Par Sabah Sabet et Nicolas Devreese
Le mardi 12 juillet 2011, des milliers de manifestants marchèrent en direction des bâtiments du gouvernement, réclamant la démission du Conseil supérieur des forces armées (CSFA). Cette marche fait suite à une mise en garde du CFSA qui indiquait qu’il utiliserait tous les «moyens légaux» pour mettre fin à l’occupation de la place Tahrir. L’investissement de la place s’est organisé – et poursuivi – suite à l’imposante manifestation du vendredi 8 juillet 2011. Le slogan largement repris lors de la marche: «A bas, à bas, le gouvernement des militaires!» Il visait, entre autres, le chef du CSFA, le maréchal Hussein Tantaoui qui, durant 20 ans, fut le ministre de la Défense de Moubarak. Des mobilisations analogues eurent lieu à Alexandrie et à Suez.
La coalition des «jeunes de la révolution» a annoncé, le mercredi 13 juillet, que la mobilisation prévue pour le vendredi 15 juillet sera celle de la «dernière mise en garde», selon le quotidien Al Masry Al Youm. (Rédaction).
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Le discours attendu du chef du gouvernement intérimaire, Essam Charaf, n’a pas réussi à désamorcer le regain de mécontentement dans le pays. Celui-ci fait suite aux décisions de la justice innocentant d’anciens responsables et officiers de police accusés de corruption dans le premier cas et de meurtre de manifestants dans le deuxième.
Le vendredi 8 juillet, la journée destinée à «sauver la révolution» s’est soldée par une série de sit-in sur les principales places – dont celle de Tahrir au centre du Caire, en priorité – des milliers de manifestants ayant refusé de rentrer chez eux avant que leurs revendications ne soient satisfaites.
A la tête de ces demandes, les dizaines de milliers de manifestants exigent le procès immédiat des membres du régime Moubarak, parmi lesquels l’ancien ministre de l’Intérieur, Habib Al-Adely et tous les responsables du massacre de près de 900 manifestants durant la révolution du 25 janvier. A ce jour, seul un sous-officier a été condamné… par contumace. Certains veulent même instaurer des tribunaux révolutionnaires. Les manifestants critiquent également les procès contre des civils traduits devant les tribunaux militaires.
Dans la nuit de jeudi 7 au vendredi 8 juillet, l’accès à la place Tahrir n’est permis qu’aux piétons. Des points de contrôle, sous l’initiative de civils, ont été érigés tout autour pour sécuriser les manifestants contre les provocations. Un chapiteau blanc pour protéger les manifestants de la chaleur a également été dressé. Un village de tentes représentant les différents courants politiques ainsi que les familles des martyrs a été monté. De grandes bannières avec les revendications flottent sur la place: «Les innocents sont derrière les barreaux et les accusés sont libres»; «Réalisez les objectifs de la révolution ou partez» ; «Lenteur équivaut à conspiration»; «Le peuple veut le jugement de Moubarak»… Une atmosphère digne des premiers jours de la révolution du 25 janvier.
Des piliers de l’ancien régime détiennent toujours les rênes du pouvoir à la tête du système judiciaire, de l’appareil policier, de l’administration locale et des médias. Les manifestants exigent donc la chute de ces symboles.
La pression de la rue a conduit le premier ministre, Essam Charaf, à prononcer un discours où il a tenté de calmer les manifestants en annonçant une série d’engagements. Le limogeage des policiers accusés de meurtre durant la révolution du 25 janvier était le point essentiel de son discours.
Mais loin de convaincre, le discours du premier ministre a été accueilli avec indifférence, voire déception, par la place Tahrir, et avec scepticisme de la part des citoyens qui l’ont suivi à la télévision.
Grève de la faim
A Tahrir comme ailleurs à Suez ou à Alexandrie, le discours de Charaf n’a fait qu’augmenter la détermination des manifestants qui ont décidé de poursuivre leur sit-in.
A Alexandrie, ils étaient plusieurs centaines au sit-in organisé dans les jardins de la place Saad Zaghloul, où 12 activistes auraient entamé une grève de la faim. A Suez, les quelques centaines de citoyens qui campaient devant le siège du gouvernorat se sont dirigés vers Port-Fouad, où ils ont été encerclés par des militaires dépêchés pour sécuriser les activités maritimes du Canal. De plus, certains ont bloqué la route reliant Suez à Aïn-Sokhna, avant d’être dispersés par une unité de l’armée.
«Nous refusons la stratégie du gouvernement qui ressemble beaucoup à celle qu’a adoptée le régime déchu durant les jours de la révolution… celle qui consiste à apaiser la tension en nous lançant des os à ronger, à faire des promesses et des mini-mesures. Ce n’est plus acceptable. Nous exigeons un changement radical», lance, depuis Tahrir, Walid Rached, coordinateur du mouvement du 6 Avril.
