L’action de la Maison Blanche et une décision de justice ont temporairement suspendu la construction de l’oléoduc de pétrole brut Dakota Access de part et d’autre (sur 20 miles, 32 km sur chaque rive) du lac Oahe, lac de barrage qui fait partie du fleuve Missouri. Mais même si l’ordonnance restrictive temporaire a arrêté la construction le long de cette portion de 40 miles [quelque 64 km], la construction de l’oléoduc se poursuit à un rythme rapide ailleurs.
Il est prévu que l’oléoduc passe sous le lac Oahe, près de la réserve des Sioux de Standing Rock. La bataille entre, d’un côté, les Amérindiens et leurs partisans et, de l’autre, les capitalistes financiers à l’origine de l’oléoduc et les gouvernements de l’Etat de Dakota du Nord est devenue une question explosive à échelle nationale. Il y a une certaine ironie historique que «Dakota» soit précisément le nom d’une tribu amérindienne.
Les opposants à l’oléoduc se préparent à une longue lutte, qui porte sur différentes questions, entre autres celle du réchauffement climatique lié aux combustibles fossiles, celle du danger de polluer la nappe phréatique et le fleuve Missouri, celle des droits des Amérindiens et d’autres questions. Mais s’affirme de même, ici, le problème du détournement du droit de préemption afin de permettre aux pilleurs capitalistes de s’emparer des terres appartenant à n’importe qui pour en tirer un profit privé.
Il est prévu que l’oléoduc du Dakota Access, qui coûtera 3,8 milliards de dollars, va transporter 500’000 barils par jour d’huile de schiste depuis le nord-ouest du Dakota du Nord jusqu’à l’Illinois, sur une distance de 1200 miles (quelque 1940 km). Il sera ensuite acheminé par conduites jusqu’aux raffineries du golfe du Mexique. L’huile de schiste est extraite par fracturation hydraulique, ce qui utilise une grande quantité d’eau, laquelle est empoisonnée par les produits chimiques ajoutés et s’infiltre ensuite dans la nappe phréatique. La plupart des produits raffinés seront ensuite envoyés en Asie, où ils viendront s’ajouter aux gaz à effet de serre lorsqu’ils seront consommés.
La construction de l’oléoduc est effectuée par Energy Transport Partners (ETP), firme dirigée par le milliardaire Kelcy Warren. Le Dakota Access est une joint-venture de ETP et de Sunoco Logistics. Enbridge Inc. [firme canadienne basée à Calgary], qui possède beaucoup de pipelines au Canada et aux Etats-Unis, et Marathon Oil [firme de recherche et d’exploitation pétrolière et gazière, basée à Houston] ont aussi investi dans l’affaire.
En outre, d’importantes institutions transnationales financent le projet, dont Wells Fargo, BNP Paribas, Sun Trust, Royal Bank of Scotland, la Banque de Tokyo-Mitsubishi, la Mizuho Bank, TS Securities, ABN-Amro Capital, DNC Bank, ICBC London, SMBC Niko Securities et la Société Générale.
C’est face à ces puissants intérêts que se dressent des «simples» travailleurs, des fermiers, des militants écologistes, conduits par des peuples indigènes: des Amérindiens des Etats-Unis et du Canada. Partout dans les Amériques – du Nord, du Centre et du Sud – les peuples indigènes ont souvent été à la tête de mouvements pour défendre l’air, l’eau et la terre contre les ravages causés par la dynamique rapace du capitalisme qui cherche, selon la formule de Marx, à «accumuler et encore à accumuler».
La résistance à l’oléoduc du Dakota Access a fait une avancée importante lorsque la tribu sioux de Standing Rock a organisé un camp de protestation permanent près du fleuve Missouri. Le camp, appelé Sacred Stone (Pierre sacrée), a été érigé alors qu’il y avait encore de la neige sur le sol. Les problèmes immédiats que soulève la construction de l’oléoduc en passant sous le fleuve sont: toute fuite future de pétrole va menacer leur eau potable et la construction de l’oléoduc détruirait leurs terres sacrées.
Les opposants à la construction de l’oléoduc soulignent également que toute fuite polluerait le Missouri, la rivière la plus longue des Etats-Unis, qui se déverse dans le Mississippi. Les dommages affecteraient donc les populations jusqu’au golfe du Mexique. Ils soulignent également la menace du réchauffement climatique pour l’ensemble des populations de la planète.
Le camp de Sacred Stone a commencé par être de taille modeste. Par la suite, d’autres tribus des Etats-Unis et du Canada ont repris le flambeau et elles sont nombreuses à s’être rendues sur place. C’est ainsi que le mouvement de protestation des Sioux a été rejoint par quelque 180 autres tribus et que le camp de Sacred Stone s’est étendu. En juillet 2016, lorsque le Corps d’ingénieurs de l’armée des Etats-Unis a approuvé l’oléoduc en dépit des protestations, plus d’un millier de personnes se sont rendues dans le camp. Elles se sont alignées avec leurs chevaux pour bloquer physiquement la construction de l’oléoduc. A la mi-août, 28 d’entre elles avaient été arrêtés.
Parmi ceux qui sont venus à Sacred Stone il y avait Dennis Banks, qui avait été un des leaders du American Indian Movement (AIM) lors de sa radicalisation dans les années 1960 et 1970. En 1973, l’AIM s’était engagé dans un affrontement armé avec le gouvernement états-unien et avait saisi la ville de Wounded Knee, dans la réserve indienne de Pine Ridge dans le Dakota du Sud. Wounded Knee est le site où l’armée états-unienne avait massacré plus de 200 Amérindiens en 1890.
