Entretien avec Mahmoud Rechidi, secrétaire général du Parti socialiste des travailleurs (PST)
Le PST dénonce la politique économique du gouvernement, jugée trop libérale. Son secrétaire général souhaite le rassemblement des partis de gauche pour l’élection présidentielle.
Le gouvernement aurait décidé la révision de l’art 87 bis du code du travail et la privatisation de nombreuses entreprises publiques. Comment jugez-vous ces décisions?
Ce sont des mesures qui vont à l’encontre de notre économie et du développement de notre pays. Nous avons déjà connu, dans les années 1990, une vague de privatisations et de fermetures d’usines, conséquence des desiderata du Fonds monétaire international (FMI). La politique menée par le gouvernement de l’époque a été un désastre pour l’économie nationale. Elle a eu pour conséquence un recul des acquis sociaux. Aujourd’hui la situation économique de l’Algérie n’est pas comparable à celle des années passées, c’est pourquoi on comprend mal pourquoi le gouvernement aurait comme seule perspective de se lancer dans une nouvelle vague de privatisations dont on connaît déjà les conséquences : renoncement au développement, soumission aux puissances étrangères et pillage de nos richesses. La politique de ces dernières années et les perspectives qu’on veut nous imposer ont en réalité érigé l’importation comme mode de production. Nous sommes opposés à cette perspective de privatisations et nous pensons au contraire qu’il faut mettre en place un projet économique qui satisfasse les revendications socioprofessionnelles des Algériens. L’économie doit être au service des êtres humains et non du marché.
Faut-il un moratoire sur toutes ces décisions en attendant l’élection du futur président?
Bien sûr. Nous pensons que cette série de décisions, qui engagent le destin de notre pays, est antidémocratique. Il y a aujourd’hui un risque d’une politique de privatisation à outrance. Il n’est pas normal que dans un contexte où le président est malade et où les structures actuelles n’ont pas toutes les prérogatives, des décisions aussi graves soient prises. C’est pourquoi nous demandons un moratoire et l’arrêt de ces décisions. Nous appelons à la constitution d’un front antilibéral pour combattre ces mesures qui risquent de détruire ce qui reste du tissu industriel et économique.
Le président est malade. Réclamez-vous une présidentielle anticipée ou estimez-vous que Bouteflika doit aller au terme de son mandat?
Qu’elle soit anticipée ou pas, il faut d’abord que l’élection puisse avoir lieu dans des conditions démocratiques. La question n’est pas de savoir si Bouteflika doit rester et qui doit le remplacer, mais quel programme politique et économique va être mis en place pour ce pays. C’est pourquoi nous ne pensons pas que le changement viendra par les élections dans ces conditions. Il faut qu’on arrive à construire un rapport de forces politiques dans la société pour faire changer les choses.
Comment expliquez-vous que les partis de gauche n’arrivent pas à capitaliser sur le mécontentement social?
C’est vrai que la traduction politique de ce mécontentement social est en dessous de nos espérances. Lors de la décennie noire, l’ex-FIS était l’organisation la plus importante, non pas en termes de structure, mais en termes de capacité à tenir un discours hégémonique dans le camp populaire. D’autre part, il ne faut pas perdre de vue que l’idée du socialisme qui a existé dans la tête de plusieurs générations s’est estompée avec la chute du mur de Berlin et l’éclatement de l’URSS. De plus, l’expérience stalinienne a montré non seulement ses limites, mais a eu des conséquences néfastes sur l’idée et la perspective de l’alternative socialiste. Ajoutez à cela la période difficile dans les années 1990, où même la classe ouvrière pensait que le libéralisme pouvait être une alternative au système. Vingt ans plus tard, on a connu l’effondrement du système financier. Aujourd’hui, je dirai que nous sommes dans une période de reconstruction. Dans le contexte régional actuel, nous avons besoin de nos propositions, de nos réflexions, car le monologue libéral est un danger.
Êtes-vous favorable à la révision de la Constitution?
A l’exception de celle de 1963, qui était issue d’une Assemblée constituante, toutes les autres sont des textes qui ont été rédigés par on ne sait qui. C’est pour cela que de notre point de vue, il faut d’abord mettre en place une Assemblée constituante souveraine qui doit refléter la représentation et les intérêts de la majorité. Cela veut dire qu’elle doit être composée non seulement par les syndicats, mais également par les mouvements de jeunes, les paysans, les chômeurs et pas uniquement de partis politiques qui, souvent, ne représentent pas les Algériens.
Pour la présidentielle de 2014, le PST milite pour une candidature unique des partis de gauche?
Oui, nous y travaillons. Nous avons lancé l’idée du rassemblement des partis de gauche en mai passée et nous proposons de discuter pour mettre en place ensemble un projet. Pour cela, nous sommes favorables à l’élaboration d’une plateforme minimale qui nous permet de lancer des actions et des campagnes politiques communes, tout en permettant aux partis de garder leur autonomie. Cela pourrait être les prémices d’un programme politique commun. D’autant que la présidentielle est la tribune idéale pour offrir une alternative au libéralisme et à la dictature dont la façade réprime souvent les libertés démocratiques.
Le PST semble avoir des difficultés à exister et à se faire entendre depuis le départ de l’ancien secrétaire général, Chawki Salhi.
Ce n’est pas vrai et les échos qui nous parviennent prouvent le contraire. Nous avons mené une campagne pour les législatives et les communales, après le départ de Chawki Salhi, qui nous ont permis de nous faire entendre. Dans toutes les luttes sociales, le PST est actif. Que ce soit au sein du combat des ouvriers ou du mouvement des chômeurs, le Parti socialiste des travailleurs est présent. Dans la réalité, nous sommes présents auprès des jeunes, des sans-emploi, des travailleurs et des syndicats. Maintenant, il est vrai que notre message ne parvient pas toujours aux Algériens, car nous sommes tributaires de la bonne volonté des médias. On est confronté, d’une part, à une presse privée qui a une ligne éditoriale qui est à l’opposé de notre combat, et d’autre part à un service public qui ne remplit pas sa mission, sauf en période d’élections, car ils y sont contraints.
Bio express
Né en 1961 à Alger, juriste de formation, Mahmoud Rechidi rejoint, en 1980, le Groupe communiste révolutionnaire (GCR), qui active dans la clandestinité. En 1989, il est membre fondateur du PST et en 2012, il devient secrétaire général du parti après la démission de Chawki Salhi. (Publié dans El Watan, le 2 août 2013)
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