Myanmar. La junte inapte face à la pandémie et annulant officiellement les résultats des élections de 2020

Par Frontier Fridays

Durant cette semaine (du 22 au 29 juillet), il faut relever : une révolte qui a éclaté dans la prison d’Insein, alors que la situation du Covid-19 continue d’échapper à tout contrôle; de graves inondations qui ont touché plusieurs Etats et régions; le déchaînement des forces de sécurité dans la région de Sagaing. Enfin, la junte a officiellement annulé les résultats des élections de 2020. (Rédaction Frontier Fridays)

L’épidémie de Covid-19 s’aggrave, les prisonniers protestent

Il n’y a pas de bonnes nouvelles sur le front du Covid-19 cette semaine, car les infections et les décès continuent d’augmenter. Le Myanmar a signalé ses taux de positivité les plus élevés à ce jour vendredi 23 juillet et dimanche 25 juillet et son plus grand nombre de décès en une journée mardi 27 juillet. Au total, 35 969 cas et 2 419 décès ont été enregistrés cette semaine, ce qui porte le nombre total de décès à 8 552. Le pourcentage de tests positifs a franchi deux fois la barre des 40%, ce qui est, actuellement, le plus élevé de tous les pays du monde. Si ces chiffres sont sombres, ils ne disent pas tout: le nombre réel de cas et de décès est bien plus élevé que ce que la junte déclare.

Indication que le régime militaire est parfaitement conscient que le nombre de morts est bien plus élevé que ses chiffres officiels, les médias d’Etat ont annoncé le mardi 27 que dix nouveaux crématoriums étaient en cours de construction dans des cimetières de Yangon. Ces nouvelles installations seraient en mesure d’incinérer plus de 3 000 corps par jour, tandis qu’un autre crématorium récemment construit peut «traiter» 1 000 corps par jour. Cela ne semble guère nécessaire si moins de 400 personnes mouraient chaque jour dans le pays à cause du Covid-19, comme le disent les statistiques officielles.

L’autre grande nouvelle sur le front du Covid-19 est qu’une révolte a éclaté à la prison d’Insein (située dans la région de Yangon) vendredi 23 juilllet, apparemment inspirée par le manque de soins de santé appropriés dans l’établissement, où des dizaines de cas ont été signalés.

«La manifestation aurait commencé parce que les prisonniers n’ont pas reçu de soins médicaux et que le personnel pénitentiaire n’a pas non plus bénéficié de protection face au Covid-19», a déclaré l’Association d’assistance aux prisonniers politiques. Elle a également affirmé que certains membres du personnel pénitentiaire avaient participé au mouvement. La déclaration exprime également «une grande inquiétude quant à la répression brutale des récriminations à la prison d’Insein, à une tuerie et à l’usage généralisé de la torture». Selon certaines informations initiales, des soldats auraient tué des prisonniers à la suite du mouvement, mais nous n’avons pas été en mesure de les confirmer et nous restons sceptiques, sans autre preuve, quant à ces affirmations.

Peu après, les médias d’Etat ont annoncé que 610 détenus d’Insein avaient été vaccinés contre le Covid-19, tout en niant l’existence d’une épidémie, alors que la junte avait précédemment admis que le célèbre prisonnier politique Nyan Win (Ligue nationale pourla démocratie) était mort après avoir contracté le Covid-19 dans la prison. Bien que l’article ne le nomme pas, on peut clairement voir le conseiller économique australien du gouvernement renversé, Sean Turnell, recevoir une injection sur les photos. Nous ne pouvons bien sûr pas confirmer qu’il s’agit d’une vaccination légitime et non d’une mise en scène (il a également l’air extrêmement brûlé par le soleil).

Inondations mortelles au Myanmar

Déjà en proie au chaos de l’après-coup d’Etat et à l’une des pires épidémies de Covid-19 au monde, de nombreux habitants du Myanmar sont maintenant aux prises avec d’importantes inondations. Des niveaux d’eau dangereusement élevés ont été signalés dans les Etats de Kayin, Mon et Rakhine, dans la région de Tanintharyi et dans les camps de réfugiés rohingyas au Bangladesh, affectant des dizaines de milliers de personnes et déplaçant des milliers d’autres.

