France-dossier-vidéo. «Toujours nombreuses et nombreux, déterminé·e·s à gagner le retrait»

Communiqué de l’intersyndicale le 6 avril au soir

L’intersyndicale, porteuse de revendications claires: pas de recul de l’âge de départ, pas d’allongement de la durée de cotisations, a été reçue hier par la Première ministre. La demande réitérée de retrait de la réforme s’est heurtée à un refus net de l’exécutif.

Pour l’intersyndicale, il s’agit là d’un déni et d’un mépris total du rejet massif porté par toutes nos organisations, par les travailleurs et travailleuses et par l’opinion publique. Pourtant, cette opposition largement majoritaire s’exprime dans le pays, depuis le 19 janvier, avec déjà 11 puissantes mobilisations à l’appel de toutes les organisations syndicales et de jeunesse, mais aussi au travers des actions et des grèves.

Aujourd’hui encore, ce sont près de 2 millions de travailleurs et travailleuses, jeunes et retraité.e.s. qui se sont mobilisés dans le calme et la détermination pour dénoncer cette réforme injustifiée, les régimes de retraite n’étant pas «au bord de la faillite» comme le prétend le gouvernement.

Le contexte est inédit. Dans ce climat de fortes tensions que l’on peut qualifier de grave crise démocratique et sociale, l’exécutif s’arc-boute et porte seul la responsabilité d’une situation explosive dans l’ensemble du pays.

Cette réforme est perçue, à juste titre, comme brutale et injuste par les travailleurs et travailleuses et la jeunesse qui ont tous et toutes bien compris qu’ils et elles devront travailler plus longtemps sans que jamais le patronat, ni les employeurs publics ne soient mis à contribution.

L’intersyndicale a soumis au Conseil constitutionnel, qui rendra sa décision le 14 avril, des argumentaires considérant que cette loi devrait être déclarée contraire à la Constitution.

L’intersyndicale appelle à une journée de mobilisations et de grève le 13 avril et soutient toutes les actions et initiatives intersyndicales de mobilisations, y compris le 14 avril, pour gagner le retrait de cette réforme.

Elle se réunira à l’issue de la décision du Conseil constitutionnel. (Paris, le 6 avril 2023)

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«Et non, Macron, nous ne sommes pas fatigué·es! Rendez-vous le 13 avril!»

Communiqué de l’Union syndicale Solidaires, le 6 avril

Après la rencontre avec la première ministre qui n’aura comme prévu rien donné, les mobilisations de ce jeudi 6 avril ont été une nouvelle fois très nombreuses et massives. Plus d’un million de manifestant·e·s, des actions de blocages et des envahissements de sites emblématiques comme Natixis et BlackRock, des grèves toujours importantes dans le nettoyage ou dans les transports!

Tout cela alors que 7 personnes sur 10 se déclarent opposées à la réforme des retraites, 60% souhaitent que la lutte contre la réforme des retraites continue! La réponse de Macron? vous n’aviez qu’à pas m’élire! N’étant jamais en reste d’une outrance, il fait donc la guerre au mouvement social et peut compter sur son ministre de la police, Darmanin dont l’abjection est à l’image de Macron, sans limite. Mais face à la bêtise et la brutalité du pouvoir, le mouvement social oppose sa détermination à obtenir le retrait de la réforme. Face au rapport de force social, si Macron veut encore s’en sortir, il n’a d’autre choix que de respecter la volonté légitime de son peuple, à savoir retirer sa réforme dont plus personne ne veut! Et en plus il fera gagner du temps au Conseil Constitutionnel. En attendant, nous allons continuer à bloquer, manifester et grèver. Et si le 13 ne suffit pas, on reviendra le 14! (6 avril)

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Olivier Besancenot sur BFM-TV, le 6 avril: «Macron a perdu, mais nous n’avons pas encore gagné»

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Dans l’Oise, avec Sophie Binet, «on est prêts à faire trois mois de grève pour gagner deux ans»

Par Cyprien Boganda

Bloqué depuis plus de trente-trois jours, le site de stockage de gaz de Storengy, dans l’Oise, a reçu la visite de la nouvelle secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, jeudi 6 avril.

