Ukraine-dossier. Paysage et voix syndicales

Denys Gorbach

Comment tisser des liens syndicaux en temps de guerre

Entretien avec Denys Gorbach*

Quel est le paysage syndical ukrainien? 

Il existe deux grands types d’organisations syndicales.

En premier lieu, on trouve une galaxie d’organisations syndicales souvent appelées «officielles» ou «traditionnelles», qui sont les héritières du syndicalisme soviétique. A l’époque, le syndicat était le bras gauche de la direction: il était chargé d’assurer la paix sociale en offrant des services et des cadeaux tout en faisant le travail de «gestion des ressources humaines». Ce modèle de syndicats «prestataires de services» est celui de la Fédération des syndicats d’Ukraine (FPU), qui réunissait 4,8 millions de membres à la veille de la guerre, dont 1,5 million dans l’enseignement et 0,7 million dans la santé publique. L’affiliation au syndicat «officiel», c’est-à-dire à la FPU, reste quasiment obligatoire dans le secteur public (la fonction publique, les administrations locales, l’enseignement, la santé, la culture, etc.) où la relation de dépendance vis-à-vis du gouvernement reste importante; ainsi que dans la grande industrie (métallurgie, agro-industrie, secteurs extractifs, énergie) où il s’agit plutôt de construire un rapport de force face à un employeur privé. Dans ces secteurs, adhérer au syndicat fait «naturellement» partie de la procédure d’embauche. Une fois engagé, on est libre de quitter le syndicat, mais en réalité, les «services», tant méprisés par les syndicalistes les plus militants, sont très prisés par les ouvriers, qui passent souvent d’un syndicat à l’autre pour maximiser leurs avantages.

En second lieu, il existe des syndicats dits «indépendants», dont l’histoire prend racine dans l’immense grève de mineurs de 1989 qui a contribué à la chute de l’URSS. La plus grande structure, la Confédération des syndicats libres d’Ukraine (KVPU), compte à peu près un million de membres, notamment des mineurs, mais aussi des cheminots, des enseignants, des médecins, des aides-soignants, des camionneurs, etc. En général, il s’agit d’une minorité militante, soit environ 10% des travailleurs, souvent les plus qualifiés, qui peuvent se permettre de mener une lutte permanente contre l’employeur. Ces syndicats «militants» s’opposent aux syndicats «prestataires des services», mais ils ne peuvent pas non plus consacrer la totalité de leurs budgets aux caisses de grèves, car même la minorité combative exige des services et des avantages (cadeaux de Noël, centres de vacances, etc.). Si les syndicats «traditionnels» peuvent compter sur les revenus de leurs sociétés immobilières [voir ci-dessous la déclaration de la CES sur le projet de loi gouvernemental sur l’appropriation de ces biens syndicaux] – qui s’élevaient, par exemple, à la moitié des rentrées de la FPU avant la guerre – et sur des subsides patronaux au niveau des entreprises, les syndicats «indépendants» ne vivent que des cotisations de leurs membres.

Quels rôles jouent les syndicats en temps de guerre?

Avant l’invasion russe en 2022, la crise sanitaire avait déjà fortement réduit les possibilités de militantisme: il était difficile de se mettre en grève lorsque l’entreprise souffrait des retombées économiques du Covid et que les risques de se faire licencier étaient plus élevés. Néanmoins, même dans ces conditions, le syndicat indépendant des mineurs a réussi à soutenir une importante grève sauvage qui a paralysé les mines de Kryvyi Rih en 2020.

Ensuite, la guerre est venue dégrader encore davantage la situation des entreprises industrielles (celles qui n’ont pas été matériellement détruites), notamment à cause du blocus maritime. A cela s’ajoutent la mobilisation militaire et les politiques antisociales du gouvernement, qui se sont intensifiées en 2022. La loi martiale ne laisse pas beaucoup d’espace pour combattre les politiques néolibérales. Les syndicats agissent surtout au niveau de la diffusion d’un contre-discours et de la construction de liens avec les mouvements ouvriers dans les pays occidentaux. En effet, c’est la pression venant de l’étranger qui est aujourd’hui la plus susceptible de faire bouger les lignes au niveau du gouvernement ukrainien.