Dans l’Etat de Kayin, plus de 1400 personnes ont été relogées dans des camps de secours dans le district de Myawaddy, tandis qu’une centaine d’autres ont dû être évacuées du district de Hlaingbwe et quelque 500 ont été évacuées dans le district de Kyaikmayaw dans l’Etat de Mon. Tragiquement, certaines des personnes les plus vulnérables ont été parmi les plus touchées: plusieurs camps de personnes déplacées à l’intérieur du pays ont été inondés dans l’Etat de Rakhine, tout comme les camps de réfugiés rohingyas situés de l’autre côté de la frontière, au Bangladesh. Environ 1 700 personnes vivant dans un camp du district de Mrauk-U [dans le Nord de l’Etat d’Arakan] ont de nouveau été relogées après la montée des eaux dans le camp.

Au moins six réfugiés rohingyas ont été tués suite à un glissement de terrain ou emportés par les eaux, dont quatre enfants, et deux personnes ont été portées disparues à la suite de glissements de terrain dans les cantons de Paung et Chaungzon, dans l’Etat de Mon.

Ce qui est peut-être encore plus inquiétant, c’est que les inondations perturbent les interventions locales pour faire face au Covid-19, mettant à rude épreuve un système de soins de santé qui s’effrite déjà. Les hôpitaux sont inondés, les secouristes ont des difficultés à atteindre les patients pour les soigner et l’on craint que les inondations ne réduisent le flux d’équipements médicaux essentiels en provenance de Thaïlande, en particulier l’oxygène indispensable à la survie.

Carnage dans la région de Sagaing

De nouveaux corps ont été découverts dans le district de Kani, dans la région de Sagaing, dont celui d’un homme âgé suspendu à un arbre par un nœud coulant. A ce jour, les habitants auraient récupéré huit cadavres, mais ils pensent qu’il y a plus de morts, invoquant des difficultés à creuser les tombes car ils soupçonnent qu’existent des explosifs. Une vidéo de Khit Thit (média sur Facebook) montre des personnes en train de récupérer les corps (l’avertissement est très explicite). Cette découverte macabre intervient environ deux semaines après la découverte de 15 corps dans la même commune, dont beaucoup étaient attachés et portaient des traces de torture.

Selon les habitants, certains des corps étaient des membres de la Force de défense populaire (People’s Defence Force-PDF), tandis que d’autres étaient des non-combattants qui avaient cherché refuge dans les bois. Six membres de la PDF ont été tués pendant la bataille, mais on ne sait pas exactement combien de membres de la PDF se trouvaient parmi les corps qui ont été découverts. Quoi qu’il en soit, le traitement auquel les victimes semblent avoir été soumises est vraiment choquant. Selon Myanmar Now, qui dit avoir visionné des vidéos des corps, l’un des civils avait un œil arraché et les mains liées. D’autres auraient des bleus sur les épaules et le menton, probablement infligés par des coups de crosse. Les PDF locales ont également accusé les Tatmadaw (forces armées) de frapper et d’exécuter leurs combattants après les avoir capturés, y compris un jeune de 17 ans. Le frère d’un autre combattant des PDF a déclaré que la tête de son frère avait été «réduite en bouillie» et que «la moitié de sa tête était complètement écrasée».

Toujours à Sagaing, 57 membres des PDF ont été capturés après des affrontements dans le district de Mingin, après avoir été piégés par la junte. Les combattants de la PDF auraient affronté des membres du groupe paramilitaire Pyusawhti mercredi 28 juillet. Cette milice pro-militaire aurait brandi des drapeaux blancs indiquant leur reddition. Mais ce n’était qu’une ruse: lorsque les combattants de la PDF ont déposé leurs armes et sont entrés dans le village, ils ont été encerclés et arrêtés par les forces de sécurité. Un groupe de 18 membres des PDF a refusé d’entrer dans le village, croyant (à juste titre) qu’il s’agissait d’un piège.

