Par China Labour Bulletin
Les conducteurs de fret de la firme Huolala [le siège social de cette entreprise de logistique se trouve à Shenzhen] ont initié une grève pendant trois jours consécutifs en novembre 2022, dans diverses régions de Chine. Les travailleurs ont protesté publiquement et ont également posté des vidéos en ligne déplorant une série de changements de politique de l’entreprise qui ont abouti à une réduction de leurs revenus.
Huolala est une entreprise de plateforme qui met en relation des chauffeurs et des véhicules avec des clients ayant besoin de transporter des marchandises. Huolala a été créée en 2013 à Hong Kong, où sa raison sociale est Lalamove [selon les pays, la firme est connue sous le nom d’EasyVan en Thaïlande par exemple et de Huolala en Chine]. En Chine continentale, Huolala était censée détenir une part de marché d’environ 53% dans le secteur à la fin de 2021. L’entreprise opère dans environ 350 villes avec 660 000 conducteurs actifs mensuellement.
Les actions de grève des 16 et 18 novembre ont été les plus importantes dans la province de Guangdong. Des témoins oculaires estiment que 1000 conducteurs ont manifesté à Shenzhen, 400 à Dongguan [de même dans la province de Guangdong] et une bonne partie à Foshan [ville-préfecture de la province du Guangdong]. Des conducteurs d’autres régions de Chine ont participé aux mobilisations en ligne et à la grève, notamment dans les villes de Wuhan [capitale de la province du Hubei], Changsha [capitale de la province du Hunan], Quanzhou [ville-préfecture de la province du Fujian] et Wenzhou [ville-préfecture de la province du Zhejiang].
Les conducteurs de Huolala s’organisent autour d’une série de revendications
Les chauffeurs de Guangzhou ont soumis une liste de seize revendications concrètes liées aux récents changements intervenus au sein de l’entreprise. Ces changements ont entraîné une réduction de 20% de la rémunération des chauffeurs, selon les relevés de salaire des chauffeurs mis en ligne.
Les modifications de la politique de l’entreprise ont surtout affecté les commandes «multifactorielles», dont le système de tarification flexible est basé sur des variables telles que la distance, l’état de la route, l’offre et la demande de services au moment de la commande. D’autres modifications augmentent les remises spéciales pour les clients et apportent des modifications aux frais de participation et aux tarifs des conducteurs. L’algorithme a également commencé à calculer les distances non plus en fonction du trajet réel parcouru, mais en fonction d’une distance en ligne droite d’un point à un autre!
En tant que travailleurs de plateforme, les conducteurs sont considérés comme des entrepreneurs indépendants, plutôt que comme des salariés formels couverts par le droit du travail chinois, notamment les lois sur le salaire minimum et la durée maximale du travail.
Un chauffeur de Huolala qui travaille dans la province de Jiangsu, prénommé Yang, a déclaré à Sina Finance [qui fait partie de Sina Corporation, qui contrôle Sino Weibo, Sina Mobile, Sina Online et Sinanet]: «Si ce n’était pas le fait que je ne gagne pas assez pour manger, comment pourrait-il y avoir autant de chauffeurs de livraison dans le pays?»
Le ministère des Transports appelle les entreprises à respecter les droits des travailleurs
L’appel à la grève et la protestation en ligne se sont rapidement répandus, attirant également l’attention du gouvernement. Au deuxième jour de la grève, Huolala et d’autres entreprises de logistique ont été convoquées par le ministère des Transports, qui leur a demandé de modifier leurs pratiques de réduction des coûts en faveur des travailleurs.
Le ministère a déclaré que les entreprises avaient «gravement porté atteinte aux droits et intérêts légitimes des chauffeurs routiers et perturbé l’ordre de la concurrence loyale sur le marché».
Huolala est revenue sur certaines de ses récentes politiques et a procédé à d’autres ajustements. Le travailleur Yang a décrit que c’est un pas en avant, mais qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour satisfaire les chauffeurs: «Dans certains endroits, l’effet n’est pas encore évident, mais pour nous la situation est manifestement bien meilleure ces jours-ci.»
Une grève nationale révèle le potentiel de mobilisation dans l’économie de plateforme
Bien que les travailleurs de l’économie de plateforme soient plus dispersés que dans les industries traditionnelles telles que l’industrie manufacturière, ces récentes mobilisations montrent que les travailleurs et travailleuses de plateforme peuvent être unis face aux défis partagés et peuvent également diffuser, rapidement, des informations.
Les chauffeurs de camion de la plateforme ont formé une identité sectorielle présente dans les diverses régions de la Chine, en s’appelant mutuellement kayou, ce qui signifie «collègue chauffeur de camion». Les chauffeurs sont également plus susceptibles que les autres travailleurs de la plateforme de voyager d’une province à l’autre, ce qui accroît leur accès à diverses sources d’information et leur permet d’agir eux-mêmes comme des intermédiaires.
Ce n’est pas non plus la première fois que les chauffeurs de camion se mettent en grève. En juin 2018, ils ont protesté contre l’augmentation des frais et les prix élevés du carburant. Et les chauffeurs de Huolala, plus précisément, ont protesté contre les frais de participation en mai 2018, dénonçant l’entreprise pour ses pratiques monopolistiques.
Le syndicat officiel chinois a juré de se concentrer sur «huit grands groupes» de travailleurs, dont la catégorie des chauffeurs routiers. C’est le moment idéal pour le syndicat d’intervenir et de représenter les travailleurs en s’engageant dans des négociations collectives de contrats sectoriels entre les conducteurs de camions, les firmes de plateforme, les représentants du syndicat et d’autres parties prenantes. (Article publié dans le China Labour Bulletin, le 6 décembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
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