Egypte: le masque est tombé

Moshen El-Fangari, porte-parole du CSFA

Déclaration de l’organisation Socialistes révolutionnaires

Le gouvernement égyptien et le Conseil suprême des forces armées (CSFA) se partagent les rôles. Le second insiste sur l’ordre et menace les «protestataires» – ceux et celles qui ont relancé la mobilisation depuis le 8 juillet 2011 – et le premier répond, partiellement, à certaines revendications populaires, lorsque la pression se fait forte.

Ainsi, le 13 juillet 2011, le ministre de l’Intérieur, Mansour al-Essawy, a annoncé que 505 généraux, 82 généraux de brigade et 82 colonels seraient relevés de leurs fonctions. Ils sont contraints à prendre une retraite anticipée, mais avec les avantages matériels qui y sont attachés. Sur les 669 officiers «remerciés», seuls 27 sont impliqués dans les tueries au cours de la montée révolutionnaire de 18 jours, selon le ministère de l’Intérieur.

Cette affirmation suscite quelques interrogations – pour utiliser un euphémisme – auprès de divers analystes. Mohamed al-Quassas, porte-parole de la Coalition des Jeunes de la Révolution du 25 janvier, déclare au quotidien Al Masry Al Youm (14 juillet 2011): «Il y a encore des mesures à prendre pour purger le ministère de l’Intérieur.» En effet, le pouvoir, pour l’heure, annonce simplement le changement de poste de quelque 4000 officiers qui seraient impliqués dans la répression. «La mutation de quelqu’un qui est impliqué dans un assassinat ne va pas aboutir à la purge d’un ministère», souligne Magda Boutros de l’Egyptian Initiative for Personal Rights. Un débat public, sur le thème d’une purge effective du ministère de l’Intérieur, sera lancé dans diverses villes, dans les jours qui viennent.

Selon divers rapports de presse, des manifestations sur des revendications sociales et démocratiques – avant le vendredi 15 juillet qui sera une nouvelle journée de mobilisation – ont eu lieu dans de multiples villes: Suez, Port Saïd, Ismailia, Mansoura, Assiout, Al-Minya, Beni Suef, Assouan. Cela indique la dimension nationale de la mobilisation et l’importance de l’affrontement actuel, qui dépasse la seule question du report des élections, comme le mentionne l’essentiel des médias.

Nous publions ci-dessous la Déclaration de l’organisation Socialistes révolutionnaires. Elle situe bien les enjeux fondamentaux de la conjoncture présente et de l’affrontement avec le CSFA qui vise, lui et ses alliés, à exproprier et congeler le processus révolutionnaire. (Rédaction)

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Il y a peu de temps encore le porte-parole du Conseil militaire, le général de division Moshen El-Fangari saluait les martyr·e·s de la révolution et faisait fondre les cœurs des Egyptiens en évoquant les souvenirs des journées qu’ils avaient passées à scander des mots d’ordre vantant l’unité entre l’armée et le peuple. Aujourd’hui [12 juillet 2011], il a tenu un tout autre langage aux révolutionnaires: il menaçait qu’il «prendrait toutes les mesures pour faire face aux menaces qui cernent la patrie à moins que cette contestation du processus en cours ne cesse… tout comme les rumeurs et les idées fausses qui conduisent à la discorde, à la rébellion et à promouvoir les intérêts d’une étroite minorité au détriment de l’ensemble du pays.» Il a appelé les honnêtes citoyens à œuvrer pour un retour à la vie normale pour les enfants de «notre grand peuple» et en brandissant son index à l’égard de gens comme Moubarak, il insiste sur le fait que «les forces armées ne permettront à personne de saisir le pouvoir ou de fouler aux pieds l’autorité légitime, en dehors du cadre de la légitimité légale et constitutionnelle.»

C’est ainsi que se terminait le discours, prononcé 24 heures après la brève annonce d’Essam Charaf [premier ministre], qui confirmait que le ministère de Charaf n’est qu’un masque destiné à cacher la face sombre du règne militaire. Toutefois, au cours des événements de ces derniers six mois, le peuple a appris à décrypter cette répartition des rôles entre celui du «bon flic», tenu par le premier ministre, et celui du «mauvais flic» tenu par le représentant du Conseil militaire [le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, ex-ministre de la Défense Moubarak durant deux décennies, dirige le CSFA; El-Fangari est le porte-parole du CSFA].

La position des révolutionnaires est que, cette fois-ci, il ne peut y avoir de recul. Nous occuperons les rues jusqu’à ce que les revendications de la révolution soient exaucées, pour rendre justice aux martyr·e·s qui ont versé leur sang pour la liberté sur les places d’Egypte. Nous n’accepterons pas moins que des procès justes et publics pour les criminels du régime Moubarak et les assassins des martyrs. Nous ne renoncerons pas à nos revendications en faveur de la justice sociale et de la dignité humaine qui exigent l’application de salaires minimums décents et de conditions de travail convenables, ainsi que la suppression des contrats à durée déterminée esclavagistes. Nous défendrons notre droit à la grève et à l’occupation [des usines, des terres…]. Ces droits n’ont pas été accordés. Or, ils ont été gagnés par des années de lutte dans la rue, des années qui ont eu le goût amer d’arrestations, de torture et d’inculpations. Aucune loi émise par le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) pour criminaliser les grèves et les occupations et aucune punition qu’il impose ne peut enlever ce droit à un peuple libre.

