Nicaragua. «Les “preuves” contre Oscar René Vargas se réduisent aux “témoignages” de la police et à la référence aux publications sur les réseaux sociaux»

Par Octavio Enriquez

Le témoignage de deux policiers et des publications sur les réseaux sociaux constituent les «preuves» que le régime Ortega présentera contre le prisonnier politique Oscar René Vargas, séquestré le mardi 22 novembre au matin et enfermé dans une cellule d’isolement dans la prison d’El Chipote.

Le bureau du procureur a inculpé le sociologue de 76 ans un jour après sa détention arbitraire à Managua, qui s’est produite alors qu’il rendait visite à sa sœur Patricia, dont la santé est fragile.

Bien que dans un premier temps les accusations n’aient pas été rendues publiques, les autorités ont finalement inculpé l’intellectuel pour les crimes présumés de «conspiration visant à porter atteinte à l’intégrité nationale» et de «propagation de fausses nouvelles par le biais des technologies de l’information et de la communication».

Ce sont les mêmes crimes que la dictature a reprochés à d’autres prisonniers d’opinion dans une série d’accusations qualifiées de «machoteras» [dans le langage juridique, cela désigne des actes d’accusation pré-rédigés par les procureurs] par les organisations de défense des droits de l’homme, qui ont dénoncé le fait que les procureurs de la dictature ne changent, sur ces actes d’accusation, que les noms des personnes accusées pour rendre officielles les persécutions judiciaires.

Selon le document d’échange d’informations et de preuves, présenté le 9 décembre par la procureure Yubelca del Carmen Pérez Alvarado et auquel Confidencial a eu accès, le sociologue est également accusé de «provocation à la rébellion», comme l’a rapporté il y a quelques jours le Centre nicaraguayen des droits de l’homme (Cenidh).

La présidente du Cenidh, Vilma Núñez, avait alors prévenu qu’il pouvait s’agir d’une stratégie de l’Etat pour criminaliser Oscar René Vargas et lui imposer une peine plus lourde. «Attention, ils vont lui donner 30 ans. Ou je ne sais pas combien d’années. C’est l’intention», a expliqué la défenseur des droits de l’homme.

Gloria Saavedra Corrales, la juge chargée de l’affaire – qui a un passé de persécution judiciaire contre les opposants à Ortega – est responsable du tribunal du dixième district pénal de Managua.

Avant que le régime ne fasse d’Oscar René Vargas l’un des 235 prisonniers d’opinion du Nicaragua, le sociologue exprimait fréquemment son opinion sur la réalité du pays, tant dans les médias indépendants que sur son blog, un site où il analysait à différents moments la situation économique, sociale et politique, alternant sa demande de démocratie avec la dénonciation des violations des droits de l’homme commises par Ortega.

Au cours des années 1980, Oscar René Vargas était conseiller auprès de la direction nationale du Front sandiniste de libération nationale, dont l’un des membres est Ortega, qu’il a rencontré en 1967 lorsqu’il l’a sauvé d’une opération menée par la Garde nationale contre les guérilleros sandinistes dans le quartier Monseñor Lezcano de Managua.

La procureure Yubelca del Carmen Pérez Alvarado est l’une des membres de la machine judiciaire qui a réprimé les prisonniers politiques. A ce propos, elle a été visée en juillet dernier par les Etats-Unis. Ses «preuves» indiquent également qu’Oscar René Vargas a fait des commentaires sur Facebook entre le 12 et le 18 juin 2021, et a donné un entretien le 27 juin de la même année à la chaîne de télévision NTN24.

Le premier mensonge: «Capturé en public»

La procureure «accrédite» le témoignage de l’agent de la brigade de recherche et de capture, Salvador de Jesús Chacón, numéro d’agent 14606, qui a assuré avoir capturé l’analyste politique «en pleine rue» pour se conformer à un mandat qui «existait déjà au nom de l’accusé», selon le document.

Le 22 novembre, la procureure a révélé que la personne qui avait émis l’ordre était le commissaire général Luis Alberto Pérez Olivas, chef de la Dirección de Auxilio Judicial (DAJ), organisme sanctionné par la communauté internationale pour des violations des droits de l’homme. Ce faisant, elle se contredisait elle-même.

«Elle s’est rendue sur les lieux, confirmant que l’accusé était bien celui recherché. Le témoin (l’agent Chacón) a demandé l’appui des agents de la sécurité publique du Complejo Ajax Delgado et en compagnie de cinq agents ils ont réussi à arrêter l’accusé dans la rue. Il a été emmené à la Dirección de Auxilio Judicial», a déclaré la procureure Yubelca del Carmen Pérez Alvarado.