En parallèle, la guerre a imposé de nombreuses nouvelles missions aux syndicats. Depuis février 2022, ils s’occupent de leurs membres partis au front. Une partie importante de leurs ressources est consacrée à la coordination de l’aide matérielle aux syndicalistes devenus soldats. Malheureusement, un grand nombre d’entre eux sont morts. Dans ces cas-là aussi, c’est le syndicat qui s’occupe de leurs familles, pour leur apporter une aide matérielle mais aussi juridique. En effet, le service juridique syndical est la structure la plus proche, par exemple, pour aider les veuves à établir auprès des services publics que le soldat est bien mort au combat et non simplement disparu: sans cela, elles ne peuvent pas prétendre aux allocations de l’Etat.

Avez-vous des nouvelles des militants syndicaux qui vivent encore dans les territoires occupés par l’armée russe?

Le mouvement syndical du Donbass s’est scindé en 2014, quand les séparatistes aidés par l’armée russe ont pris le contrôle d’un grand nombre de territoires là-bas. Certains militants ont quitté ces territoires; d’autres ont décidé de continuer leurs activités sous le nouveau pouvoir. Mais si les syndicats «officiels» se sont reconvertis, sur le modèle antérieur de soumission directe aux autorités politiques, les syndicats «indépendants» ont tout simplement été bannis, comme toutes les autres organisations à vocation militante indépendante du pouvoir. Depuis 2015-2016, je n’ai reçu aucune information concernant des militants indépendants du Donbass: c’est une espèce éteinte. L’invasion de 2022 a été beaucoup plus brutale que la guerre du Donbass déclenchée en 2014. S’il existait une certaine tolérance envers certaines initiatives populaires en 2014-2015, celle-ci a complètement disparu avec cette nouvelle guerre: à présent, il n’y a plus que l’armée qui avance, en détruisant des villes entières sur son passage. Difficile d’imaginer un syndicat, quel qu’il soit, à Maryinka ou à Vovtchansk soit-disant «libérées», où il n’y a plus ni entreprises ni maisons. Marioupol était un bastion ouvrier: aujourd’hui, ce n’est plus qu’un ramassis de béton brisé.

La guerre pousse-t-elle les syndicats à s’engager dans des actions plus politiques, en faveur d’une transformation sociale plus importante?

C’est devenu un refrain populaire en Ukraine: «nos gars reviendront du front et réinstaureront la justice sociale». En réalité, c’est plus compliqué. Il est en effet possible que les syndicalistes reviennent de la guerre renforcés et soudés en tant que force politique. Mais il n’y a rien d’automatique dans tout cela. Beaucoup de choses dépendront de la façon dont la guerre finira: une défaite militaire renforcera les forces les plus réactionnaires et revanchardes dans le pays, tandis qu’une issue qui serait perçue comme une victoire par les masses pourrait favoriser une voie progressiste.

Que pouvons-nous faire en Belgique pour soutenir les travailleurs et syndicats ukrainiens?

Les efforts déjà entrepris par la gauche occidentale, et notamment par certains syndicats (notamment français), sont extraordinaires et très utiles politiquement: je parle des convois solidaires, grâce auxquels les travailleurs ukrainiens reçoivent de l’aide humanitaire, mais rencontrent aussi des syndicalistes étrangers et apprennent le sens du mot «solidarité» en pratique. Ces contacts sont sans doute l’une des rares conséquences politiques positives de cette invasion, car auparavant, on ne voyait pas l’intérêt de tisser de tels liens, surtout du côté occidental. Aujourd’hui, nous avons la possibilité de rattraper les décennies d’isolement passées et de bâtir des ponts, plutôt que de reproduire le discours de l’extrême droite sur la protection des frontières. Dans l’immédiat, une campagne menée par les forces de gauche pour accueillir l’Ukraine dans l’espace européen et pour lui permettre de se reconstruire grâce à l’annulation des dettes et au transfert des avoirs russes gelés serait la bienvenue. Une telle campagne se démarquerait des récits de l’extrême-droite prorusse et des libéraux qui veulent saigner l’Ukraine indéfiniment. (Entretien publié le 22 avril 2025 sur le site de la Centrale nationale des employés (CNE) de Belgique)

* Denys Gorbach est chercheur franco-ukrainien, il enseigne à l’université de Lund (Suède) et est l’auteur d’une thèse sur la classe ouvrière ukrainienne. Il participe à l’animation du site militant Commons.