Les tribunaux militaires qui volent des années de vie à nos jeunes [des centaines de jeunes ont été condamnés, depuis janvier 2011, à de lourdes peines de prison] auraient dû être réservés au président déchu pour son rôle à la tête des forces armées. Cela, au lieu de le laisser jouir du luxe d’un procès civil. Protégé par le CSFA, Moubarak bénéficie du luxe d’un procès civil, dont la date a d’ailleurs été reportée, une fois pour cause de maladie, une autre suite à la rumeur prétendant qu’il était à l’agonie.

Non, nous ne «remettons pas en question le processus en cours». Mais nous affirmons que celui-ci a été freiné et mis en question dans le but de protéger de la justice les officiers de police meurtriers. Nous déclarons au monde que dix mille des enfants de ce pays croupissent dans des prisons militaires après avoir subi les pires tortures. Nous savons que le système fait un maximum d’efforts pour empêcher les gens de se réapproprier les richesses qui leur ont été dérobées depuis des décennies. Nous savons que seuls des participants à la révolution sont traduits devant les tribunaux militaires, alors que les tueurs ont le droit aux tribunaux civils, et sont relâchés, sous caution, entre les séances des tribunaux.

Nous ne répandons pas de «fausses rumeurs», mais au contraire la vérité que vous tentez de dissimuler: la vérité est qu’après le 25 janvier 2011 la pauvreté, la répression, la torture et les détentions existent encore partout, comme avant. Avant, nous avions les prisons d’Etat, maintenant nous avons des prisons militaires ; à la place des procureurs de la sécurité de l’Etat, nous avons des procureurs militaires ; et à la place des tribunaux d’exception nous avons des tribunaux militaires. Les lois d’urgence ne suffisaient pas à nos dirigeants militaires: ils leur ont ajouté de nouvelles lois qui criminalisent les grèves et les occupations dans une tentative de réduire les libertés des Egyptiens. Il s’est avéré que le budget, dont le gouvernement nous avait promis qu’il serait équitable, opère des coupes dans les dépenses de santé, de l’éducation et des retraites afin de dégager des fonds pour le Ministère de l’intérieur et de l’Armée.

Les intérêts des gens ne sont pas  «étroits». Les revendications pour une miche de pain, pour des soins de santé, pour l’éducation et des logements dignes d’êtres humains, pour la liberté d’expression, pour le droit à un emploi et l’obtention de la justice sont au cœur des revendications de la révolution. Elles ne peuvent être mises sur le même pied que les intérêts individuels étroits des hommes d’affaires et de leurs associés qui pillent les richesses du peuple. Ces individus sont terrifiés par les chutes des cours du marché boursier. Mais ils restent impassibles devant le sang de 1’200 martyres ou devant le fait que moitié de la population vit au-dessous du niveau de pauvreté… ou que des jeunes perdent des années de leur vie en prison. La seule chose qui les préoccupe c’est que leurs comptes en banque continuent à grossir et qu’ils puissent continuer à drainer le sang et la sueur des travailleurs pour un salaire aussi bas que possible.

Enfin, les révolutionnaires n’ont pas «pris le pouvoir» ; il leur appartient de droit. Ce pays devrait être gouverné par ceux qui ont versé leur sang pour lui. Si quelqu’un a «pris le pouvoir», c’est plutôt le CSFA et ses partisans, auxquels personne n’a demandé de gouverner le pays, mais qui ont volé – ou tenté de voler – la révolution par la force, en profitant de l’euphorie du peuple après le renversement du dictateur.

Il semble que celui qui tend son index et menace les révolutionnaires considère qu’ils ne comprennent ce que c’est que de perdre leurs enfants, non sur le champ de bataille contre une armée étrangère, mais sur la terre de leur patrie, aux mains d’officiers de police dont les salaires étaient payés avec nos impôts. En fait El-Fangari ne comprend pas ce s’est passé le 25 janvier 2011. Ce jour-là, le peuple d’Egypte s’est soulevé, déterminé à n’être plus jamais réduits à l’esclavage, dépouillé ou exploité. Le 25 janvier, le peuple égyptien a regagné sa dignité et sa confiance dans le fait qu’il pouvait renverser les symboles de la dictature. La tête est tombée, laissant derrière elle le corps corrompu. Le peuple a juré de ne pas s’arrêter avant la chute du régime, et si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera demain.

Gloire aux martyrs ! Victoire pour la révolution ! Pouvoir au peuple ! (12 juillet 2011)

(Traduit par A l’Encontre )

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