le Premier ministre de Michel Temer, le vice-président de Dilma Rousseff qui se prépare à «l'après-Dilma», car Cunha est sous enquête pour divers méfaits
José Serra songe à être le Premier ministre de Michel Temer, le vice-président de Dilma Rousseff qui se prépare à «l’après-Dilma», car Cunha est sous enquête pour divers méfaits

Je suis en faveur de l’impeachment de Dilma. Il n’importe pas de savoir qui ou quels groupes politiques assumeront la «suite» au plan gouvernemental. Ce qui est fondamental, c’est qu’il y ait une pression continue et croissante dans les rues. Les groupes politiques sont tous contaminés et l’institutionnalité est pourrie. Qui sait si, en suivant le modèle argentin. nous ne parviendrons pas à virer Dilma et en même temps tous les Michel Temer (PMDB et vice-président de Dilma), Eduardo Cunha (président de la Chambre des députés), Renan Calheiros (président du Sénat, membre du PMDB) et autres types de cette espèce? Est-ce de l’ingénuité ? Peut-être oui, peut-être non.

Naturellement, il y a le risque qu’apparaissent des «marchands de saucisses», des démagogues, des farceurs et des aventuriers. Mais, au moins, il se crée une possibilité pour une bataille d’approfondissement de la démocratie, un renforcement des institutions, une «re-vertébration» de la société et une «re-agglutination» des forces de gauche. Il vaut la peine d’insister sur le fait que la reconstruction de la gauche brésilienne exigera des décennies. L’impeachment de Dilma est une chance unique pour que ce processus se mette en route plus rapidement.

Tabaré Vazquez, figure du «progressisme» uruguayen, et Dilma Rousseff, le 7 décembre 2015
Tabaré Vazquez, figure du «progressisme» uruguayen, et Dilma Rousseff, le 7 décembre 2015

La recommandation de s’opposer à l’impeachment en échange d’un engagement de Dilma, de sa base alliée et des secteurs dominants à promouvoir des changements structurels est, dans la meilleure des hypothèses, naïve et incohérente. Dilma est une figurante superflue (accomplissement désastreux de sa fonction, conduite grotesque et, circonstance aggravante, déficience cognitive de la présidente).

Son maintien au pouvoir signifierait une voie dangereuse et instable et aurait comme conséquence de permettre au bloc au pouvoir de consolider et de promouvoir son agenda conservateur (privatisation, prévoyance privée, affaiblissement du droit du travail, dénationalisation, etc.). C’est d’ailleurs ce qui est déjà en train de se passer si l’on considère le vide du pouvoir. Dans «l’esbroufe à bon marché», les secteurs dominants consolident et gagnent des positions et les opportunistes récoltent leurs «noisettes» (ce qui va jusqu’à l’enrichissement personnel) !

5. Il est nécessaire de mettre en échec le lulisme

L’héritage désastreux de Lula est pire que l’héritage maudit de FHC ou l’héritage tragicomique de Dilma. Le lulisme signifie:

1° la trahison et l’avortement d’un projet de transformation qui a été porté pendant plus de deux décennies par différentes forces de la gauche brésilienne;

2° le transformisme sans retour du PT (qui s’était pourtant construit sur des bases socialistes et démocratiques) qui a généré une démoralisation et un pourrissement;

3° la démoralisation, l’affaiblissement et la pulvérisation de la gauche brésilienne: une partie notable s’est soumise à l’opportunisme, à la vénalité, à la corruption et à la lâcheté. Il ne s’agit pas seulement ici des personnes actuellement condamnées, mais de toutes celles qui le seront dans le futur dans le cadre du Mensalão [les sommes données aux membres du PMDB et à d’autres pour assurer des majorités parlementaires], du Petrolão [la corruption liée à la vente du pré-sal] et de l’Opération Lava Jato [du nom des stations de nettoyage de voitures qui servaient de réseau de recyclage de l’argent], et cela ne représente que la pointe de l’iceberg…;

4° la lâcheté, avec la soumission de la gauche aux secteurs dominants et aux oligarchies politiques sous le prétexte hypocrite du rapport de forces défavorable;

