Venezuela. L’échec du processus bolivarien (II)

Diosdado Cabello, «le Bras armé», et Nicolás Maduro

Par Edgardo Lander

Face à la détérioration continue des revenus pétroliers, le gouvernement vénézuélien, plutôt que d’envisager des options alternatives à la logique rentière axée sur les exportations, celle-là même qui a causé tant de dommages au pays, opte clairement pour un approfondissement de cette dernière, en se lançant cette fois-ci dans l’extraction minière à grande échelle. [Voir la première de cette analyse publiée sur ce site en date du 31 août 2018.]

L’Arc minier de l’Orénoque

C’est avec cette intention que Maduro, en février 2016, a édicté le Décret sur l’Arc minier de l’Orénoque. 112’000 km2, soit 12% du territoire national – une superficie semblable à celle de Cuba – sont ouverts à l’activité des grandes compagnies minières internationales. Cette large zone est riche en minerais, parmi lesquels: l’or, le colombite-tantalite (coltan), l’aluminium, les diamants et des minerais radioactifs. Le gouvernement a insisté beaucoup sur l’extraction d’or. Selon Eulogio del Pino qui était alors ministre du «pouvoir populaire» du Pétrole et des mines, ainsi que président de PDVSA [il fut nommé au ministère, en août 2015 pour remplacer le cousin d’Hugo Chavez: Asdrúbal Chávez, qui devint le patron de la filiale états-unienne Citgo; del Pino a été accusé, en novembre 2017, d’un présumé refinancement illégal de Citgo – Réd.], les réserves aurifères de la zone atteindraient 7000 tonnes, ce qui représenterait 280 milliards de dollars [23].

La zone couverte par l’Arc minier de l’Orénoque dispose de richesses socio-environnementales et même économiques bien supérieures à la valeur monétaire potentielle des réserves minières. Il s’agit des terres ancestrales des peuples indigènes Warao, E’ñepa, Hoti, Pumé, Mapoyo, Kariña, Piaroa, Pemón, Ye’kwana et Sanema, dont les conditions de reproduction de leurs existences seront dévastées par l’exploitation minière, non seulement en violation flagrante des droits constitutionnels de ces peuples [24], mais en faisant planer sur eux la menace d’un ethnocide.

C’est une zone de l’Amazonie qui joue un rôle crucial dans la régulation des régimes climatiques de la planète et dont la préservation est vitale pour freiner la progression du changement climatique. Il s’agit d’un territoire d’une extraordinaire diversité biologique, principale source d’eau du Venezuela et territoire où sont situés les barrages hydroélectriques qui fournissent plus de 70% de l’électricité consommée dans le pays. Allant encore plus loin dans la logique extractiviste, préférence a été donnée à l’obtention de revenus monétaires à court terme, bien que cela implique une dévastation socio-environnementale irréversible. Tout cela par simple décret présidentiel, en absence totale de débat public, dans un pays qui, selon la Constitution, est démocratique, participatif et fondé sur l’action des habitants, multiethnique et pluriculturel.

Ce décret est une violation claire des droits et responsabilités environnementales scrupuleusement établies dans la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela, par la législation environnementale en vigueur ainsi que par plusieurs accords internationaux souscrits par le pays, tels que la Convention sur la diversité biologique.

Sont violés également la Loi de démarcation et de garantie de l’habitant et des terres des peuples indigènes (janvier 2001) et la Loi organique des peuples et communautés indigènes (LOPCI, de décembre 2005). Parmi toutes ces violations, se détache celle violant toutes les normes de consultation préalable et informée établies fermement autant dans la législation vénézuélienne qu’internationale (Convention 169 de l’OIT) dans les cas où sont prévues des activités pouvant avoir des effets négatifs sur les habitats de ces peuples.

Dans le cadre du projet de l’Arc minier, la participation «d’entreprises privées, étatiques et mixtes» est prévue. Le décret envisage une large gamme d’incitations publiques pour les compagnies minières, entre autres la flexibilisation des normes légales, la simplification et accélération des démarches administratives, l’exemption du respect de certaines dispositions légales prévues par la législation vénézuélienne, la mise en place de «mécanismes de financement préférentiels», ainsi qu’un régime douanier spécial pourvu de privilèges tarifaires et para-tarifaires pour leurs importations. Elles jouiront également d’un régime fiscal particulier prévoyant une exonération totale ou partielle du paiement des impôts de la rente et de l’impôt sur la valeur ajoutée:

«Article 21. Dans le cadre de la politique économique sectorielle, l’exécutif national peut octroyer des exemptions totales ou partielles de l’impôt sur les rentes et de l’impôt sur la valeur ajoutée, qui s’appliqueront, exclusivement, aux activités liées aux activités minières, afin d’encourager le développement et la croissance de la Zone de développement stratégique national: l’Arc minier de l’Orénoque.

De même, les entreprises mixtes constituées en vue du développement d’activités primaires, prévues par ce décret avec rang, valeur et force de loi organique réservant à l’Etat les activités d’exploration et d’exploitation de l’or, ainsi que les activités connexes et auxiliaires à ces dernières, sur les gisements situés dans la Zone de développement stratégique nationale Arc minier de l’Orénoque jouiront de ces avantages pour toute la durée du projet.» [25]

Les possibilités de contestation des effets négatifs de l’activité des grandes entreprises minières dans la zone de l’Arc minier sont interdites par les réglementations prévues par le décret. Afin d’empêcher que les activités des entreprises soient entravées par des résistances, la zone de développement stratégique est placée sous la responsabilité de la Force armée nationale bolivarienne:

«Article 13. La Force armée nationale bolivarienne, en association avec le Pouvoir populaire organisé et en coordination avec les autorités du ministère du Pouvoir populaire ayant compétence sur les questions pétrolières, aura la responsabilité de sauvegarder, protéger et assurer la poursuite harmonieuse des opérations et activités des industries stratégiques situées dans la Zone de développement stratégique national: Arc minier de l’Orénoque.»

Le décret en question prévoit expressément la suspension des droits civiques et politiques sur l’ensemble du territoire de l’Arc minier.

«Article 25. Aucun intérêt particulier, corporatiste, syndical, d’association ou de groupe, ou leurs règlements, ne prévaudra sur l’intérêt général dans l’accomplissement de l’objectif prévu par ce décret.

Les sujets qui exécutent ou promeuvent des actions matérielles tendant à faire obstacle aux opérations, partiellement ou totalement, aux activités productives dans la Zone de développement stratégique créée par ce décret seront sanctionnés conformément à la réglementation juridique applicable.

Les organismes de sécurité de l’Etat engageront les actions immédiates nécessaires à la sauvegarde du déroulement normal des activités prévues par les Plans de la zone de développement stratégique national Arc minier de l’Orénoque, ainsi que pour l’exécution de ce qui est prévu dans cet article.» [26]

Cette «prévalence (prédominance) de l’intérêt général sur les intérêts particuliers» est d’une portée extrêmement grave. Le terme «intérêt général» renvoie ici directement à l’exploitation minière telle qu’elle est conçue par le décret présidentiel. Toute autre vision, tout autre intérêt, y compris le recours à la Constitution, est désormais défini comme relevant d’un «intérêt particulier», susceptible par conséquent d’être l’objet de l’action immédiate des «organismes de sécurité de l’Etat, laquelle doit assurer «la sauvegarde du déroulement normal des activités» prévues par le décret.

