
Par Mateo Alaluf
Moins d’un mois après la précédente [voir sur la grève du 31 mars l’article publié sur ce site le 4 avril], à l’appel du Front commun syndical (Fédération générale du travail de Belgique FGTB et Confédération des syndicats chrétiens CSC), la Belgique a été à nouveau en grève générale ce 29 avril. Une nouvelle fois, les transports publics ont été à l’arrêt, les aéroports fermés, les vols annulés et le port d’Anvers entièrement paralysé. La grève a été largement suivie dans les services publics et le secteur privé. Même la justice est en révolte contre «une attaque sans précédent du gouvernement contre le pouvoir d’achat et l’indépendance des juges»: les tribunaux ont fonctionné au ralenti et le ministère public ne procédera plus à la suspension d’exécution des peines d’emprisonnement de moins de 5 ans voulue par le ministre de la Justice en raison de la surpopulation carcérale. Dans toutes les grandes villes, à l’appel des syndicats, manifestations et rassemblements ont dénoncé les mesures visant frontalement les services publics et la sécurité sociale.
Le mouvement n’a même pas connu de répit pendant le mois qui a séparé les deux grèves générales: les chemins de fer ont été à l’arrêt tous les mardis d’avril, les enseignants ont mené des grèves tournantes dans la semaine du 7 au 11 avril, le secteur de la petite enfance a suivi le 16 avril et les services sociaux (CPAS) en sous-effectifs et dans l’incapacité d’accueillir les exclus du chômage se sont joints au mouvement le 24 avril. Alors que les patrons appelaient les syndicats «à quitter la rue et venir négocier», ceux-ci ont engagé contre la réforme du chômage une action devant les tribunaux et un recours devant la Cour constitutionnelle.
Après cette nouvelle grève générale, des mobilisations sont déjà programmées par les syndicats: des actions sont prévues dans les services publics le 20 mai, le 22 une manifestation du secteur non marchand et le 27 juin, à la veille des vacances, une concentration à Bruxelles devrait marquer la fin de la première phase du mouvement contre les décisions déjà prises par le gouvernement. Pour relancer le mouvement, une grande manifestation est prévue en septembre – au moment où une deuxième vague de mesures sera annoncée – sans doute davantage ciblée contre la réforme des retraites et les exclusions du chômage [1].
Les dernières élections législatives avaient conduit à la formation d’un gouvernement nettement marqué à droite, résolu à pressurer et fragiliser la sécurité sociale, amoindrir les services publics et affaiblir les organisations mutualistes et syndicales. Si bien que le bras de fer engagé entre le gouvernement Arizona [2] et le Front commun syndical a pris l’aspect d’un véritable règlement de comptes qui s’installe donc dans le temps [3]. Pour y répondre dans la durée, les organisations syndicales ont conçu une véritable stratégie de l’usure par une succession de grèves et manifestations à répétition.
Cette stratégie viendra-t-elle à bout de la détermination du gouvernement? Le mécontentement et la révolte contre les «réformes» sont grands. Mais les mobilisations sans résultat immédiat ne risquent-elles pas de s’essouffler? Tant que les actions syndicales sont prévisibles dans la durée, le gouvernement comme le patronat sont habitués à faire le dos rond en attendant que l’orage soit passé. En conséquence des militants et des centrales syndicales suggèrent de durcir le mouvement. Pourquoi pas des grèves au finish [arrêt du travail pour une durée indéterminée]? Lors des rassemblements du 1er Mai, était présent dans les mémoires le souvenir des 5 semaines de grève générale de l’hiver 1960-1961 contre une loi dite «unique» visant précisément la sécurité sociale et les services publics qui avait fait chuter le gouvernement.
Face à des actions programmées, la détermination du gouvernement, le plus à droite de l’après-guerre, paraît grande. Mais la force des mouvements sociaux ne réside-t-elle pas précisément dans leur imprévisibilité? (2 mai 2025)
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[1] Pour le quotidien Le Soir du 28 avril, la secrétaire générale de la CSC, Marie-Hélène Ska, illustre au travers d’un cas concret ce qu’implique cette contre-réforme: «La caissière du Cora qui, en 2027, devra s’inscrire au chômage à l’âge de 60 ans. Elle pense qu’elle aura droit à plus de deux années de chômage parce qu’elle disposera des 32 années de carrière requises. Or, il s’agit d’années prestées à temps plein, alors que le temps de travail standard chez Cora, c’est un 4/5e temps. Pour elle, 32 années ne suffiront pas à éviter l’exclusion.» (Réd.)
[2] Arizona est le nom donné à la coalition gouvernementale fédérale dominée par les nationalistes flamands NVA (couleur jaune) et les libéraux francophones MR (bleu), comprenant également les socialistes flamands (rouge) et les chrétiens démocrates flamands et francophones (orange). Ces couleurs correspondent à celles du drapeau de l’état de l’Arizona. Après le succès de la droite aux dernières élections législatives, la coalition Arizona a succédé au gouvernement Vivaldi de centre gauche.
[3] Conjointement à la mobilisation syndicale du 29 avril, le collectif «Commune colère» a placardé le slogan sur la Tour des Finances (qui fait partie de la Cité administrative de l’Etat): «383 milliards d’évasion fiscale: Arizona vole dans les mauvaises poches». Une membre du collectif déclare au quotidien Le Soir (29 avril): «Alors que les travailleurs sont sommés de trimer plus pour gagner moins, les entreprises reçoivent un cadeau d’un milliard d’euros en réduction de cotisations. Le gouvernement aligne ses priorités sur l’agenda de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), au détriment de l’immense majorité de la population.» Le collectif conclut: «Il n’y aura pas de paix sociale sans justice sociale, ni de justice sociale sans chute du gouvernement Arizona.» (Réd.)
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