Banks a expliqué au site Democracy Now!: «Ce qui est en train de se passer [à Standing Rock] est aussi important [que ce qui s’est passé à Wounded Knee]. Nous faisons partie de la montagne, nous faisons partie de l’océan, nous faisons partie de la rivière. Nous faisons partie des fleurs et de l’herbe et des arbres. Nous faisons partie de tout cela, alors quand ils menacent l’environnement, c’est aussi une menace contre nous. Nous devons être dans cet état d’esprit. C’est ce que nous sommes. Et c’est notre culture, notre héritage, qui a fait de nous des guerriers.»
David Archambault, président des Sioux de Standing Rock, a déclaré: «Si nous, les nations tribales à travers les Etats-Unis, nous nous unissons, c’est parce que nous avons vécu les mêmes situations injustes et inéquitables… Trop souvent nous avons les soucis analogues et subissons les torts similaires; alors, ensemble nous nous mettons debout pour dire “Plus jamais!”»
Au cours de la première audition du procès, les travaux de construction de l’oléoduc ont été brièvement suspendus. Le 2 septembre 2016, les Sioux de Standing Rock avaient déposé une plainte pour stopper la destruction les cimetières des terres sacrées par le Dakota Access. Le lendemain, sans attendre le jugement, la compagnie a commencé à passer le site au bulldozer.
Lorsque les manifestants ont afflué en masse pour bloquer l’assaut, des agents privés de sécurité les ont attaqués avec des chiens et des bombes lacrymogènes. Democracy Now! était présent et a enregistré sur vidéo l’attaque et l’échauffourée, y compris un chien avec le museau ensanglanté après avoir mordu un manifestant. La candidate présidentielle des Verts, Jill Stein, et son colistier Ajumu Baraka étaient aussi présents. Dans cette vidéo qui a été vue partout dans le monde, on voit Stein sprayer une inscription sur la lame d’un bulldozer: «J’approuve ce message».
Quelques jours plus tard, le procureur général du Dakota du Nord a lancé des mandats d’arrêt contre Amy Goodman, de Democracy Now! et contre Jill Stein et Ajumu Baraka, pour «entrée illégale sur une propriété». Puis, le 9 septembre, un juge raciste a prononcé un jugement contre l’action en justice des Sioux. Gênée face à ce qui était devenu un scandale à échelle nationale, la Maison Blanche a immédiatement ordonné une suspension temporaire de la construction sous la rivière. Une Cour fédérale a étendu la suspension à 20 miles de part et d’autre de la rivière.
Cette suspension temporaire doit permettre au Corps d’ingénieurs de l’armée de réexaminer son approbation du passage de l’oléoduc passant sous la rivière Missouri et de remettre en cause la destruction du cimetière sacré. Les tribus sont censées avoir leur mot à dire.
Des affrontements se sont poursuivis sur les autres sites dans le Dakota du Nord où la construction de l’oléoduc est maintenue: des manifestants forment des chaînes humaines et s’amarrent aux équipements lourds. De nouvelles arrestations ont eu lieu.
En aval du Dakota du Nord, dans l’Iowa, la construction de l’oléoduc a également suscité une opposition de la part de propriétaires de ranch, de fermiers et de propriétaires terriens. Environ 30 personnes y ont été arrêtées alors qu’elles tentaient de bloquer les travaux. Une quinzaine de fermiers ont engagé un procès pour empêcher que le Dakota Access ne saisisse leurs terres en invoquant le droit d’expropriation (ou de préemption, soit la priorité dont jouit, par exemple une administration, pour se porter acquéreur d’un terrain: «eminent domain»).
A l’origine, le droit de préemption était destiné à permettre aux gouvernements au niveau fédéral, des Etats et locaux, de prendre le contrôle de terres destinées à des projets publics tels que des routes et des autoroutes. En 2005, les juges réactionnaires de la Cour suprême ont prononcé un jugement selon lequel le «eminent domain» pouvait être utilisé par des compagnies pour se saisir de terres pour des entreprises privées. C’est cette décision de justice que le Dakota Access est en train d’utiliser pour saisir des terres de propriétaires terriens de l’Iowa pour la construction de l’oléoduc.
Le 13 septembre, des rassemblements de soutien à la lutte au Dakota du Nord ont été organisés dans des dizaines de villes états-uniennes. Des gens continuent de se rendre à Sacred Rock, y compris une caravane de jeunes Palestiniens. Les Palestiniens, tout comme les Amérindiens, ont été victimes de massacres et de déplacement de populations par des colons européens.
Pour soutenir le camp de Sacred Rock, des récoltes d’argent et de provisions ont été organisées. Tout indique que la lutte sera longue, et que le camp devra donc affronter l’hiver brutal du Dakota du Nord. Il y aura donc un besoin pressant de vêtements chauds.
Le 21 septembre, David Archambault a présenté cette cause devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève. Il a affirmé: «Lorsque nous nous sommes adressés à la cour aux Etats-Unis, celle-ci n’a pas protégé nos droits souverains, nos terres sacrées et notre eau. (…) Nous appelons le Conseil des droits de l’homme et tous ses membres, et tous les Etats membres, à condamner la destruction de nos terres sacrées et à soutenir les efforts de notre nation à assurer le respect de nos droits souverains. Nous vous demandons d’en appeler à toutes les parties pour qu’elles cessent la construction de l’oléoduc de Dakota Access et qu’elles protègent l’environnement, l’avenir de notre nation, notre culture et notre mode de vie.» (Article envoyé le 22 septembre 2016, traduction A l’Encontre)
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