Il règne une effervescence inhabituelle aux abords du site de stockage de gaz souterrain de Storengy, à Gournay-sur-Aronde (Oise), ce jeudi matin. Pour sa première visite sur le terrain depuis son élection, la nouvelle secrétaire générale de la CGT est précédée d’une nuée de caméras et de téléobjectifs, désireux de ne pas perdre une miette de ses échanges avec les salariés.

33 jours de grève

«Il va falloir que je m’habitue à la sono», s’amuse Sophie Binet, sourire jusqu’aux oreilles, alors qu’elle prend la parole devant l’assemblée. «Bravo pour ces 33 jours de grève, lance-t-elle. Cela accroît la pression sur le gouvernement et le patronat. C’est en articulant grèves reconductibles et journées d’action nationales qu’on y arrivera.»

«?Les grèves dans l’énergie ont déjà coûté un milliard d’euros au secteur depuis le début du mouvement, complète Sébastien Menesplier, responsable de la fédération mines-énergie et dirigeant confédéral de la CGT. La grève nous coûte à nous, mais aussi à nos entreprises!

Chacun opine du chef, conscient des efforts financiers induits par la mobilisation, mais galvanisé par l’impact économique du mouvement. Selon Frédéric Ben, de la CGT Storengy, le conflit en cours dans le secteur du gaz coûterait 10 millions d’euros par semaine à Elengy, filiale de GRTgaz [filiale à 61% du groupe Engie, produit d’une fusion Gaz de France et Suez] exploitant les terminaux méthaniers. «Trente-trois jours de blocage sur 11 sites de stockage et trois terminaux méthaniers, c’est énorme, explique-t-il. En ce moment, une centaine de méthaniers stationnent en Méditerranée et dans l’Atlantique, sans pouvoir décharger.»

«Tenir jusqu’au retrait»

Au micro, Sophie Binet loue le régime spécial des industries électriques et gazières, que l’exécutif aimerait déboulonner dans le cadre de sa réforme. «Votre régime fait partie de ces régimes pionniers qui ont tiré vers le haut les droits de l’ensemble des salariés, pendant des décennies», souligne-t-elle. «Et le régime spécial des sénateurs, on en parle?» lance quelqu’un, goguenard. «Une retraite de sénateur pour tout le monde, voilà une belle revendication», riposte la secrétaire générale, tout sourire.

Malgré l’ambiance bon enfant, la fatigue creuse les visages. Les semaines de grève qui s’enchaînent commencent à peser sur les comptes en banque. «J’ai perdu quasiment l’équivalent d’un mois de salaire», calcule un salarié, électricien sur le site depuis quatre ans.

«Emmanuel Macron, il va faire tout noir chez toi»

Mais la remarque tient plus du constat: «Défendre sa retraite a un coût, poursuit-il. Je tape dans mes économies, ce n’est pas facile tous les jours avec 900 euros de crédit immobilier, la nourrice à payer, les courses, etc. Mais nous sommes prêts à faire trois mois de grève pour gagner deux ans de retraite!»

De l’avis général, la reprise du travail n’est pas pour demain. «Nous sommes résolus à tenir jusqu’au retrait, confirme Ronan Macé, délégué central CGT Enedis [filiale d’EDF pour le réseau de distribution de l’électricité], venu soutenir ses collègues. Dans l’électricité, nous avons démarré une grève le 19 janvier. Même si le Conseil constitutionnel valide la réforme, cela ne changera rien: nous continuerons le mouvement.»

Dans l’assistance, quelqu’un lance un «Emmanuel Macron, il va faire tout noir chez toi», repris en chœur par les participants. Un refrain qui sonne à la fois comme une boutade et une menace à peine voilée. (Article publié dans le quotidien L’Humanité, le 7 avril 2023)

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«Macron ne fait que renforcer la haine»

Par Cécile Rousseau

Une détermination brûlante. Jeudi, sous le soleil, des centaines de milliers de personnes ont défilé pour la onzième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Ils étaient 400 000 à Paris, selon la CGT, mais aussi 170 000 à Marseille, 20 000 à Nice, 11 000 à Orléans… Alors que flotte un air de zouk sur l’esplanade des Invalides, les manifestant·e·s, dont le nombre est légèrement en baisse par rapport au 28 mars, sont ulcérés par la fin de non-recevoir qu’Elisabeth Borne a opposée à l’intersyndicale. Mais pas seulement. «Les outrances de Gérald Darmanin nous donnent des frissons», mime Anaïs, professeure au collège, en se secouant. «Quand on voit ses attaques contre la Ligue des droits de l’homme (LDH), nous sommes dans un discours d’extrême droite qui nous menace tous et notamment les personnes LGBTQIA+.» Sa camarade, Rosemonde, professeure au lycée et militante à Queer éducation, a été de toutes les mobilisations, y compris les veillées devant les commissariats pour soutenir les élèves placés arbitrairement en garde à vue. «Il ne fait que renforcer la haine. Nous sommes en “démocrature”.»