Cette version s’oppose aux propos des proches d’Oscar René Vargas, qui ont dénoncé les actions violentes de la police. Son ex-femme, la poétesse Daisy Zamora, a déclaré, après l’arrestation, que l’ordre d’arrestation avait été exécuté par «une patrouille de membres cagoulés de la garde pro-Ortega, avec violation de domicile».

Dans ce cas traité par la DAJ, l’inspectrice María Palma Téllez sera également citée à comparaître. Si elle n’est pas présente, son supérieur, le commissaire Francisco Villareal Morales, «chef du département anti-narcotiques», pourra comparaître.

Des «experts en informatique» pour passer en revue les réseaux

Selon le bureau de la procureure, René Oscar Vargas a été arrêté avec 2161 dollars en billets de différentes coupures, ses cartes de crédit, ses documents personnels et un support de stockage d’informations portant son nom. Pour évaluer le contenu de ce dernier, la police a fait appel à l’inspecteur Francisco Antonio Gutiérrez Valverde.

Gutiérrez Valverde travaille dans le département des crimes informatiques de la DAJ et son témoignage sera pris en considération en tant qu’«expert en informatique». Mais, «s’il ne peut pas se présenter», la police lui a trouvé un remplaçant: le lieutenant Xavier Corea Martínez, «chef» du département de la DAJ susmentionnée et qui a supervisé «le travail d’enquête».

Le rapport établi par la police mentionne quatre commentaires spécifiques de l’économiste: 1° «Le pouvoir ou la mort», publié le 12 juin 2021, 2° «Reflux social et unité» du 15 juin 2021, 3° un commentaire sur une publication du magazine The Economist et 4° un autre commentaire intitulé «Répression et négociation» du 18 juin 2021.

Dans le commentaire «El poder o la muerte» («Le pouvoir ou la mort»), Oscar René Vargas a écrit textuellement: «(Los) Ortega Murillo savent [ce verbe est souligné dans le document du procureur] qu’ils peuvent perdre le pouvoir lors d’élections transparentes et être présentés devant la justice internationale, sans aucune immunité fournie par le pouvoir autoritaire, donc ils considèrent que rester au pouvoir est une question de vie ou de mort.»

Selon l’analyse d’Oscar René Vargas, la famille Ortega Murillo utilise le système judiciaire pour persécuter les journalistes indépendants et les défenseurs des droits de l’homme, et se sert des médias qu’elle contrôle pour tenter de vendre l’idée qu’elle se défend contre une «conspiration étrangère».

Les autres commentaires font référence à la crise politique, sociale et économique que traverse le Nicaragua et expliquent, par exemple, dans le cas du commentaire intitulé «Répression et négociation», que la répression généralisée avec davantage d’arrestations arbitraires a «pour objectif d’imposer une négociation par crainte de l’augmentation potentielle des sanctions suite à l’approbation de la loi Renacer» [le Renacer Act a été signé par le président Biden en novembre 2021 suite au constat, entre autres, de violations des droits de l’homme au Nicaragua; le Renacer Act visait aussi des hauts responsables de l’armée et de la police et du Conseil supérieur électoral].

La famille dénonce les mauvaises conditions de détention d’Oscar René Vargas

La dictature a autorisé les visites des familles des prisonniers politiques les 7 et 8 décembre. Oscar René Vargas a reçu sa famille le premier jour (le 7).

Le poète René Alberto Vargas Zamora, fils du sociologue, a exprimé son inquiétude quant à la santé du prisonnier, qui est porteur d’un pacemaker et a perdu entre six et dix livres, comme a pu le confirmer une source proche de sa famille. «La famille craint que mon père ne souffre d’hypothermie, car il se trouve dans une cellule d’isolement sans matelas ni couverture, exposé au vent, au froid et au sol en béton. De plus, il a une hernie entre la quatrième et la cinquième vertèbre lombaire et son dos et ses genoux sont atteints par le fait d’être soumis à ces conditions.»

La source proche de la famille a déclaré au sujet du sociologue: «Il se levait avec difficulté, grimaçant de douleur, parce qu’il dort sur le ciment, avec un matelas très fin et sans couverture; [la source indique que] bien que depuis le moment de la rencontre j’ai amené une couverture tous les jours [à la prison El Chipote] ils [les gardiens] me disent qu’ils ne la prennent pas parce qu’elle n’est pas autorisée. Les conditions de détention d’Oscar René sont très préoccupantes, pour ne pas dire qu’elles constituent une menace pour son intégrité physique, psychologique et morale. Encore plus lorsque l’on sait qu’Oscar René est un homme de 76 ans, avec une hypertension artérielle, un glaucome et un pacemaker… un homme âgé (76 ans) avec une situation de santé délicate a besoin de conditions humaines minimales pour vivre.» La source demande un soutien pour une campagne afin qu’Oscar René Vargas puisse recevoir «une couverture et un matelas ou une housse matelassée». (Article publié par Confidencial le 13 décembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

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