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«Nous voulons la paix, mais nous ne sommes pas prêts à céder à l’ennemi nos terres, nos villes et notre peuple!»

Par Confédération des syndicats libres d’Ukraine (KVPU)

Le 1er Mai marque la Journée de solidarité et de soutien mutuel des travailleurs et des travailleuses dans leur aspiration à vivre dans des sociétés pacifiques et démocratiques. Cette journée nous rappelle que ce n’est qu’au prix d’efforts collectifs que nous pourrons surmonter les obstacles qui se dressent sur notre route.

En Ukraine, nous souffrons chaque jour et chaque nuit, pour la quatrième année consécutive, de la guerre d’agression russe à grande échelle. En fait, la guerre dure depuis plus de onze ans. Pendant tout ce temps, nos citoyen·nes ont été tué·es et blessé·es, nos villes et villages paisibles, nos entreprises industrielles, nos équipements sociaux et nos infrastructures ont été soumis à des attaques de missiles, de canons et d’artillerie, ainsi qu’à des bombardements. Des quartiers résidentiels et des villes entières sont détruits, des industries écologiquement dangereuses et des régions entières sont privées d’électricité.

Au cours des quatre premiers mois de l’année 2025, la Russie a attaqué avec des missiles et des drones kamikazes des entreprises et des infrastructures employant des milliers de nos collègues syndicalistes à Kyiv, Kharkiv, Dnipro, Pavlohrad, Kamianske, Pokrovsk, Kryvyi Rih, Sumy, Zaporijjia et dans d’autres villes. Malgré les menaces et la souffrance, les travailleurs et les travailleuses ukrainiennes résistent, malgré tous les défis, les syndicats ukrainiens défendent les droits des travailleurs/travailleuses et luttent pour un avenir pacifique et juste.

L’État terroriste russe frappe délibérément des immeubles résidentiels, des gares, des hôtels, des restaurants et des cafés, des centres commerciaux, des hôpitaux, des écoles et des jardins d’enfants, ainsi que des transports publics, tuant des adultes et des enfants.

Depuis le début de l’invasion à grande échelle, plus de 13 000 civils ont été tués par les bombardements russes dans notre pays, dont plus de 600 enfants. Au moins 16 000 Ukrainien·nes sont en captivité en Russie, y compris des travailleurs/travailleuses, des militant·es syndicaux et des membres de syndicats, et environ 63 000 sont porté·es disparu·es.

Ces statistiques horribles n’incluent pas les milliers de victimes dans les territoires occupés par la Russie. Malheureusement, le nombre d’Ukrainien·nes innocent·es tué·es ou blessé·es par l’agresseur continue d’augmenter.

Nous voulons la paix, mais nous ne sommes pas prêt·es à céder nos terres, nos villes ou notre peuple à l’ennemi, car nous savons que la Russie a systématiquement mis en place un régime de terreur et violé les libertés civiles et les droits des êtres humains, y compris les droits du travail, dans les territoires qu’elle occupe. En outre, la Russie ne respecte aucun accord. C’est pourquoi nous nous battrons jusqu’à la victoire et espérons vivement le soutien du monde entier. Car aujourd’hui, nous ne nous battons pas seulement pour nous-mêmes, mais pour tous les pays européens, pour les valeurs démocratiques, pour un ordre mondial fondé sur les principes du droit international.

Nous appelons nos frères et sœurs syndicalistes du monde entier à intensifier leurs efforts pour mettre fin à l’agression russe, pour arrêter le génocide du peuple ukrainien et pour garantir le châtiment inévitable des criminels de guerre.