Alors que de nouvelles scènes de violence ont émaillé le cortège parisien, avec un début d’incendie au restaurant la Rotonde, où Emmanuel Macron avait fêté sa première élection, les actions se sont multipliées dans le pays. A l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, les grévistes ont bloqué le terminal 1, de 9h30 à 11h30. «Les passagers étaient plutôt en soutien, raconte Claire Cazin, déléguée syndicale CGT chez Aéroport de Paris (ADP). On a déjà prévenu la direction qu’on allait aussi remonter sur la question des salaires. Tout le monde a l’air d’oublier qu’il y a les Jeux olympiques en 2024… S’il y a des mobilisations à ce moment-là, ça sera le choix du gouvernement, pas celui des salariés d’ADP», affirme-t-elle.

A sept jours de la décision du Conseil constitutionnel sur les retraites, des éclaircies, comme la suspension par le tribunal administratif de Rouen de l’arrêté de réquisition de la raffinerie Total de Gonfreville-l’Orcher (Seine-Maritime) pour atteinte grave au droit de grève, redonnent de l’espoir [voir article ci-dessous]. Le fait que le taux de grévistes soit remonté dans les hôpitaux et dans les collectivités territoriales n’a rien d’étonnant pour Hadja, agente administrative au centre hospitalier de Nanterre (Hauts-de-Seine) et élue SUD: «?Plutôt que de nous faire travailler plus longtemps, le pouvoir devrait se préoccuper de nos conditions de travail. L’état de l’hôpital devrait être sa priorité. On ouvre bientôt des nouveaux services et on ne sait pas comment on va recruter!»

La saillie provocatrice d’Emmanuel Macron, qui depuis la Chine a asséné «Si les gens voulaient la retraite à 60 ans, ce n’était pas moi qu’il fallait élire comme président de la République», en réplique à Laurent Bergé, secrétaire général de la CFDT, qui jugeait que la France vivait «une grave crise démocratique», a fait flamber la colère. Employée au siège d’une multinationale, Nicole, perruque bleue et chasuble Unsa sur le dos, veut absolument répondre au président de la République: «J’ai voté contre Marine Le Pen, et certainement pas pour son programme», précise-t-elle, dénonçant le fait qu’il «continue d’ignorer les carrières hachées, les personnes ayant un métier pénible. Je pense aussi aux petits salaires qui ne peuvent pas forcément faire grève.»

Laurence, 57 ans, a, elle, battu le pavé pour la première fois. Manageuse en assurances, elle est accompagnée de sa fille, Morgan, 25 ans, qui a déjà rallié les cortèges, autorisés ou non. «On a beaucoup de discussions sur le sujet. Mais l’attitude du gouvernement, c’est de pire en pire! On a l’impression que le peuple ne compte pour rien. Je veux leur dire: non, le mouvement n’est pas en train de s’essouffler», explique-t-elle.

Avec sa pancarte «Il est bien Brav-M», représentant un policier brandissant une matraque, Nicolas, informaticien à l’Assemblée nationale, annonce la couleur. Celui qui a voté pour Emmanuel Macron aux deux tours de l’élection présidentielle en 2022 trouve que la réalité se rapproche de plus en plus de la caricature. «On le traite de président des riches, mais finalement, c’est pas faux… Le recours au 49.3 m’a échaudé. Je risque d’être encore là la semaine prochaine.» (Publié dans L’Humanité, le 7 avril 2023)

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La justice suspend les réquisitions de grévistes à la raffinerie de Gonfreville

Par Nadia Sweeny

Les préfectures testent-elles les limites des institutions en matière de libertés fondamentales? A Paris, déjà, la justice administrative a dénoncé, en début de semaine, les pratiques préfectorales de publication d’arrêtés interdisant les manifestations à la dernière minute sans publicité suffisante. En Seine-Maritime, alors que les préfectures s’attaquent au droit de grève, la justice réplique également.