Mais, quels sont ou peuvent être les intérêts baptisés par le décret de «particuliers»? La formulation est telle qu’elle laisse une place importante à l’interprétation. D’un côté, il signale explicitement comme étant «particuliers» les intérêts syndicaux et corporatifs. Cela peut, sans aucun doute, aboutir à la suspension, dans toute la zone, des droits des travailleurs prévus par la Constitution et par la Loi organique du travail, des travailleurs et des travailleuses. Cela signifie-t-il aussi que les droits «corporatistes», et donc «particuliers», des journalistes d’informer du développement des activités minières sont suspendus? Les droits des peuples indigènes, conformément à cette approche, relèvent-ils aussi des intérêts particuliers?

 

L’Arc minier de l’Orénoque: extraction d’or et de minerais…  avec ses effets environnementaux

 

Comme il sera développé plus bas, à la mi-2018, les grands investissements internationaux attendus par le gouvernement n’étaient toujours pas arrivés, principalement en raison de l’absence de sécurité juridique [les accords récemment signés avec des firmes spécialisées dans les services pétroliers ne doivent pas être confondus avec les accords potentiels avec des firmes minières – Réd.]. L’exploitation minière illégale d’or et de coltan se développe néanmoins rapidement, avec la participation de dizaines de milliers de mineurs. Cette énorme fraction du pays est devenue un territoire à la marge de l’État, à la marge de toute légalité. Des groupements armés, des paramilitaires, des membres de l’ELN, des dissidents des FARC, des bandes criminelles portant le nom de «syndicats», contrôlent différents secteurs de la zone et fixent les prix auxquels les mineurs sont contraints de vendre les minerais extraits. Tout cela avec la complicité de membres des forces armées vénézuéliennes. Cette activité minière illégale se déroule dans un climat de violences importantes, il est fréquent que des mineurs soient tués lors de disputes territoriales. A cela s’ajoutent les effets socio-environnementaux considérables. Le recours au mercure pour l’extraction de l’or est massif. Des concentrations élevées de mercure sont déjà enregistrées dans le sang des mères et enfants de la zone. Des femmes indigènes sont kidnappées, enlevées à leurs communautés pour être forcées à se prostituer dans les camps de mineurs.

Les tendances autoritaires du gouvernement Maduro

Les élections au parlement de décembre 2015 ont largement été remportées par l’opposition organisée au sein de la Mesa de Unidad Democrática (MUD), par 56,26% des voix contre 40,67% des suffrages aux partisans du gouvernement [27]. Par suite d’une loi électorale anticonstitutionnelle taillée de façon à surreprésenter la force majoritaire, lorsque cette dernière était chaviste, l’opposition a obtenu 112 parlementaires, soit deux tiers des sièges de l’Assemblée.

L’identification antérieure d’une majorité des secteurs populaires avec le chavisme s’était fissurée, l’opposition est arrivée en tête dans plusieurs centres électoraux situés dans des zones populaires qui, jusque-là, votaient largement en faveur du gouvernement. Disposant d’une majorité qualifiée, l’opposition était en mesure de nommer les membres de la Cour suprême de justice, du Conseil national électoral ainsi que d’adopter les lois organiques sans avoir à négocier avec les représentants du gouvernement. D’une situation où le chavisme contrôlait toutes les institutions publiques (exécutif, pouvoir législatif, pouvoir judiciaire, pouvoir électoral, pouvoir citoyen, 20 des 23 gouvernorats des états ainsi qu’une large majorité des municipalités du pays), on aboutissait à une situation nouvelle de dualité de pouvoirs et de crise constitutionnelle potentielle.

Le gouvernement Maduro fait donc face à un sérieux dilemme. S’il reconnaissait les résultats des élections parlementaires et un nouveau rapport de forces dans lequel il ne disposait plus du soutien de la majorité de la population, il se trouvait alors dans une situation où il serait contraint de négocier avec les forces de l’opposition. S’il restait fidèle à la Constitution et respectait les résultats électoraux, il ne pouvait assurer sa permanence au sein du gouvernement. Il a clairement opté pour maintenir à tout prix son contrôle sur l’Etat, bien que cela implique un désaveu de la Constitution et de la volonté de la majorité des électeurs.

Progressivement, le gouvernement va prendre une série de mesures lui permettant de maintenir son contrôle sur l’Etat; des décisions participant d’une dérive autoritaire marquée. Le premier pas dans cette direction s’est déroulé quelques jours après la défaite du gouvernement Maduro aux élections parlementaires. En violation claire des normes constitutionnelles et des procédures établies, fin décembre 2015, avant que l’Assemblée nationale ne soit renouvelée, donc dans les derniers jours de la majorité parlementaire pro-gouvernementale, des nouveaux magistrats ont été nommés à la tête des différentes chambres de la Cour suprême de justice (TSJ). Ces nouveaux magistrats étaient non seulement, sans exception, des inconditionnels du gouvernement, mais plusieurs d’entre eux ne remplissaient pas même les conditions formelles prévues par la loi pour l’occupation de ces charges.

Le rôle joué par ce nouveau TSJ dans la nouvelle configuration sera déterminant pour empêcher l’opposition de faire usage de sa nouvelle majorité qualifiée au sein de l’Assemblée nationale. Cela apparaîtra clairement lorsque les nouveaux magistrats s’illustreront, suite à une accusation sans preuves de fraude électorale avancée par différents secteurs de l’officialisme [c’est-à-dire liés au gouvernement], en annulant les résultats électoraux de l’Etat d’Amazonas [bordé à l’est par le Brésil et à l’ouest par la Colombie], interdisant donc les députés de cette circonscription d’occuper leurs sièges, alors même qu’ils avaient été confirmés par le Conseil national électoral. L’opposition perdait ainsi sa majorité qualifiée.

Cette affaire n’étant pas résolue après plusieurs mois – aucune enquête visant à faire la lumière sur le bien-fondé des accusations de fraude ayant conduit le TSJ à invalider les élections et aucune nouvelle élection n’étant organisée dans un Etat toujours sans représentation parlementaire –l’Assemblée nationale (AN) a décidé d’accepter les parlementaires contestés.

La réponse du TSJ a consisté à condamner l’AN pour outrage. Dès cet instant, ses décisions seront ignorées par le reste des pouvoirs publics. Cette condamnation constitue une deuxième phase cruciale dans la rupture de l’ordre constitutionnel, aboutissant à une concentration des pouvoirs permettant au gouvernement de prendre de nouvelles mesures autoritaires. Suite à la condamnation pour outrage, les attributions de l’AN passent sous le contrôle de la CSJ et de l’exécutif. En février 2016, un pas supplémentaire dans la concentration autoritaire du pouvoir est consommé lorsque Maduro prononce l’état d’urgence économique, s’octroyant des pouvoirs extraordinaires lui permettant de gouverner par décret, méprisant l’obligation constitutionnelle de compter sur l’appui de l’AN. Dès cet instant, il augmentait de manière considérable, en opposition avec ce qu’autorise explicitement la Constitution, la période des pouvoirs extraordinaires.