Nous demandons à nos confrères et consœurs syndicalistes d’exhorter leurs gouvernements à accroître leur soutien à l’Ukraine, y compris l’aide financière et militaire, et à renforcer les sanctions contre la Russie! Nous demandons à nos collègues d’exiger la libération de tous et toutes les Ukrainiennes en captivité en Russie et le retour des enfants ukrainiens kidnappés.

Ce n’est qu’en unissant nos efforts que nous pourrons vaincre le mal et faire triompher le bien, afin que, sous un ciel paisible, nous puissions travailler pour le bien des travailleurs et des travailleuses de notre pays, de l’Europe et du monde entier. (Déclaration à l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des travailleur·euses)

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La CES exprime sa solidarité à la FPU et aux syndicats ukrainiens (25 avril 2025)

Grigoriy Osovyi

La Confédération européenne des syndicats (CES) réitère son plein soutien aux syndicats ukrainiens [1].

La CES exprime sa solidarité et son soutien au FPU à la suite des dernières attaques contre des biens syndicaux et de l’assignation à résidence de son président et membre du comité exécutif de la CES, Grigoriy Osovyi.

Alors que l’Ukraine s’engage dans des discussions d’adhésion, il est crucial de garantir la pleine conformité avec l’acquis social, le plein respect du rôle des partenaires sociaux et des syndicats, la promotion et le renforcement du dialogue social et de la négociation collective.

La CES souligne que la Commission européenne a insisté, dans le rapport Ukraine 2024, sur la nécessité pour le gouvernement de «renforcer les capacités des partenaires sociaux». Dans ce cadre, les droits syndicaux doivent toujours être pleinement respectés.

La CES souligne sa vive inquiétude quant à l’avancement du projet de loi 6420, qui propose de saisir les biens des syndicats, en violation des droits syndicaux et des obligations internationales de l’Ukraine.

Nous rappelons que l’OIT exige des Etats membres qu’ils garantissent «le droit à une protection adéquate de la propriété syndicale comme l’une des libertés civiles essentielles à l’exercice normal des droits syndicaux».

La CES continue de condamner la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, mais cela ne peut servir d’excuse pour des attaques contre les syndicats, ni pour saper leur capacité, en particulier à ce moment crucial où les réformes du travail sont discutées.

La CES demande instamment au gouvernement ukrainien de lever la menace qui pèse sur les dirigeants et les biens du FPU et de développer un programme conforme aux obligations de l’OIT (Organisation internationale du travail) et de l’UE afin de soutenir un véritable dialogue social, de reconnaître les prérogatives des syndicats et de garantir la protection des biens syndicaux.

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[1] Lettre de la CES adressée en date du 18 juillet 2022 aux autorités ukrainiennes, entre autres au président Volodymyr Zelenskyy. «Il est très inquiétant que le Parlement, en situation de guerre, ait l’intention de poursuivre l’adoption de cette législation [les projets de lois 6420 et 6421 datant de décembre 2021 impliquent une appropriation des biens syndicaux]. Nous réitérons notre profonde préoccupation face au fait que ces deux lois affectant les syndicats aient été présentées à la Verkhovna Rada de manière unilatérale et sans consultation significative des syndicats. Les réintroduire aujourd’hui, alors que la loi martiale est en vigueur, est scandaleux.

Depuis le premier jour de la guerre, les syndicats ukrainiens se sont joints aux efforts nationaux pour contrer l’agression, mais aussi pour faire face à la crise humanitaire qu’elle a provoquée.

Les locaux et les bureaux des syndicats accueillent actuellement des dizaines de milliers de personnes déplacées à l’intérieur du pays, et les militants syndicaux coordonnent la fourniture d’une aide matérielle aux personnes dans le besoin, ainsi que l’organisation de livraisons de biens et de produits de première nécessité. Avec le soutien de la CSI (Confédération syndicale internationale) et de la CES, les centrales syndicales nationales européennes et l’Organisation internationale du travail, 16 sanatoriums syndicaux, 8 installations touristiques et une dizaine d’installations de syndicats sectoriels et territoriaux ont été utilisés pour fournir un abri temporaire ou permanent aux réfugiés et aux personnes déplacées à l’intérieur du pays. Plus de 6 000 personnes vivent actuellement dans des locaux syndicaux.