Le tribunal administratif vient ainsi de suspendre à partir de ce jeudi 6 avril, 12 heures 30, l’arrêté préfectoral imposant la réquisition des grévistes de la raffinerie TotalEnergies de Gonfreville-L’Orcher.

Pourtant, le même tribunal avait décrété légales ces mêmes réquisitions la semaine dernière, arguant que l’état des réserves de kérosène de l’aéroport parisien de Roissy n’autorisait un «fonctionnement raisonnable» que pendant trois jours. Qu’ensuite, il ne pourrait pas «maintenir un trafic aérien qui prévienne des perturbations de l’ordre public liées à la présence massive de passagers privés de vols» et risquait de «provoquer des incertitudes susceptibles d’impacter la sécurité aérienne».

Pour le tribunal, la réquisition de quatre salariés sur une durée limitée n’avait pas pour conséquence de «mettre en place un service normal» mais visait «à assurer, par un nombre restreint mais suffisant d’agents et une liste réduite de tâches essentielles précisément définies, un service minimum de pompage et d’expédition». Le tout, pour éviter un trouble à l’ordre public.

Pas de soucis de stocks

Quelques jours plus tard, changement de braquet: le tribunal administratif suspend l’arrêté. La préfecture l’avait motivé par l’imminence du week-end de Pâques et l’augmentation «prévisible de 75% de la circulation automobile des particuliers».

Selon la préfecture, le week-end pascal coïnciderait avec certaines vacances scolaires et provoquerait «une demande de carburant en augmentation qui ne pourra être satisfaite dans les régions Ile-de-France et Centre-Val de Loire générant ainsi des files d’attente». Selon la préfecture, pour «satisfaire les besoins des services publics essentiels et prévenir les troubles à l’ordre public, il y a lieu de procéder à la réquisition des salariés».

Mais le tribunal administratif n’est pas d’accord. Il constate d’abord que les vacances scolaires ne sont pas les mêmes en fonction des zones, mais, qu’en plus, elles ne démarrent que le 15 avril. Par ailleurs, au regard des stocks, «aucun besoin non satisfait de carburant pour les besoins des services publics ne ressort des pièces du dossier», encore moins un approvisionnement qui «ne permettrait pas l’alimentation des véhicules prioritaires». Le tribunal suspend donc l’arrêté pour «atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève».

Banalisation délirante

Pour Me Elsa Marcel, avocate de la CGT Total, «la préfecture a pris son aise en justifiant ses réquisitions par le week-end de Pâques et les vacances scolaires. Elle a voulu voir jusqu’où elle pouvait aller en termes d’entrave au droit de grève dans le cadre d’une banalisation délirante des réquisitions qui se résument quand même par la venue de la police chez vous le matin, pour vous emmener travailler», plaide-t-elle.

Pour elle, cette politique est une tentative d’appliquer, par voie préfectorale, deux propositions de loi déposées par des sénateurs de droite le 3 février et le 7 mars dernier. La première veut interdire le droit de grève aux personnels des secteurs public et privé des transports en commun «à compter de la veille et jusqu’au lendemain des jours fériés» ainsi que «les deux premiers et les deux derniers jours de chaque période de vacance des classes».

La seconde ne comporte qu’un seul article: «Pour les personnels des transports de produits pétroliers et de carburants, ainsi que des usines exercées de raffinage de pétrole brut, il est impossible d’exercer leur droit de grève plus d’une fois par semaine et plus de trois jours consécutifs.» Soit exactement le nombre de jours établis dans l’arrêté de réquisitions du 26 mars, pour un fonctionnement normal des réserves de kérosène de l’aéroport Roissy-Charles-De-Gaulle.

Le tribunal administratif a donc posé une limite aux tentatives préfectorales. «Un très bon signal» pour Elsa Marcel. (Article publié par l’hebdomadaire Politis, le 6 avril 2023)

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A Rennes, opération «ville morte» contre la réforme des retraites

Par Rose-Amélie Bécel

A Rennes (région de Bretagne), la manifestation de ce 6 avril – la 11e au niveau national à l’appel des syndicats – avait beau commencer à 11 heures, certains étaient mobilisés à l’aube pour mener une opération «ville morte». Dès 7 heures, le collectif de la Maison du Peuple bloque un rond-point au sud de la capitale bretonne. Un emplacement stratégique, très fréquenté des automobilistes, qui permet de rejoindre la rocade qui entoure la ville.