Edgardo Lander

Dans ces conditions nouvelles, indépendamment des délais et des normes prévues par la Constitution et la Loi organique des processus électoraux en vigueur, les élections ont été organisées uniquement à des dates considérées comme étant favorables au gouvernement et avec la seule participation des partis et des candidats acceptés par celui-ci.

Le premier pas dans cette direction a consisté à empêcher arbitrairement la tenue du référendum présidentiel révocatoire en 2016, bien que les conditions prévues par la Constitution aient été remplies et en dépit des obstacles systématiques dressés par le Conseil national électoral. Le référendum révocatoire avait été défendu par le gouvernement Chávez comme une des conquêtes démocratiques participatives parmi les plus importantes du processus [bolivarien]. De la même manière, les élections des gouverneurs, qui devaient se tenir en décembre de la même année, ont été inconstitutionnellement reportées.

En mai 2017, s’octroyant des attributions qui, d’après la Constitution sont du ressort du souverain, c’est-à-dire de l’ensemble de la population, Maduro a convoqué des élections pour une nouvelle Assemblée nationale constituante.

A cette fin, un mécanisme électoral complexe et nouveau est élaboré afin d’assurer la victoire du gouvernement. Ce dernier combine les votes sur une base territoriale, assurant une surreprésentation extraordinaire aux zones à faible population, aux suffrages provenant desdits secteurs sociaux (travailleurs, étudiants, retraités, etc.), écartant arbitrairement environ 5 millions de citoyens n’entrant dans aucune de ces catégories.

Entre juin et juillet 2017, des mobilisations massives d’opposition à ces élections se sont déroulées dans tout le pays, surtout à Caracas. Elles ont été appelées par les partis de l’opposition, mais se sont transformées en une expression profonde de rejet du gouvernement, dépassant largement les secteurs sociaux identifiés avec cette opposition. Dans un contexte de politique répressive agressive du gouvernement ainsi que de l’action violente de groupes d’extrême droite, il y a eu plus de 130 morts. En dépit du degré élevé de rejet de cette élection, le gouvernement a poursuivi son projet d’Assemblée constituante. L’opposition s’est trouvée profondément fragmentée, démoralisée et en perte de légitimité face à ses partisans.

Etant donné le caractère anticonstitutionnel de l’appel aux élections constituantes et du système électoral piège concocté en vue de celles-ci, aucun secteur de l’opposition, de droite ou de gauche, n’y a participé. C’est ainsi qu’une Assemblée nationale constituante monochrome a été élue, ses 545 membres s’identifiant au gouvernement. Cette assemblée, une fois nommée, s’est autoproclamée supra-constitutionnelle et plénipotentiaire, en d’autres termes jouissant d’un pouvoir absolu, sans contrepoids, dérogeant ainsi à la Constitution de 1999 et empêchant toute remise en cause de la constitutionnalité des lois adoptées par elle. La majorité des décisions prises à ses débuts l’ont été par acclamation ou à l’unanimité. Sans aucun débat.

Au lieu de se pencher sur la tâche pour laquelle elle avait été prétendument élue, soit la rédaction d’un nouveau projet de Constitution, cette assemblée prend des décisions portant sur tous les domaines couverts par les pouvoirs publics, destitue des fonctionnaires, convoque des élections dans des conditions visant à empêcher ou à rendre très difficile la participation de ceux qui ne soutiennent pas le gouvernement, adopte de prétendues «lois constitutionnelles» dépourvues de cadre constitutionnel.

A été adoptée une loi liberticide, «contre la haine, pour la cohabitation pacifique et la tolérance», prévoyant des peines allant jusqu’à 20 ans de prison pour ceux qui, de l’avis des autorités, émettent des messages de haine dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Tout comme une nouvelle loi de promotion des investissements étrangers, dans le but d’assurer une sécurité juridique revendiquée par les entreprises transnationales dans le cadre de l’exploitation de l’Arc minier de l’Orénoque. Ce projet traduit le souhait du gouvernement de substituer l’extractivisme pétrolier par l’extractivisme minier.

De manière accélérée, à la demande du président Maduro, une loi rétroactive est adoptée permettant de supprimer la personnalité juridique aux partis qui n’avaient pas participé aux élections aux mairies de décembre 2017. L’élection de candidats de gauche qui ne sont pas choisis par la direction du PSUV est empêchée. Cela a été le cas d’un candidat bénéficiant d’un large soutien populaire, militant du PSUV et soutenu par les partis associés au PSUV. Remplissant l’ensemble des conditions lui permettant de se présenter, il a remporté à une large majorité les élections dans la commune Simón Planas dans l’Etat du Lara [28]. Le Conseil national électoral, recevant ses instructions de l’Assemblée nationale constituante (ANC), a refusé de reconnaître les résultats des élections et a nommé le candidat désigné par la direction du PSUV maire de cette localité. Une fraude similaire avait déjà eu lieu peu avant, lors des élections au poste de gouverneur dans l’Etat du Bolívar. Les résultats électoraux donnaient alors vainqueur Andrés Velázquez, candidat de l’opposition.

La manipulation du système électoral assurant un contrôle au gouvernement s’est répétée lors des élections présidentielles de mai 2018. Ces élections étaient prévues, d’après la Constitution, pour le mois de décembre mais, de manière surprenante, elles ont été anticipées à mai. Eu égard aux divisions et à l’absence de direction politique claire ainsi que du fait que la majorité des partis d’opposition avaient été inhabilités (sanction «légale»), que le temps avait manqué pour les négociations entre formations ou la tenue d’élections primaires permettant de choisir un candidat unitaire, la majeure partie de l’opposition, sur un spectre politique très large, n’a pas participé à ces élections.

Une pression très forte a été exercée sur les partis d’opposition depuis l’étranger pour qu’ils s’abstiennent, en particulier du gouvernement des Etats-Unis, de Luis Almagro (Uruguay, membre du MPP dans le Frente amplio), secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA) ainsi que par le groupe de Lima [groupe de 17 pays latino-américains constitué à la suite de la déclaration de Lima, du 8 août 2017, visant à «résoudre la crise au Venezuela»]. Le but: contribuer à délégitimer encore plus le gouvernement et accélérer ainsi son renversement.

Aucune perspective n’a été présentée à la population sur ce qui se passerait une fois que Maduro aurait remporté les élections. Pour certains secteurs abstentionnistes, il s’agissait de mettre un terme définitif à la possibilité d’une sortie politique interne, électorale, pacifique, à la crise du pays. Ainsi, la seule option qui resterait ouverte serait celle de l’intervention extérieure, par le biais d’actions directes ou via une accentuation du siège économique afin d’approfondir l’effondrement de l’économie vénézuélienne, en dépit du fait que c’est la population, et non les gouvernants, qui en souffriraient les conséquences.

Pour la politique impériale et pour les groupes de droite vénézuéliens les plus radicaux, l’objectif n’était pas – et n’est toujours pas – d’aboutir simplement à une défaite électorale de Maduro, si celle-ci préservait le soutien populaire dont il bénéficie encore. Il ne s’agissait pas seulement de faire partir Maduro du gouvernement, mais aussi d’écraser l’imaginaire d’un changement anticapitaliste, lequel avait suscité tant d’espoirs autant au sein du pays qu’à l’étranger au cours des années précédentes. Une défaite, faisant de nombreuses victimes si nécessaire, qui serve d’exemple, de châtiment, comme démonstration la plus claire qui soit de l’impossibilité d’une quelconque alternative à l’ordre capitaliste.