Parmi elles, la grande majorité sont des femmes avec des enfants, des membres de la famille de militaires, des personnes âgées et des personnes handicapées.

Il est tout simplement inexplicable que le gouvernement et les membres du parti au pouvoir au Parlement, au lieu de se concentrer sur les nécessités de la guerre et de la reconstruction, continuent leur attaque flagrante contre les travailleurs et leurs syndicats, abusant de leurs pouvoirs législatifs et procédant à la saisie des biens syndicaux au mépris apparent des procédures régulières et de l’état de droit, qui sont essentiels pour créer un climat respectueux et protecteur de l’exercice de la liberté d’association, conformément aux obligations juridiques internationales de l’Ukraine.

Nous avons salué la récente décision d’accorder à l’Ukraine le statut de candidat à l’adhésion à l’UE, une aspiration de longue date des travailleurs ukrainiens qui se sont levés lors de la révolution de la dignité et qui sacrifient aujourd’hui leur vie, leur santé et leur bien-être dans la lutte pour la démocratie et la souveraineté contre l’agression russe. Il s’agit d’une chance unique pour le pays de construire la démocratie et la liberté, une économie sociale de marché et le bien-être de sa population, en garantissant ses droits.

Les projets de loi 6420 et 6421 ne servent pas cette mission. En outre, ils violent l’acquis communautaire et les conventions de l’OIT, et ne servent pas les intérêts des travailleurs et des citoyens ukrainiens, mais ceux d’un groupe d’individus privilégiés qui poursuivent leurs manœuvres visant à aliéner et, à terme, à exproprier les biens des syndicats.

Nous vous demandons instamment de retirer immédiatement ce projet de loi. (Traduction rédaction A l’Encontre)

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Reconstruire l’Ukraine, où les droits syndicaux seront respectés

Conférence des travailleurs et travailleuses médicaux, mai 2024

[A l’invitation de l’organisation syndicale française Solidaires, deux représentantes du syndicat du personnel soignant ukrainien Soyez comme nous sommes étaient à Paris pour le 1er mai 2025 et ont participé à la manifestation syndicale. Nous publions la déclaration de Antonina Shatsylo membre de Soyez comme nous sommes lors d’une conférence organisée par Solidaires le 30 avril en présence de syndicaliste argentin, espagnol et italien.]

Chers amis, Je m’appelle Antonina Shatsylo et c’est un honneur et un privilège pour moi d’être ici aujourd’hui à Paris pour Solidaires afin de présenter notre jeune syndicat médical indépendant, le Mouvement médical: Soyez comme nous sommes.

«Soyez comme nous sommes» a vu le jour avant la guerre en Ukraine. En 2019, avec d’autres professionnels de santé, nous avons créé un mouvement qui n’avait alors aucun équivalent dans notre pays. Depuis, nous défendons les droits des professionnels de santé et luttons pour des salaires décents et des conditions de travail dignes. Lorsque nous ne parvenions pas à résoudre les problèmes de manière pacifique, nous organisions des manifestations (actuellement, en raison de l’état d’urgence, elles sont interdites par la loi). Notre objectif principal est d’améliorer les conditions de travail et la formation des professionnels de santé. Pour cela, nous utilisons tous les moyens à notre disposition, dans le respect de la loi bien sûr.

«Soyez comme nous sommes» est une organisation non gouvernementale à but non lucratif légalement enregistrée. Dans notre travail, nous sommes guidés par des statuts approuvés. La majorité des membres de notre organisation sont des femmes.