En contrebas, d’autres militants ont installé un barrage filtrant directement sur la quatre-voies, à l’aide de barrières et de caddies enflammés. Voitures et camions s’agglutinent sur la rocade, formant un bouchon dans lequel plusieurs automobilistes affirment avoir été bloqués pendant plus de deux heures.

Furieux, certains franchissent le barrage à toute allure en faisant vrombir leur moteur et crisser leurs pneus. Preuve des vives tensions, un chauffeur manque même de renverser des militants avec son camion. Mais d’autres, nombreux, affichent leur solidarité. «Les gens détestent tellement Macron que même après avoir attendu des heures dans leur voiture, ils nous disent qu’ils comprennent ce qu’on fait», plaisante Camille [prénom modifié] au passage d’un automobiliste qui franchit le barrage aux cris de «Macron démission».

Au-delà des syndicats

Sur le rond-point, aucun drapeau syndical. Le blocage est porté par la Maison du Peuple, un collectif né au début des mobilisations contre la réforme des retraites. «L’idée c’était d’occuper un lieu pour former un QG des luttes à Rennes. Nous avons essayé d’investir la salle de la cité, puis le cinéma l’Arvor, mais nous avons rapidement été délogés. Donc le collectif poursuit ses assemblées hors les murs», explique Camille. Depuis, le groupe a organisé six opérations «ville morte» en coordination avec les assemblées générales étudiantes des universités de Rennes 1 et Rennes 2.

Laurent, enseignant chercheur, observe depuis un pont le barrage filtrant installé par ses camarades en contrebas. «L’objectif, c’est de rendre la contestation plus visible en organisant un blocage économique. Les manifestations, c’est bien mais c’est davantage symbolique. Maintenant, il faut passer à l’action», défend-il.

Ben, ouvrier dans une usine, partage le même constat mêlé d’inquiétudes: «J’ai l’impression que le mouvement perd de l’ampleur, que la mobilisation syndicale ralentit. Il ne faudrait pas faire seulement une manifestation par semaine, mais bloquer le pays plusieurs jours d’affilée. A force d’étaler les rendez-vous, on risque de perdre des plumes.»

Blocage historique à la faculté de droit

A 6 heures du matin, Juliette [prénom modifié] ne bloquait pas les ronds-points. Mais, avec un petit groupe, elle initiait le premier blocage de la faculté de droit de Rennes. «Des enseignants sont passés nous voir pour nous soutenir en nous disant qu’en 40 ans ils n’avaient jamais vu ça», se réjouit l’étudiante en première année de licence de droit. Historiquement classée à droite, la faculté de droit de Rennes prend le même chemin que le campus parisien de Panthéon-Assas, bloqué le 23 mars pour la première fois depuis le début du mouvement.

Principale revendication des étudiants mobilisés: dispenser les étudiants de présence en cours au moment des manifestations, pour leur permettre de s’y rendre sans être pénalisés par des absences injustifiées. «C’est difficile de mobiliser autour de cette question. Dans mon groupe de cours, les étudiants sont assez peu politisés. Il y a un grand désintérêt pour l’actualité et la mobilisation en cours ne les atteint pas», déplore Juliette.

Sur le chemin vers la place de Bretagne, où débute la manifestation à 11 heures, le cortège des étudiants de la faculté de droit croise celui d’un autre établissement peu habitué des mobilisations: l’INSA (Institut national des sciences appliquées) Rennes, une école d’ingénieurs.

«Les gens ont sérieusement commencé à se mobiliser après le 49.3, le déni de démocratie inacceptable a réveillé tout le monde», raconte Titouan, étudiant de 2e année.  Notre mobilisation en tant qu’étudiants ingénieurs, dans un milieu peu politisé, crée aussi un cercle vertueux. J’ai plein d’amis de l’école qui ont fait récemment leur première AG et leur première manif», s’enthousiasme Nelly, également étudiante en 2e année.