5°la consolidation du pouvoir des oligarchies économiques et politiques rétrogrades sous le prétexte que la gouvernabilité soit maintenue;

6° l’augmentation du pouvoir économique et politique des secteurs dominants: banques, agronégoce, grandes firmes, notamment les entreprises minières, qui financent de manière très importante les campagnes électorales et sont sources d’enrichissement personnel;

7° le manque de colonne vertébrale de ladite société civile – cooptation, fragilisation et corruption d’organisations représentatives de la société civile comme l’UNE (organisation étudiante), la CUT (Centrale unitaire des travailleurs), le MST (Mouvement des sans terre), etc. – a conduit à la démoralisation de certaines directions et des organisations elles-mêmes;

10755708_350071595171484_1684407582_n8° l’illusion de l’inclusion sociale: des pauvres travestis en nouvelle classe moyenne avec des télévisions de deux mètres de large, qui meurent dans des corridors d’hôpitaux, qui sont humiliés par des entreprises de prestations de services publics, qui sont victimes de la violence croissante et qui subissent l’humiliation d’avoir réussi à boucler tout leur parcours scolaire pour finir par faire un travail de semi-analphabète; des pauvres qui sont tombés dans le «chant de sirène» criminel du crédit facile, qui achètent des voitures sur 72 mois pour passer cinq heures par jour dans le trafic sous la menace permanente d’être attaqués, tués, etc.;

9° l’augmentation de la vulnérabilité externe structurelle du Brésil dans les sphères commerciale, productive, technologique, monétaire et financière;

10° l’approfondissement du MLP: désindustrialisation, dénationalisation et concentration de capital (voir les livres ; La Vulnérabilité économique du Brésil, de M. Carcanholo; l’Economie politique du gouvernement Lula, de L. Filgueiras et Développement às Avessas [en sens contraire, à rebours] de R. Gonçalves [A Vulnerabilidade Econômica do Brasil (M. Carcanholo), A Economia Política do Governo Lula (L. Filgueiras), Desenvolvimento às Avessas (R. Gonçalves)]);

11° la domination croissante de la sphère financière: sous le gouvernement du PT, les actifs liquides des trois plus grandes banques privées ont pratiquement doublé par rapport au actifs liquides des 500 plus grandes entreprises. Une domination financière qui fait que des chefs de service de grandes banques sont nommés à des échelons élevés dans le secteur de la gestion économique;

12° le retour du Brésil au status [place dans une hiérarchie] de colonie avec la domination du secteur primaire-exportateur et le «remorquage» de l’économie brésilienne par l’économie chinoise – le Brésil est en train de devenir un wagon de troisième classe au sein de l’économie mondiale, avec une perte de pouvoir économique;

11378234_1456076651356830_1603669978_n13° la dégradation des institutions: des universités publiques qui débordent, des conditions précaires, des salles de cours dans des containers, etc. ainsi qu’une balkanisation de l’appareil d’Etat, et une «pollution» du législatif;

14° l’élargissement et l’approfondissement d’un système politique patrimonialiste, clientéliste, népotiste et corrompu, qui est à l’origine du Mensalão, du Petrolão, de Lava Jato, etc.;

15° la fragilisation, peut-être sans retour, de la plus grande entreprise du pays (la Petrobrás) et de certaines grandes entreprises nationales qui sont à la pointe de la mauvaise gouvernance publique, de la mauvaise gouvernance privée et de la corruption à large échelle. Ces entreprises sont tant valorisées par les nationalistes de droite et de gauche qu’elles courent un risque croissant de privatisation (Petrobrás), de dénationalisation (Petrobrás et firmes sous-traitantes) et, même de faillite. Il y a des individus au sein de la gauche et de la droite qui doivent faire le cauchemar que la Petrobrás ait été achetée par les Chinois pour un dollar, après des méga dévalorisations du taux de change, des méga flots de pétrole qui se déversent sur les côtes brésiliennes, et un rendement négatif des entrées limitées du pré-sal;

16° le choix malheureux qui a stimulé et promu l’opportunisme (népotisme) et a donné naissance à une figurante superflue (Dilma, qui dès le début du premier mandat est apparue clairement comme un héritage tragicomique), la crise de légitimité de l’Etat brésilien et le risque croissant de crise institutionnelle.