Un seul candidat crédible de l’opposition s’est présenté aux élections: Henry Falcón, du parti Avanzada Progresista. Il n’est toutefois pas parvenu à surmonter le fractionnement de l’opposition ni la méfiance croissante de la population envers une institution électorale dont la partialité était toujours plus visible et assumée. Avec une abstention historique de 54%, alors que les niveaux de participation habituels dépassent 70%, Maduro a été réélu avec, selon le CNE, 67,7% des suffrages valides. Le degré élevé d’abstention a ôté la légitimité de ces résultats aux yeux de la majorité de la population.

Crise humanitaire et usure du tissu solidaire et éthique de la société

Tout ce qui précède s’est traduit par une crise sociale et éthique profonde de la société vénézuélienne. Au cours des dernières années, les principaux acquis des premières années du processus bolivarien sont en nette régression. La majorité de la population vit, en 2018 dans des conditions pires qu’en 1998, lorsque Chávez a remporté pour la première fois les élections présidentielles. L’hyperinflation, les pénuries alimentaires et de médicament, le manque d’argent liquide et l’insécurité rendent la vie quotidienne toujours plus difficile pour la majorité de la population.

A l’opposé de ce que l’on aurait pu espérer, après des années de mobilisations et de processus organisationnels fondés sur la solidarité, prédominent au sein de la population les réactions individualistes et de compétition individuelle. Le bachaqueo, c’est-à-dire la revente spéculative de produits subventionnés et la contrebande de minerais sont devenues des activités généralisées, faisant partie d’une économie parallèle dont l’ampleur est inconnue. La contrebande de minerais sur la frontière avec la Colombie s’effectue à des échelles diverses, de l’utilisation de petits paniers jusqu’à d’énormes camions-citernes avec la complicité ou la participation directe de fonctionnaires du PDVSA et de membres des forces armées, des deux côtés de la frontière.

 

Des tonnes d’aliments détournés et accaparés: illustration de la corruption et du «bachaqueo»

 

En absence d’information officielle, au moins partiellement mise à jour, l’évaluation de l’état actuel du pays en termes sociaux et humanitaires doit se baser nécessairement sur les enquêtes menées par les universités, les centres d’étude et les ONG [29].

Étant donné le degré de l’hyperinflation, 87% de la population vénézuélienne [en janvier 2017], mesuré par le niveau du revenu monétaire, est pauvre, une augmentation de 14% par rapport à 2015. Sur une base multidimensionnelle, prenant en compte le revenu, le logement et le type de logement, les services, le travail et la protection sociale, la population considérée comme pauvre est passée de 41,3% en 2015 à 51,1% en 2017 [30].

L’effet le plus direct de la dégradation de l’économie concerne l’accès à la nourriture pour la population. D’après le Centre de documentation et d’analyse pour les travailleurs (CENDA), en juin 2018, le salaire minimum permet à peine d’acheter 1,8% du panier alimentaire de la famille [31].

Dans l’échantillon étudié par l’enquête ENCOVI [Enquête sur les conditions de vie], 89,4% des personnes interrogées affirment ne pas disposer de suffisamment d’argent pour acheter à manger. 87,6% déclarent «avoir mangé moins au cours des derniers trois mois car elle n’a pas trouvé d’aliments à acheter» et 61,2% affirment avoir vécu, au cours des trois derniers mois, l’expérience d’être allé se coucher le ventre vide. Les enquêteurs de l’ENCOVI concluent que 80% des ménages vénézuéliens se trouvent actuellement dans une situation d’insécurité alimentaire.

La réponse du gouvernement à cette situation a consisté à centrer l’essentiel de sa politique sociale sur la remise de bons en espèce à la population ainsi que sur un programme massif de distribution d’aliments fortement subventionnés par le truchement des Comités locaux d’approvisionnement et de production (CLAP). D’après les enquêtes d’ENCOVI, 85,7% des ménages du pays ont accès à ce programme. La régularité de réception des bourses CLAP est très différente, allant d’une fois par mois pour 64% des ménages en bénéficiant à Caracas à, dans le reste du pays, où plus de la moitié en reçoit qu’irrégulièrement [32]. Il s’agit fondamentalement de glucides.

Variations dans la consommation apparente quotidienne par tête d’aliments entre le premier semestre 2013 et le deuxième semestre 2017 [33].
Il ne fait aucun doute que sans ces deux programmes, la situation alimentaire serait bien plus grave. Toutefois, ils ne parviennent pas à surmonter la grave pénurie alimentaire dont souffre la population. D’après l’enquête de suivi de la consommation alimentaire de l’Institution national de statistiques, entre le premier semestre 2013 et le deuxième semestre 2017, la «consommation apparente quotidienne par tête» d’aliments a diminué de manière prononcée. [Et s’est accentuée depuis lors – Réd.]

Il y a non seulement eu une diminution généralisée de la consommation alimentaire, mais aussi un changement du régime alimentaire de la population, caractérisée par une réduction drastique de la consommation de protéines. La consommation de viande, d’œufs et de lait et de leurs dérivés a diminué de plus de 60%. La seule augmentation de la consommation (très légère, 5.1%) est celle des légumes-racines (navet, céleri) et tubercules (pomme de terre). Cette situation s’est traduite par une chute généralisée du poids dans toutes les couches de la population, diminution estimée en moyenne à 8 kg par personne au cours de l’année 2016 [34]. [Pour l’année 2017, la perte de poids de 64,3% de la population est estimée en moyenne à 11,4 kg.]

La sous-alimentation est particulièrement prononcée chez les enfants. Au cours des dernières années, Caritas Venezuela a procédé à un suivi de la situation alimentaire de mineurs de cinq ans dans 38 des paroisses parmi les plus pauvres de sept Etats du pays. Selon le dernier rapport, correspondant à la période janvier-mars 2018 [35], 17% des enfants observés sont dans une situation de sous-alimentation modérée ou sévère, 27% légère et 34% se trouvent en risque de sous-alimentation. Seuls 22% d’entre eux n’ont pas de déficit alimentaire.

Ces données sont en augmentation marquée par rapport aux chiffres du dernier semestre de l’année précédente. Le groupe des enfants âgés de moins de six mois est celui qui est le plus touché: 35% se trouvent dans une situation de sous-alimentation aiguë, modérée ou sévère. Dans ces mêmes paroisses, 38% des femmes enceintes sont frappées de sous-alimentation sévère et 24% de sous-alimentation modérée. Au regard des effets de la sous-alimentation dans le développement psychomoteur et cognitif des enfants en bas âge, il s’agit là sans aucun doute de l’un des effets à moyen et long terme parmi les plus dévastateurs de l’actuelle crise vénézuélienne.