A la faculté de Rennes 2, plus habituée à participer aux mouvements sociaux, les cours sont supprimés les jours de manifestation pour permettre aux étudiants et aux personnels de s’y rendre. «Le reste du temps, il y a des cours et des événements organisés par l’AG. Si on bloquait la fac tout le temps, les étudiants ne viendraient pas et on ne pourrait pas organiser nos ateliers et y tenir nos assemblées. Ça rendrait impossible la création d’espaces de politisation dont on a besoin», explique Hugo, étudiant en mathématiques et sciences sociales et membre de l’Union Pirate, syndicat majoritaire de l’université.

A Rennes, la réforme des retraites rassemble contre elle des collectifs de plus en plus variés, pas toujours habitués des manifestations. Ceux qui, parmi les élus et éditocrates, parient sur un essoufflement des mobilisations, risquent d’être déçus. (Article publié par Politis, le 6 avril 2023)

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A Rennes, la colère des manifestant·e·s contre les forces de police

Par correspondance particulière

Le crâne ensanglanté, une manifestante déboussolée s’assoit sur le bitume du centre-ville de Rennes. Vraisemblablement touchée par un coup de matraque, celle-ci est rapidement secourue par une équipe de street medics. Un parfum de lacrymo tapisse l’air ambiant. Quelques secondes plus tôt, des militants avaient tenté de forcer un barrage de CRS. Cette scène est un énième exemple du maintien de l’ordre à la française: la répression plutôt que la désescalade. La capitale bretonne, qui accueillait à nouveau jeudi un rassemblement contre la réforme des retraites, ne fait pas exception. «Ça s’est corsé à partir du 49.3, témoigne ainsi Dominique, l’une des secouristes présentes. C’est ce qui a fait venir les jeunes en manif. Et en parallèle, ça s’est durci du côté des forces de police.» En réponse aux récents débordements (feux de poubelle, vitrines cassées, magasins pillés, tensions diverses…), la maire socialiste, Nathalie Appéré, avait en effet demandé des renforts au ministère de l’Intérieur. L’unité CRS 8, spécialisée dans les violences urbaines, est désormais de la partie. Des fourgons de police stationnent jour après jour près de l’hôtel de ville.

Parmi les manifestants ce jour-là, le ressentiment est fort. Tandis que le camion de la CGT cheminots crache Fuck the Police du groupe hip-hop NWA, des étudiants scandent en chœur le fameux Acab (acronyme de l’anglais All cops are bastards, «tous les flics sont des salauds»). Philippe, en tête de cortège, brandit, lui, une pancarte comparant les CRS aux soldats SS. Pour ce violoniste, «les forces de police sont utilisées par les politiques pour faire passer leur projet de loi de façon antidémocratique».

Quelques minutes plus tard, le cortège auquel celui-ci prend part se retrouve bloqué par les forces de police, la foule s’étant déportée hors du tracé officiel. Face à la progression d’un épais nuage de gaz lacrymogène, certains paniquent et s’échappent tant bien que mal. Ça tousse, ça suffoque, certains trébuchent. Lauriane et Yuna, étudiantes, les yeux encore rouges, tentent de faire retomber le stress. La première raconte que «dès que je suis allée à ma première manif, on s’est fait gazer pour rien. Ça m’a un peu radicalisée».

C’est que ce genre de réponse policière est un classique à Rennes. Un jeune homme de 22 ans a perdu un testicule après avoir reçu un tir de LBD, fin mars. Mais ces incidents ont du mal à être correctement répertoriés. Les recours en justice sont rares. Anthonin Juet, membre de la Ligue des droits de l’homme, explique en effet qu’il est difficile d’avoir assez de bénévoles formés sur place pour en attester. «Mais avec l’escalade des violences et de la répression, il y a vraiment un besoin d’observateurs à Rennes. Les manifestations deviennent une zone de non-droit.» Quelques jours plus tôt, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait menacé de remettre en question les subventions qui étaient accordées à l’association. «Ça a le mérite de clarifier la position du gouvernement», rétorque Anthonin Juet. De son côté, questionnée sur sa stratégie de maintien de l’ordre, la préfecture d’Ille-et-Vilaine n’avait pas encore répondu à la date de publication de cet article. (Article publié dans L’Humanité, le 7 avril 2023)

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