Editorial d’Esquerda.online
Aujourd’hui, 1er novembre 2018, après avoir rendu visite à la maison de Jair Bolsonaro, à Rio de Janeiro, le juge fédéral Sergio Moro a annoncé la nouvelle. Il a accepté d’être à la tête du ministère de la Justice et de la Sécurité publique du gouvernement fédéral. La nouvelle a déjà été confirmée par Bolsonaro à travers les réseaux sociaux.
Cette nomination a une forte signification. S. Moro a été le principal responsable de l’opération Lava Jato [initiée en 2014-2015] au sein du pouvoir judiciaire. C’est à partir de cette position qu’il a agi continuellement afin d’interférer dans le processus politique national. Au milieu de la mobilisation pour la destitution de Dilma Rousseff, en août 2016, le juge Moro a divulgué illégalement un enregistrement audio d’un entretien téléphonique entre la présidente d’alors et Lula. En juillet 2017, il a condamné en première instance l’ex-président Lula dans un procès marqué par l’arbitraire [le 4 mars 2016, sur ordre de Sergio Moro, la police débarqua devant la maison de Lula da Silva pour l’emmener au commissariat; et comme par hasard, toutes les caméras filmaient cette «arrestation»]. Cette condamnation a pavé le chemin menant Lula en prison avant de lui récuser le droit de se porter candidat cette année-là. Enfin, dans une autre manœuvre illégale, Moro a divulgué la déposition confidentielle d’Antônio Palocci à six jours du premier tour des élections [A. Palocci pour réduire sa peine de nombreuses années d’incarcération pour corruption se transformait en dénonciateur de Lula].
Cet ensemble d’actions a renforcé indirectement la candidature de Bolsonaro, en insufflant un «antipétisme» sur lequel a surfé le candidat du PSL (Parti social-libéral] et, directement, en empêchant Lula qui était en tête des sondages d’intentions de vote de se porter candidat. Il s’agit là d’une intervention directe du pouvoir judiciaire sur les élections présidentielles de cette année. Ce même pouvoir a fait totalement preuve de connivence avec toutes les irrégularités commises par Bolsonaro et a permis une série de mesures intimidantes contre la campagne de Fernando Haddad (PT), spécialement lors du second tour.
Maintenant, après les grands services rendus au coup d’Etat institutionnel [l’impeachment de Dilma Rousseff] et à son agenda politique réactionnaire, Moro s’éloigne de la magistrature et est récompensé: il assumera un super-ministère de la Justice, lui permettant également d’exercer ses pouvoirs dans le secteur de la Sécurité publique [1]. Cela démontre pleinement le caractère sélectif et réactionnaire du Lava Jato qui a toujours été au service du coup d’Etat parlementaire afin de permettre une sortie encore plus conservatrice pour la crise politique brésilienne.
C’est ainsi que le gouvernement Bolsonaro se dessine. Une alliance sinistre avec une présence forte de l’élite des forces armées, de l’agrobusiness, des éléments les plus réactionnaires du pouvoir judiciaire [2] et ainsi que d’une partie des directions d’Eglises évangéliques.
Plus que jamais, il sera très important de renforcer un front unique qui unifie les centrales syndicales, les syndicats, les partis de gauche qui s’identifient avec les travailleurs, les mouvements populaires, les mouvements étudiants, les mouvements de luttes contre les oppressions, le Front Brésil populaire et le Front d’un peuple sans peur.
Un front unique des masses laborieuses qui promeut une ample unité d’action en résistance aux attaques contre les droits sociaux et les libertés démocratiques qui seront mises en œuvre par le gouvernement Bolsonaro et ses alliés. (Cet article a été publié le 1er novembre sur le site esquerdaonline.com.br. Traduction Réd. A l’Encontre)
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[1] Le ministère de Sergio Moro va réunir: la Justice, la Sécurité publique, les Affaires intérieures (polices); le Secrétariat de la transparence et du contrôle des activités financières. Pour le moins c’est un super-ministère. Il y a deux ans, lors d’un entretien avec le quotidien avec Estado de São Paulo, à la question portant sur son intention «d’entrer en politique», il répondait, sur un ton définitif: «Jamais. Jamais. Je suis un homme de la Justice.» Il continuait ainsi: «Je crois que la politique est une activité importante, je ne veux pas la mettre en question, ceux qui agissent sur le terrain politique ont un grand mérite; mais moi je suis un juge, je vis dans une autre réalité, je poursuis un autre type de travail, j’ai un autre profil. Dès lors, ce risque [d’entrer en politique] n’existe pas.» Celui qui est né, en 1972, à Maringuá (Paraná), dans le sud du Brésil, et a été «formé» à Harvard, n’a jamais manifesté le plus petit doute lorsqu’il émettait des ordres d’incarcération. «Les élites et l’establishment entrepreneurial adoraient Moro» (El Pais, 2 novembre 2018) pur son combat contre Lula, quand bien même quelques entrepreneurs (comme Marcelo Odebrecht, le patron du géant de la construction mêlé à des affaires de pots-de-vin dans toute l’Amérique du Sud et centrale) durent payer quelques pots cassés. (Réd. A l’Encontre)
[2] Au pouvoir judiciaire s’ajoute celui des gouverneurs. Un exemple est emblématique. Le nouveau gouverneur de l’Etat de Rio de Janeiro – déjà militarisé – Wilson Witzel ne cache pas ses idées dans la presse: «Le délinquant avec une arme doit être abattu.» Wilson Witzel a reçu l’appui dans sa bataille électorale d’un des fils de Jair Bolsonaro, Flavio, sénateur de l’Etat de Rio de Janeiro. Witzel et Bolsonaro partagent le même point de vue résumé dans une formule: «La police qui ne tue pas n’est pas une police.» Ce qui n’est pas même partagé par le colonel Robin de la police de Rio qui affirme: «La police en principe ne tue pas; elle ne fait que se défendre. Et c’est cela qui est prévu par la loi. Abattre est une attaque, un homicide. Dans un contexte démocratique, si la police tue, elle doit le justifier.»
Dès le 1er janvier, lors du changement de gouvernement, la dureté de la répression et l’ampleur des règlements de compte – déjà élevés – vont s’aiguiser. En effet, les accords entre les patrons mafieux de la drogue et des responsables de la police doivent se renégocier, ce qui est toujours un moment privilégié pour tester des rapports de forces «militarisés». L’image médiatique (volontaire ou liée à la méconnaissance) qui en sera donnée réduira strictement les «tueries» à des affrontements entre petits dealers. (Rédaction A l’Encontre)
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