Le système national de soins dans son ensemble s’est effondré. La pénurie de médicaments est sévère. L’accès aux médicaments et traitements pour des maladies chroniques telles que l’hypertension et le diabète est très limité. Les centres de soins ne disposent pas des ressources nécessaires à l’entretien de leurs équipements et appareils. Des patients atteints de maladies rénales meurent car les salles de dialyse ne peuvent pas les recevoir. Des patients ayant reçu des organes (greffe) meurent car ils ne reçoivent pas les traitements évitant les réactions de rejets. Les coupures d’eau et d’électricité sont fréquentes. De nombreux services hospitaliers ne fonctionnent plus ou à des conditions limitées car des médecins ont démissionné.

Des maladies qui étaient sous contrôle réapparaissent. La malaria (paludisme), une maladie que l’on ne trouvait plus que dans une localité du pays, s’est répandue dans pratiquement l’ensemble du territoire national. La grande majorité des cas de malaria rapportés sur le continent américain au cours de l’année 2017 provient du Venezuela. Entre les décomptes des semaines épidémiologiques – 1 et 42 – 319’765 cas de malaria ont été rapportés, ce qui représente une augmentation de 240’613 cas par rapport à l’ensemble de cas rapportés au cours de l’année 2016 [36]. Plus de la moitié des cas de rougeole rapportés sur tout le continent américain au cours des trois premiers mois de 2018 provient du Venezuela [37].

Les peuples indigènes sont ceux qui sont le plus touchés par cette crise du système de soins. Plusieurs épidémies de rougeole ont été signalées au sein du peuple Yanomami, sur la frontière avec le Brésil [38]. Le peuple Warao, vivant dans le delta de l’Orénoque, est frappé par une importante épidémie de VIH-SIDA [39]. Le peuple Yukpa, vivant dans la Sierra Perijá, souffre d’une maladie inconnue mortelle. La survie même de ces peuples est en danger s’il n’est pas mis un terme à ces épidémies.

La dégradation de l’accès au système éducatif est alarmante à tous les niveaux. Entre 2015 et 2017, la population scolarisée âgée de 3 à 24 ans est passée de 78 à 71%. Les secteurs les plus pauvres de la population viennent irrégulièrement dans les écoles en raison du manque de nourriture à domicile et les coupures d’eau [40]. En raison des défaillances dans les transports, autant les enseignants que les élèves cessent de venir dans les écoles. Les universités, en particulier publiques, traversent un processus de dégradation marqué. Pratiquement l’ensemble du budget est consacré au versement de salaires, presque symboliques, sans aucune possibilité de satisfaire aux dépenses nécessaires aux équipements et matériaux de recherche, aux publications et à l’entretien. Toutes les universités rapportent des départs de professeurs et une désertion massive des étudiants, autant parce qu’ils ne peuvent payer les études que parce qu’ils doivent participer à la survie des familles que parce qu’ils ont l’impression que les études sont inutiles dans un contexte où les salaires des professions diplômées ne permettent pas même de payer de quoi s’alimenter [41]. Plusieurs concours pour l’accès à des postes de professeurs dans les universités ne trouvent preneur car la carrière académique a cessé d’être vue comme un choix de vie.

 

Les travailleuses et travailleurs dépendant du Ministère populaire pour l’éducation universitaire pour la science et la technologie (MPPEUCT) sont en lutte depuis 9 mois: depuis novembre 2017, les salaires sont versés de manière «irrégulière»: «Il y a des ressources pour les directions qui s’augmentent, mais pas pour les travailleurs. Est-ce le socialisme pour vous?»

 

L’insécurité a également des effets importants sur la population, résultant autant de l’action de la pègre que de la répression policière et militaire. Le taux d’homicides augmente de manière substantielle depuis 1995. Selon plusieurs sources, Caracas est aujourd’hui la ville la plus violente au monde [42]. Les forces de sécurité de l’Etat, loin de garantir la protection des habitants, font partie du problème [43]. L’exemple le plus violent est celui des Opérations de libération du peuple (OLP), créées au milieu de l’année 2015 avec la justification qu’elles constitueraient une sécurité citoyenne et contrôleraient la pègre. Elles ont fonctionné en tant qu’appareils de répression, appliquant systématiquement la peine de mort lors d’opérations policières dans les quartiers populaires [44].

Par suite des effets combinés de l’inefficacité, du manque d’investissements et d’entretien ainsi que de la corruption, tous les services publics du pays subissent un processus de dégradation important. Les interruptions de fourniture d’électricité sont fréquentes, surtout dans certaines régions du pays comme dans l’Etat de Zulia [45]. Les communications téléphoniques sont toujours plus précaires, internet toujours plus lent. Il existe, à Caracas, des zones populaires et de classe moyenne où il n’y a plus de fourniture d’eau depuis des mois. Les ordures s’accumulent.

Le métro de Caracas, principal moyen de transport de la ville, est toujours plus dégradé, les retards sont fréquents. Son utilisation est toujours plus dangereuse. Il en va de même dans les services à la population et ceux chargés d’émettre des papiers d’identité ou de légaliser des documents. Souvent, la seule garantie de succès des démarches administratives réside dans le versement de commissions élevées (corruption) aux fonctionnaires publics. L’éclairage public est toujours plus restreint. Les rues et les routes du pays sont trouées en raison du manque d’entretien. L’idée que le secteur public est nécessairement inefficace et corrompu devient un sens commun. Les transports publics et privés, autant urbain qu’entre les villes, ont toujours moins de véhicules en circulation en raison du manque de pièces de rechange, en particulier les pneus et les batteries. Au cours de la période de Noël 2017, des queues durant jusqu’à trois jours se sont formées pour pouvoir acheter des billets permettant de voyager de Caracas vers certaines villes de l’intérieur.

Au cours des quatre dernières années, une importante diaspora de Vénézuéliennes et de Vénézuéliens s’est constituée, à la recherche d’un avenir meilleur. Bien que, ici comme ailleurs, les chiffres officiels manquent, plusieurs sources estiment que le volume de l’émigration oscille entre deux et quatre millions de personnes [46]. Le gouvernement colombien a annoncé qu’il y a plus d’un million de Vénézuéliens sur son territoire [47]. Cette migration, qui a débuté dans les couches moyennes et les professions diplômées, tend à s’élargir à d’autres sphères de la société. L’impact est particulièrement sévère en termes de départ de personnel des hôpitaux, des universités et de l’industrie, en particulier PDVSA. L’ampleur de cette migration est l’expression la plus dramatique d’une société qui a le sentiment d’être défaite et dont l’avenir est sans issue, d’une jeunesse à la recherche de perspectives car elle n’envisage aucun avenir dans son pays. Pour les proches qui restent au pays, cette migration a deux visages. D’un côté, le Venezuela est devenu un important récepteur d’envois de fonds des émigrés (remesas) et une proportion croissante de la population dépend de ces revenus pour survivre. Mais, d’un autre côté, elle représente un déchirement familial.

La fin est-elle proche?

En termes politiques, au cours de l’année 2017 le gouvernement est parvenu à consolider son emprise sur toutes les structures de l’Etat, du pouvoir exécutif jusqu’aux principales mairies et jouit d’un contrôle politique qui, pour l’heure, semble assez ferme. L’opposition de droite et de centre droit reste profondément divisée et ses soutiens sont démoralisés.