Compte tenu du traitement réservé par la junte aux autres combattants des PDF capturés dans la région, le grand public est naturellement très inquiet pour leur sécurité. Hier, des photos sont devenues virales sur les médias sociaux montrant certains des combattants de la PDF forcés de s’agenouiller, les mains attachées derrière le dos, ce qui a suscité des comparaisons avec les photos de 10 hommes rohingyas qui ont été massacrés dans le village d’Inn Din en septembre 2017. Un porte-parole de la PDF du district Mingin [dans la région de Sagaing] a déclaré que la junte avait emmené cinq de ses dirigeants au quartier général du commandement militaire du Nord-Ouest, situé à Monywa, non loin de là. Il semble qu’au moins certains des combattants aient été tués. La télévision d’Etat a annoncé mercredi 28 juillet que trois membres des PDF sont morts au cours des combats et que 53 ont été arrêtés.

La région a également continué à connaître un nombre élevé d’assassinats ciblés d’administrateurs nommés par la junte, d’informateurs présumés et de membres des Pyusawhti (milice paramilitaire). Au cours des huit derniers jours, deux membres présumés des Pyusawhti ont été décapités dans les districts de Taze et de Khin-U, le corps de la victime de Khin-U présentant des blessures par arme à feu et par couteau.

L’armée annule les élections qu’elle a perdues

Le régime militaire a officiellement annulé les élections de novembre 2020, remportées haut la main par la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), en invoquant ses allégations non fondées de fraude électorale. Cette décision n’est guère surprenante étant donné que ces allégations sont la seule justification du coup d’Etat. Et la junte peut difficilement revenir sur sa décision maintenant.

La déclaration indique qu’il y a eu un total de 11 305 390 «irrégularités dans les listes électorales à travers le pays», les inspecteurs ayant trouvé «des bulletins de vote manquants et illégaux dans chaque bureau de vote». Il est difficile de prendre les chiffres de la junte au sérieux, mais il est probable qu’il y ait eu de nombreuses irrégularités dans les listes électorales, comme lors des élections de 2015 et 2010 administrées par l’armée et son parti mandataire.

Cependant, comme nous l’avons déjà souligné ici, une irrégularité dans la liste elle-même n’est pas une preuve de fraude. La junte a affirmé que si quelqu’un était inscrit dans deux communes différentes, il s’agissait essentiellement d’une fraude, bien qu’elle ne nous ait fourni aucune preuve concrète que quelqu’un ait effectivement voté deux fois. Même si quelqu’un était inscrit à Yangon et dans sa ville natale rurale, par exemple, il lui aurait été extrêmement difficile de voter deux fois, à la fois à cause de l’encre indélébile qui marque les doigts des électeurs et à cause des restrictions de voyage en vigueur à l’époque. en raison du Covid-19.

La NLD a, sans surprise, rejeté cette annulation. Aung Kyi Nyunt, président du Comité représentant le Pyidaungsu Hluttaw (Assemblée de l’Union) et membre du comité exécutif central de la NLD, a déclaré que cette décision était «une insulte au peuple». «Ces personnes de la commission électorale nommées par le conseil militaire viennent de saper le désir du peuple et les dispositifs légaux», a-t-il poursuivi. La Ligue des nationalités Shan pour la démocratie (Shan Nationalities League for Democracy), l’un des plus grands partis du pays et fervent opposant au coup d’Etat, s’est également opposée à cette décision et a déclaré qu’elle continuerait à reconnaître les résultats des élections.

Plus surprenant, le Parti national Arakan (Arakan National Party, ANP), qui collabore avec la junte depuis le coup d’Etat, a également critiqué la décision. Le parti a publié une déclaration indiquant que les choses évoluent dans une «direction totalement destructrice» et que la décision «ne fera qu’exacerber la situation». La déclaration appelle également à une réponse plus forte à la pandémie de Covid-19, à un cessez-le-feu plus durable que les prorogations mensuelles de la junte, et à la création d’une «situation politique inclusive pour toutes les parties prenantes». Un membre de l’ANP, qui est un autre des plus grands partis du pays, siège au Conseil d’administration de l’Etat de la junte (State Administration Council). En mai dernier, le parti a déclaré qu’il envisageait de couper les liens avec le régime, mais pour autant que nous le sachions, il n’y a jamais donné suite. Pourtant, des fissures apparaissent clairement dans la relation mutuelle. (Lettre d’information publiée par Frontier le 30 juillet 2021; traduction rédaction d’A l’Encontre)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*