Certainement, les «marqueurs» du Lulisme agressent plus les valeurs et les intérêts de la gauche que les valeurs et les intérêts de la droite.

6. Synthèse

La conclusion centrale du chapitre 1 (voir plan en fin de texte) est que les typologies des camps politiques et des idéologies doivent être flexibles. Il y a un nombre infini de tons de gris, puisqu’il existe d’infinies combinaisons de blanc et de noir. Seuls les «daltoniens qui ne voient que le gris» rejettent l’existence du blanc et du noir. Les camps de la politique et de l’idéologie sont gris puisqu’il y a d’infinies combinaisons d’intérêts (la politique) et de valeurs (l’idéologie). Il y a des combinaisons plus proches du type idéal de gauche ou plus proches du type idéal de droite. Seuls les «daltoniens qui ne voient que le gris» rejettent la dichotomie classique gauche versus droite. La dichotomie classique «gauche versus droite» fait partie de la réalité du XXIe siècle.

• Cette insistance sur la dichotomie classique est importante et nécessaire parce qu’elle permet l’identification claire dans l’approche analytique dominante qui est adoptée dans les chapitres ultérieurs qui examinent la crise brésilienne. Cette approche comprend: une méthode basée sur l’économie politique (interaction entre économie et politique), un accent mis sur les questions structurelles et une dynamique des conflits d’intérêts (classes, groupes, secteurs, etc.).

Plus spécifiquement, les analyses, les critiques et les propositions discutées dans les chapitres 2 à 5 sont, de manière générale, propres au camp politique de gauche. C’est-à-dire que les questions économiques, politiques et institutionnelles sont abordées à partir d’une perspective de gauche. Cela n’exclut naturellement pas le fait que certaines questions puissent aussi intéresser le camp de la droite et même que les valeurs de celle-ci soient parfois heurtées.

• Dans le chapitre 2, l’argument central est que la discussion sur la profonde et ample déstabilisation macroéconomique au Brésil est médiocre. La principale raison est que cette discussion néglige les déterminants structurels de la crise brésilienne, le rôle des secteurs dominants et les conflits d’intérêts. Le MLP – introduit sous le gouvernement FHC, et approfondi et élargi sous les gouvernements Lula et Dilma – est déterminant quant à la vulnérabilité externe structurelle de l’économie brésilienne et aux fragilités de celle-ci. Il y a également dans tout cela l’élément aggravant que constituent les erreurs de politique économique.

• Le chapitre 3 traite de l’hypothèse selon laquelle il n’y a pas d’issue économique possible pour le pays si le centre des orientations continue à être la politique d’ajustement macroéconomique de court terme. Cet ajustement est centré sur des politiques budgétaire et monétaire restrictives. Au-delà des «défauts et insuffisances» du gouvernement et du marché, le Brésil souffre de défaillances structurelles. Le MLP condamne le Brésil à une trajectoire d’instabilité et de crise sur le court et sur le moyen terme ainsi qu’à un développement à rebours sur le long terme. Ce qui est structurel conditionne ce qui est conjoncturel. Dans le champ de l’économie, il est nécessaire de changer le modèle en général et le biais favorisant le secteur primaire-exportateur, en particulier. Il ne s’agit pas d’une question abstraite: bien au contraire, c’est l’impératif de changements de stratégie, de politiques, de structures de production et du système institutionnel.

• Le chapitre 4 traite de l’issue politique de la crise sur le court et le moyen terme. Cette issue requiert l’impeachment de la présidente Dilma – une figurante superflue (manière de mener les affaires médiocre, conduite grotesque et déficience cognitive). Cette figurante superflue aggrave la crise de légitimité de l’Etat et porte ainsi une grande responsabilité dans le cadre de la crise systémique.

• Dans le chapitre 5, l’argumentation porte sur le fait que le lulisme restreint gravement la possibilité d’une solution à la crise systémique brésilienne. Le lulisme constitue l’une des principales causes du processus de développement à rebours. Le lulisme empêche la «ré-agglutination» des forces progressistes dans le pays et, de plus, sa destruction est nécessaire pour la reconstruction de la gauche brésilienne.