L’opposition de gauche, y compris celle qui a été baptisée ici de «chavisme critique» et de «chavisme démocratique», n’est formée que de petits groupes n’ayant pas la capacité d’influencer la situation à brève échéance. Grâce à une combinaison habile de discours anti-impérialiste radical – destiné à sa base la plus inconditionnelle et attribuant tous les problèmes du pays à la «guerre économique» – et à une ample politique clientélaire mêlant dons, subsides, contrôle (carnets) et menaces, le gouvernement est parvenu à garder quelque appui électoral, d’une certaine façon majoritaire, en même temps qu’une démobilisation de la plus grande partie de la population, plongée dans la tâche difficile d’assurer le quotidien.

Pour survivre, une proportion importante de la population est aujourd’hui totalement dépendante de la distribution par le gouvernement de bons et de bourses alimentaires subventionnées. La tâche principale de nombreuses organisations populaires de base réside désormais dans la coordination de la distribution des biens subventionnés.

Au cours de l’année 2018, des modifications significatives des expressions du mécontentement populaire se sont produites. Face à la défaite des mobilisations massives de la mi-2017 ainsi que la perte de légitimité des principaux partis d’opposition parmi ceux qui les soutenaient auparavant, la conflictualité et les protestations sociales ont acquis un caractère fondamentalement corporatiste/social: grèves, arrêts de travail, coupures de routes, mobilisations pour les salaires et les conditions de travail ou protestations contre le manque d’eau, les coupures d’électricité, le manque de nourriture, la crise des transports – autant urbain qu’interurbain – ainsi que sur la question de l’insécurité. Selon l’Observatoire vénézuélien de la conflictualité sociale, 5315 protestations ont été enregistrées au cours du premier semestre de cette année 2018, soit 30 par jour. L’observatoire ajoute: «la majorité des protestations (84%) a été caractérisée par des revendications portant sur les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux» [48].

Alors que la moitié de l’année 2018 est écoulée, les conflits corporatistes ou syndicaux les plus importants ont été ceux des travailleurs de l’entreprise publique nationale d’électricité CORPOELEC, des professeurs et travailleurs des universités ainsi que des infirmières et infirmiers.

A fin juillet 2018, l’arrêt de travail dans cette dernière profession durait depuis déjà un mois et les infirmières et infirmiers menaçaient de démissionner en bloc si le gouvernement ne satisfaisait pas à leurs revendications. Il s’agissait là d’un conflit paradigmatique, devenu un point de référence national. Il est parvenu à synthétiser en une seule lutte les revendications partagées par une importante fraction de la population. D’un côté, la revendication d’un salaire digne, au moment où le revenu de tous les salarié·e·s a été pulvérisé par l’hyperinflation. Mais aussi, la lutte porte sur la restauration du système de soins qui, comme on l’a vu plus haut, est fortement détérioré. Les infirmières et infirmiers font quotidiennement face au dilemme de patients qui ont besoin de soins qu’elles ne peuvent procurer en raison du manque d’équipements et du manque (ou absence) de médicaments tout comme des conditions présentes pour pouvoir mener à bien leurs tâches. Des mobilisations de patients se sont déroulées en soutien à la lutte des infirmières.

 

Ana Rosario Contreras, présidente du collège des infirmières de Caracas indique: «Nous luttons pour un salaire digne.» Et indique que si des mesures ne sont pas prises «par le président de la République», «nous serons dans l’obligation douloureuse de rompre les relations de travail avec l’Etat vénézuélien que nous avons maintenues depuis longtemps». (Aporrea, 6 juillet 2018)

 

Dans un contexte de dépolitisation croissante de la population, de méfiance généralisée envers la politique et les politiciens – qu’ils soient du gouvernement ou de l’opposition –, la conflictualité sociale ne s’exprime plus, à la différence des années précédentes, sur un mode de bipolarisation – pour ou contre le gouvernement – mais autour de revendications plus immédiates liées à des questions de survie.

L’avenir immédiat du pays dépendra, en large mesure, du degré auquel ces multiples protestations parviendront à s’articuler en un mouvement d’un nouveau genre, allant au-delà des partis qui, jusqu’en 2017, étaient les principaux acteurs sur la scène politique nationale.

Le gouvernement Maduro, l’Assemblée constituante et les Forces armées face à la débâcle

Face à la grave crise économique, politique, humanitaire et éthique que traverse le pays, le gouvernement ne prend pas d’initiatives ni ne formule de propositions. Habituellement, il répond aux protestations par la répression. Refusant de reconnaître la profondeur de la crise et, surtout, ses causes, il est incapable de toute autocritique substantielle quant à la responsabilité qu’il porte. Le gouvernement, n’envisageant pas des mesures relativement systématiques et cohérentes, ne fait qu’annoncer en permanence des politiques improvisées qui ne touchent jamais à la racine des problèmes. La grande solution offerte par Maduro, en juillet 2018, a été celle de la création d’un nouveau billet de banque, le Bolívar Soberano, prévoyant de supprimer cinq zéros à la monnaie nationale. Dans le but de freiner l’inflation, il a été annoncé que la propriété du pétrole du Bloc Ayacucho I de la frange pétrolifère de l’Orénoque serait transférée à la Banque centrale du Venezuela comme soutien à la nouvelle monnaie (fondé sur le Petro qui en est la référence). Selon Maduro, cela va mettre un terme net à l’hyperinflation à partir du 20 août, date de l’entrée en vigueur du nouveau bolivar. Cette annonce a engendré un débat et un rejet national. Si le but recherché vise à utiliser ces ressources pétrolières comme garantie de la nouvelle monnaie, ces biens seront hypothéqués de manière inconstitutionnelle dans la mesure où, selon l’article 12 de la Constitution:

«Les gisements miniers et d’hydrocarbures, quelle que soit leur nature, existant sur le territoire national, sous le fond de la mer territoriale (frontière maritime), dans la zone économique exclusive qui appartient à la République, sont des biens du domaine public et, sont en conséquence inaliénables et imprescriptibles. Les côtes maritimes sont des biens du domaine public.»

En termes pratiques immédiats, il est probable que cette garantie pétrolière de la monnaie sera de peu d’effets dans le contrôle de l’hyperinflation. Le pétrole ne sert d’appui à la monnaie que dans la mesure où ceux qui la possèdent peuvent accéder à ce pétrole, ce qui n’est évidemment pas le cas.

Annonce des découvertes de pétrole par ExxonMobil dans les concessions de la région de Guyana (Aporrea 31 août 2018)

Ces réserves n’ont de valeur effective que si elles peuvent être extraites du sous-sol et le gouvernement ne dispose pas des ressources financières massives nécessaires à cette fin. Cela signifierait-il d’un premier pas de la privatisation non seulement de ces réserves, mais aussi de l’ensemble de l’industrie pétrolière?

Dans ces conditions, le projet politique du gouvernement n’est pas clair, au-delà d’un fait indéniable: il cherche à se maintenir à la tête de l’Etat à tout prix.

Les instruments principaux sur lesquels il peut compter à cette fin tiennent dans le soutien que la Force armée nationale bolivarienne lui a apporté jusqu’à présent ainsi que dans le pouvoir total que lui offre une Assemblée nationale constituante «supra-constitutionnelle» et «plénipotentiaire». L’armée a beaucoup à perdre dans un changement de gouvernement. Outre les conditions salariales largement supérieures au reste des employés du secteur public, une proportion importante de la corruption massive de ce gouvernement est le fait de certains membres des corps de l’armée.