Afin d’accélérer les procès en cours, Charaf avait, en effet, déclaré s’être mis d’accord avec le président de la Cour d’appel pour donner la priorité aux procès des policiers et des responsables corrompus de l’ancien régime. Le choix d’une équipe composée des «meilleurs» magistrats du Parquet général pour s’occuper de ces procès a également été annoncé par le premier ministre lors de son discours. Charaf a en outre indiqué avoir ordonné le versement d’indemnités aux familles des «martyrs» qui ont succombé sous les balles de la police ou dans d’autres circonstances liées à la révolution.
Pour finir, concernant les revendications de justice sociale qui comprennent l’accès aux services de santé et à l’enseignement, les hausses salariales ou encore les retraites, le chef du gouvernement intérimaire a demandé, dans son discours, au ministre de la Solidarité sociale de présider un comité composé de tous les ministres concernés pour étudier les demandes des manifestants.
Mais toutes ces mesures n’ont pas réussi à décourager les Egyptiens à descendre massivement dans la rue. Si le gouvernement ne répond pas immédiatement à l’ensemble des revendications, les manifestants menacent de recourir à d’autres moyens d’action. Certains manifestants brandissent déjà les «armes» de la grève de la faim et de la désobéissance civile.
«Depuis la chute de Moubarak, rien n’a changé, comme s’il n’y avait pas eu de révolution. Depuis 6 mois, nos revendications sont les mêmes, mais le gouvernement fait la sourde oreille et ne donne pas suite à nos demandes», affirme Mohamad Abdel-Fattah, jeune graphiste. Il ajoute que malgré le fait qu’il n’appartient à aucun mouvement politique, il soutient l’idée d’occupation de la place jusqu’à la réalisation de l’ensemble des demandes.
Conseil militaire longtemps ménagé
Depuis les premières semaines qui ont suivi le départ du président Moubarak, c’est la première fois que les manifestants campent sur les places principales du pays. Selon les manifestants présents, ce sit-in a ravivé l’esprit de la révolution du 25 janvier. «Je suis heureux car ce rassemblement m’a enfin permis de retrouver mes amis, rencontrés durant la révolution, contrairement aux manifestations des vendredis passés qui n’attiraient pas l’ensemble des jeunes révolutionnaires», raconte Mohamad Wasfi, étudiant en sciences politiques.
Autre nouveauté: cette fois, les principaux slogans visent directement le Conseil militaire (le Conseil Suprême des Forces Armées – CSFA – en charge du pays depuis le 11 février 2011), et longtemps ménagé par les manifestants qui préféraient diriger leurs critiques vers le gouvernement intérimaire.
L’appel à manifester avait été lancé de longue date par les révolutionnaires pour donner un second souffle à la révolution. Les forces politiques étaient divisées entre les partis qui souhaitent qu’une Constitution soit rédigée avant les élections législatives et les partisans des «élections d’abord». Mais cette ligne de démarcation s’est estompée en faveur d’un slogan fédérateur : «la révolution d’abord».
Ce tournant a fait suite aux événements survenus la semaine dernière, dans un climat politique tendu. En effet, deux jours d’émeutes [ le siège des forces de sécurité est attaqué, le 6 juillet] à Suez, ont suivi la libération sous caution de 7 policiers pendant leur procès pour le meurtre de manifestants. Des ex-responsables de l’ancien régime ont également été acquittés, dont Anas Al-Fiqi, ex-ministre de l’Information, Boutros-Ghali, ex-ministre des Finances, et Ahmad Al-Maghrabi, ex-ministre du Logement, accusés de malversations financières.
La plupart des observateurs considèrent que le fait de ne pas répondre rapidement aux revendications populaires présente un grand danger. «Les exigences des manifestants vont accroître face à l’indifférence des pouvoirs publics. Si les dirigeants ne réagissent pas rapidement, le même scénario de la révolution va se reproduire», explique Hicham Younès, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
Conscient de ce danger potentiel, le premier ministre s’est entretenu dimanche 7 juillet avec une délégation des «jeunes de la révolution» issus de plusieurs courants politiques. Ils ont réitéré leurs demandes relatives à la purge du ministère de l’Intérieur, à l’accélération des procès des ex-responsables et au limogeage de tous les responsables qui continuent «à gérer le pays avec la mentalité du régime déchu». Face à ces exigences, Charaf a répondu, mais par d’autres promesses : un important remaniement ministériel avant le 17 juillet [au sein de l’actuel gouvernement se trouve de nombreux membre du Parti National Démocratique de Moubarak, parti officiellement dissout]; un autre remaniement au niveau des gouverneurs avant le 25 juillet… Et une dernière promesse de démissionner au cas où il n’y parviendrait pas. Du côté des manifestants, rien ne semble mériter un retour chez soi .
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