• La solution pour la crise systémique brésilienne requiert:

1° l’impeachment de Dilma, la figurante superflue;

2° la mise en échec et l’isolement du PT, ainsi que battre en brèche la perte de principes moraux, le pourrissement et l’anti-fonctionnalité de la gauche brésilienne;

3° le combat frontal contre la corruption – condition pour la déstabilisation du système patrimonialiste et pour la réduction du pouvoir des oligarchies politiques et des secteurs dominants (banques, entreprises, agronégoce, entreprises minières);

4° l’investigation, l’établissement d’un acte d’accusation, le jugement, la condamnation et la prison pour Lula – ce qui est une condition pour la reconstruction des forces politiques de gauche.

Ce sont là les thèmes prioritaires à l’agenda des protestations populaires. La réalité a suscité la lumière! Dans ce qui se réfère à la réalité et aux solutions à la crise systémique brésilienne, le fait est qu’une partie du peuple a une compréhension bien plus claire et précise que celle exprimée par beaucoup de politiciens et d’analystes, y compris de gauche.

L’utilisation péjorative d’adjectifs comme «udeniste» [adjectif formé sur l’acronyme du parti de droite UDN, Union démocratique nationale, très conservateur, favorable au coup d’Etat de 1964] et «moraliste» constitue de la mauvaise foi ayant pour but de disqualifier la protestation populaire centrée sur le combat contre la corruption. Il y a un fait, un seul et unique fait: la corruption est un délit pénal. Dans l’histoire brésilienne récente il n’y a que des circonstances aggravantes. Il n’y a pas de criminels de gauche ou de droite. Il n’y a que des criminels qui doivent être punis!

L’appui des forces politiques du centre et de la droite à l’agenda populaire n’est pas une raison pour essayer de disqualifier les protestations populaires, pacifiques et démocratiques et, encore moins, de rejeter l’agenda lui-même.

L’argument selon lequel cet agenda est appuyé par les conservateurs ou par la droite est, dans le meilleur des cas, une erreur d’analyse qui peut être une erreur historique. La gauche doit participer aux protestations et appuyer les revendications.

Le point central est que la gauche a beaucoup plus de raisons pour appuyer l’agenda populaire que la droite! Le combat contre l’héritage maudit de FHC, l’héritage désastreux de Lula et plus encore l’héritage tragicomique de Dilma laisse un unique souffle d’espérance: qui sait, dans 10 ou 20 ans, les forces progressistes, et principalement la gauche brésilienne, auront peut-être réussi à se remettre ensemble et à reconstruire.

Dilma est une figurante superflue alors que Lula est le protagoniste du drame du développement à rebours au Brésil. Lula est un personnage dramatique, descendant du Marchand de saucisses d’Aristophane (478), du Falstaff de Shakespeare, du Tartuffe de Molière et du Père Ubu de Jarry. Ce que nous avons sur la scène mambembe de la politique brésilienne, c’est un drame grotesque!

Au Brésil, la gauche aura besoin de décennies pour se reconstruire. L’impeachment de Dilma et la condamnation de Lula sont des conditions nécessaires pour la reconstruction de la gauche brésilienne. Au vu du fait que la dégradation du Brésil est économique, sociale, politique, environnementale, institutionnelle et éthique, nous devons impérativement commencer ce processus immédiatement. (Publié dans Correio da Cidadania le 23 décembre 2015; traduction A l’Encontre)

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Reinaldo Gonçalves est professeur titulaire à l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ) et auteur du livre Desenvolvimento às Avessas (Rio de Janeiro : LTC, 2013). Durant presque deux décennies, il a été membre du PT. L’auteur se repent de plus en plus de cette filiation qu’il ressent comme honteuse. Il a quitté le parti en février 2005.

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Plan
Introduction
1. La gauche versus la droite
2. La déstabilisation macroéconomique et les problèmes structurels
3. La «non-issue» économique
4. L’issue politique: l’impeachement de Dilma
5. La nécessité de défaire le lulisme
6. Synthèse

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