Pour ce qui a trait à l’avenir de l’ANC, le gouvernement envoie des signaux contradictoires. Initialement, la durée prévue pour cet organe était de deux ans. Selon Diosdado Cabello, président de cette assemblée, elle pourrait toutefois être prolongée de quatre ans supplémentaires [49]. Eu égard à son caractère «plénipotentiaire» et «supra-constitutionnel», il se pourrait que son mandat soit d’une durée indéterminée.

L’élaboration d’un nouveau texte constitutionnel semble se faire en secret, dans le dos même des membres de cette Assemblée. Il n’existe par conséquent aucune information fiable quant aux orientations fondamentales qu’il contiendra, ni sur le but cherché par une nouvelle Constitution qui ne pouvait être atteint par la Constitution de 1999.

Il existe toutefois deux hypothèses principales, sans doute complémentaires, quant aux objectifs principaux de ce nouveau texte constitutionnel. En premier lieu, trouver des options à brève échéance face aux manques de ressources drastiques dont souffre l’Etat en vue de répondre à la crise que traverse le pays. Il ne fait aucun doute que le gouvernement est conscient du fait que dans les conditions présentes le temps «marche» contre lui. Face à l’urgence de trouver de nouveaux revenus, il a pris au cours des trois dernières années des mesures afin d’attirer les capitaux transnationaux.

La mesure la plus importante a consisté réside dans le décret de l’Arc minier de l’Orénoque, la création des zones économiques spéciales ainsi que dans l’adoption par l’ANC d’une nouvelle loi sur la promotion et la protection des investissements étrangers [50]. Toutefois, en dépit des conditions extrêmement favorables offertes au capital étranger, autant en termes de flexibilité réglementaire que d’incitation fiscale de tout type, ainsi que des énormes richesses énergétiques et minières que l’Etat offre aux transnationales, les fleuves d’investissements attendus se font attendre. Cela s’explique, fondamentalement, par le fait qu’il s’agit d’investissements à grande échelle qui ne peuvent être rentables qu’à moyen ou long terme. Pour cette raison, les entreprises, en plus des conditions favorables offertes par l’Etat vénézuélien, nécessitent aussi une stabilité politique et une sécurité juridique. Rien de cela n’est aujourd’hui garanti dans le pays.

Il n’y a pas de sécurité juridique car tous ces décrets, normes et contrats relevant de cette nouvelle politique minière/énergétique sont anticonstitutionnels et violent en outre les lois sur les hydrocarbures et la législation sur les peuples indigènes, l’environnement et les rapports de travail. Ces décisions ne disposent pas non plus du soutien de l’Assemblée nationale, seul organe législatif reconnu par la majorité des pays. Un changement de gouvernement pourrait signifier une annulation de ces mesures inconstitutionnelles.

Pour cette raison, le gouvernement tentera sans aucun doute d’attirer les investissements nécessaires, dans l’urgence, en donnant un verni de légitimité constitutionnelle à toutes ces politiques d’ordre néolibéral. Il est toutefois très peu probable que ces modifications constitutionnelles produisent un changement de la façon dont le pays est perçu et aboutissent à faire naître la confiance tant attendue.

En deuxième lieu, afin de se maintenir à la tête de l’Etat pour une durée indéterminée, l’actuelle direction politique du gouvernement-PSUV devrait modifier substantiellement la structure juridico-politique de l’Etat vénézuélien, mettant à l’écart ou bornant considérablement les «entraves» représentées par la démocratie représentative libérale. Un système politique fondé sur des élections universelles, directes et secrètes et disposant d’une légitimité suffisante pour que la majorité des citoyens participent à ces dernières ne permet pas au gouvernement de garantir son contrôle sur l’appareil d’Etat. A cette fin, les modalités d’organisation de l’Etat, et surtout du régime électoral, sont variées, se fondant sur d’autres principes. Lesquels, à l’instar de ce qui se faisait dans les pays du «socialisme réellement existant», sous prétexte d’approfondir la démocratie en viennent à liquider toute possibilité d’expression démocratique.

Des élections au second degré pourraient être intégrées dans le nouvel agencement constitutionnel ou des élections fondées sur des organisations et secteurs sociaux pouvant être contrôlés par le gouvernement. Un pas dans cette direction a déjà été fait dans le cadre des élections à ladite Assemblée nationale constituante, avec un régime électoral discriminatoire divisant arbitrairement la population entre des citoyens de première catégorie, disposant de deux suffrages, et des citoyens de seconde catégorie, avec une seule voix.

Dans un contexte de divisions internes et de malaise en raison de la situation dans laquelle est plongé le pays, s’est tenu à partir de fin juillet 2018 le IVe Congrès du PSUV, avec une participation de 670 délégués. Au cours des semaines précédentes, plusieurs voix, y compris de dirigeants de haut rang, ont affirmé publiquement que le moment était venu de démocratiser le parti et d’accorder un plus grand poids à l’opinion de la base. Au cours de ce Congrès, le vice-président du Parti a proposé que Nicolás Maduro soit confirmé et élu président du Parti. Il a ajouté en outre qu’il fallait: «lui attribuer immédiatement tout le pouvoir nécessaire afin que le président Maduro prenne toutes les décisions qu’il estime opportunes pour nommer à la direction nationale [du Parti], les équipes politiques et prendre toutes les décisions en matière organisationnelle qui sont nécessaires au renforcement du parti et de la révolution.» [51] Ce passage a été adopté par acclamation. «Démocratiquement» et «volontairement», les délégués du Congrès du PSUV acceptent toutes les décisions que peut prendre le «lider máximo». On assiste donc à la répétition du verticalisme et de l’absence totale de démocratie au sein du parti propres aux temps les plus sombres du stalinisme.

Tout cela caractérise une nouvelle phase politique marquée par l’approfondissement de la crise humanitaire, une opposition partisane fragmentée et très affaiblie, l’ampleur plus ou moins grande que peuvent prendre les protestations sociales croissantes ainsi que par les tentatives de progression du projet autoritaire, doté d’un contenu économique néolibéral, que le gouvernement tente imposer, contre vents et marées.

(Caracas, le 17 août 2018; traduction A l’Encontre)

Edgardo Lander est sociologue. Il enseigne à l’Université centrale du Venezuela. Il est associé au Transnational Institute (Amsterdam). Il a été un supporter de Chávez, tout en étant assez vite critique de la dépendance rentière du pétrole qui restait en place dans le «modèle économique». (Réd.)

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[23] Agencia Venezolana de Noticias, «Gobierno nacional prevé certificar en año y medio reservas del Arco Minero Orinoco», Caracas 25 février 2016.

[24] Conformément à la Constitution nationale, «Article 119. L’Etat reconnaît l’existence des peuples et communautés indigènes, leur organisation sociale, politique et économique, leurs cultures, us et coutumes, langues et religions comme leur habitat et droits coutumiers, les terres ancestrales que traditionnellement ils occupent, nécessaires pour développer et garantir leur mode de vie. Il est du ressort de l’Exécutif National, avec la participation des peuples indigènes, de délimiter et de garantir la propriété collective de leurs terres, lesquelles seront inaliénables, imprescriptibles et intransférables en accord avec le contenu de la présente Constitution et de la loi. Article 120. L’exploitation des ressources naturelles sur le territoire des habitats indigènes par l’État se fera sans léser leur intégrité culturelle, sociale et économique, et elle est sujette préalablement à l’information et à la consultation des communautés indigènes concernées. Les bénéfices tirés de cette exploitation par les peuples indigènes sont assujettis à la Constitution et à la loi.»

[25] Décret 2248 portant sur la Création de la zone de développement stratégique Arc minier de l’Orénoque, Gaceta Oficial de la República Bolivariana de Venezuela, n° 40.855, Caracas vendredi 26 février 2016.

[26] Idem.

[27] De nombreux analystes sont d’accord pour indiquer que plus qu’une expression de soutien à la MUD, dont de nombreux candidats étaient inconnus des électeurs, cette votation est l’expression plébiscitaire d’un rejet croissant du gouvernement Maduro.

[28] Voir:  «Colectivos y organizaciones populares se pronuncian por el caso en Simón Planas», Aporrea, Caracas 3 de enero del 2018. [www.aporrea.org/poderpopular/n319179.html]

[29] La source principale d’information sur la situation sociale du pays dans son ensemble est l’Encuesta Nacional de Condiciones de Vida de la Población Venezolana (ENCOVI). Il s’agit d’un projet porté depuis 2014 par une équipe multidisciplinaire provenant de trois universités: Simón Bolívar (USB), centrale du Venezuela (USV) et Andrés Bello (UCAB).

[30] ENCOVI, Encuesta sobre condiciones de vida en Venezuela, Caracas, febrero 2018.

[31] CENDA, Canasta alimentaria junio 2018, Caracas julio 2018. [http://cenda.org.ve/noticia.asp?id=171]

[32] ENCOVI, op. cit.

[33] Mes propres calculs fondés sur les données de l’Institution national de statistiques, Indicadores SocioEconómico-Demográfico de Venezuela. Período 2013-2018. Caracas, 2018. Jusqu’au mois de juillet 2018, ces données n’ont pas été rendues publiques par l’INE.

[34] ENCOVI, op. cit.

[35] Cáritas Venezuela. Monitoreo de la situación nutricional de menores de cinco años. Caracas. enero-marzo 2018. [http://caritasvenezuela.org/wp-content/uploads/2018/07/6to-Boletin-SAMAN-Enero-Marzo-2018.pdf]

[36] Organización Panamericana de la Salud, Organización Mundial de la Salud, Actualización Epidemiológica. Aumento de malaria en las Américas. 30 de enero 2018. [https://www.paho.org/hq/index.php?option=com_docman&task=doc_view&Itemid=270&gid=43437&lang=es]

[37] Organización Panamericana de la Salud, Organización Mundial de la Salud, Actualización Epidemiológica Sarampión, 6 de abril 2018. [https://www.paho.org/hq/index.php?option=com_docman&task=doc_view&Itemid=270&gid=44330&lang=es]

[38] OPS mène l’enquête sur 53 indigènes morts de rougeole en Amazonie, Efecto Cocuyo, Caracas, 23 juillet 2018.

[39] Kirk Semple, “En Venezuela, el aumento del sida amenaza a toda una población indígena”, New York Times, Nueva York, 7 de mayo de 2018.

[40] ENCOVI, Encuesta sobre condiciones de vida en VenezuelaEducación. Caracas, febrero 2018.

[41] Selon le directeur des affaires étudiantes de l’une des principales universités du pays, l’Université des Andes, entre 2015 et fin 2017, 65% des étudiants ont quitté l’université, soit environ 25’000 d’entre eux. “En 65% se incrementó en el 2017 deserción estudiantil en la ULA”, Analítica, 29 de diciembre 2017. [http://www.analitica.com/actualidad/actualidad-nacional/en-65-se-incremento-en-el-2017-desercion-estudiantil-en-la-ula/]

[42] “Caracas, la segunda ciudad más violenta del mundo” La Patilla, Caracas, 6 de marzo 2018. [https://www.lapatilla.com/2014/01/16/caracas-es-la-segunda-ciudad-mas-violenta-del-mundo/]

[43] 35% des homicides à Caracas sont commis par des personnes portant l’uniforme. #MonitorDeVíctimas, Efecto Cocuyo, Caracas, 27 de octubre, 2017. [http://efectococuyo.com/principales/35-de-los-homicidios-que-ocurren-en-caracas-son-cometidos-por-uniformados-monitordevictimas/]

[44] Keymer Avila, “La represión como respuesta”, Contrapunto, Caracas 20 de junio, 2017. [http://contrapunto.com/noticia/la-represion-como-respuesta-142848/]; Keymer Avila, “Las Operaciones de Liberación del Pueblo (OLP): entre las ausencias y los excesos del sistema penal en Venezuela”, Crítica Penal y Poder, no. 12, 2017, Universidad de Barcelona.

[45] Le gouvernement donne toujours comme cause des fréquentes interruptions de la fourniture d’électricité le sabotage des installations. Les travailleurs du secteur affirment pour leur part qu’il s’agit de défaillances d’entretien. « Presidente de Fetraelec, Ángel Navas, afirma que apagón en Caracas fue por falta de mantenimiento, mientras presidente Maduro asegura que fue ‘sabotaje’“. Aporrea, Caracas 1 de agosto del 2018. [www.aporrea.org/actualidad/n329052.html]

[46] “Consultores 21: 4 millones de venezolanos han emigrado en los últimos años”, Noticiero Digital.com, Caracas 12 de enero 2018, [http://www.noticierodigital.com/2018/01/consultores-21-4-millones-venezolanos-emigrado-los-ultimos-anos/]

[47] «Une fois finalisé le Registre administratif des migrants vénézuéliens (RAMV), constitué entre le 6 avril et le 8 juin, le gouvernement national a établi qu’au cours des derniers 15 mois, en raison de la crise que traverse le pays voisin, plus d’un million de migrants vénézuéliens sont venus en Colombie, 442’462 d’entre eux étant des irréguliers, 376’000 des réguliers et 250’000 des Colombiens revenant.» “Cerca de un millón de venezolanos hay en el país y 442 462 son irregulares”, vanguardia.com, 14 de junio 2018. [http://www.vanguardia.com/colombia/435863-cerca-de-un-millon-de-venezolanos-hay-en-el-pais-y-442462-son-irregulares]

[48] Observatorio Venezolano de Conflictividad Social, Venezuela en emergencia humanitaria compleja. Conflictividad social. Primer semestre 2018, Caracas 12 de julio 2018. [https://www.observatoriodeconflictos.org.ve/destacado/conflictividad-social-en-venezuela-primer-semestre-de-2018]

[49] “Cabello: ANC podría extender su vigencia hasta por cuatro años más”. El Universal,Caracas, 30 de julio del 2018.

[50] Gaceta Oficial N° 41.310: Ley Constitucional de Inversión Extranjera Productiva, Finanzas Digital, Caracas, 2 de enero del 2018. [http://www.finanzasdigital.com/2018/01/gaceta-oficial-n-41-310-ley-constitucional-inversion-extranjera-productiva/]

[51]  “Así fue el apagón durante IV Congreso del Psuv este 30Jul”, [https://www.youtube.com/watch?v=HGXG_77FOsE]

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