Nos principales stratégies sont les suivantes: créer un réseau d’organisations non gouvernementales et de syndicats professionnels, développer une structure dans chaque région d’Ukraine, sensibiliser la population aux droits des travailleurs et travailleuses de la santé. Nous organisons également un travail médiatique et des actions de protestation pour promouvoir des lois qui devraient améliorer la prestation des soins médicaux et les conditions de travail. Par exemple, nous avons exigé l’adoption d’une loi sur la responsabilité en matière de harcèlement moral et physique au travail. Nous défendons également l’égalité des sexes sur le lieu de travail, dans l’éducation et dans la vie quotidienne. Parallèlement, nous mettons en place un réseau de coopération avec d’autres organisations qui ont des activités et des principes similaires, notamment celles qui défendent l’égalité des sexes. Nous organisons des séminaires éducatifs sur la protection des droits du travail pour les équipes d’infirmières dans différentes villes d’Ukraine, au cours desquels elles développent leurs compétences en matière de leadership et acquièrent des compétences en matière d’organisation. Sur la base de conflits de travail concrets dans chaque équipe, nous élaborons un plan d’action pour les résoudre. La priorité de ce plan est la protection des droits des infirmières. Nous organisons également des rencontres entre les équipes et un psychologue afin d’aider les femmes à gérer leur état émotionnel dans le contexte de la guerre.

Notre organisation milite pour un monde sans violence, pour l’égalité des droits et l’égalité des sexes, pour la création d’unions de femmes, en particulier dans le domaine médical, où le travail des femmes doit être respecté et bien rémunéré. Étant donné que les femmes ont, en plus de leur travail, la charge des enfants, des personnes malades, des personnes âgées et des tâches ménagères, nous voulons que ces responsabilités soient réparties équitablement entre tous les membres de la société et de la famille.

Notre organisation fonctionne selon des principes démocratiques. Avant de prendre une décision, nous la soumettons à un débat public au sein du groupe. Nous étudions également en détail les problèmes que nos membres nous soumettent, nous en discutons, tirons des conclusions et cherchons des solutions. Le poste de président de notre organisation est renouvelable. La conférence peut changer le conseil d’administration par un vote. Nous menons régulièrement des sondages publics auprès de nos membres, au cours desquels nous leur demandons d’évaluer nos activités.

Au fil du temps, nous sommes devenus une communauté de 85’000 personnes. Notre organisation a été créée sans aucun soutien de l’État ou des partis politiques. Et nous soutenons la création de syndicats dans toute l’Ukraine. Nous avons organisé les premières manifestations dans plusieurs villes à l’hiver 2019. Nous réclamions une augmentation des salaires des travailleurs de la santé, une augmentation des dépenses de santé en général, et que nos voix, celles des travailleurs de la santé, soient entendues dans toute réforme du système de santé en Ukraine.

Nous avons réitéré ces manifestations en 2020 et 2021 et avons obtenu des avancées: la réintégration des infirmières licenciées illégalement et le paiement des salaires dus dans plusieurs établissements.

Avant même la guerre en Ukraine, une réforme du système de santé avait été mise en place. Depuis lors, des établissements médicaux ferment leurs portes, les hôpitaux sont «optimisés», c’est-à-dire fusionnés. Cela a de graves répercussions sur les professionnels de santé, qui perdent leur emploi. Ce processus s’est poursuivi pendant la guerre. La situation s’est considérablement détériorée: de nombreux établissements médicaux ont fermé leurs portes, notamment à la suite de bombardements et de tirs d’artillerie.

La perte d’emploi, l’occupation, les migrations massives, les réductions d’effectifs ne sont pas les seuls problèmes auxquels nous sommes actuellement confrontés. Les économies réalisées par les autorités locales sur le financement, les salaires des infirmières et autres personnels médicaux conduisent à l’appauvrissement d’une partie de la population dont nous défendons les droits.

La guerre qui a éclaté le 24 février 2022 a causé encore plus de problèmes non seulement pour les professionnels de santé, mais aussi pour l’ensemble de la population ukrainienne. Des dizaines de milliers de personnes ont perdu la vie. Des millions ont été contraintes de fuir vers les pays voisins et plus de 6 millions d’Ukrainiens sont devenus des personnes déplacées à l’intérieur du pays. Des villes et des villages ont été détruits. Nos hôpitaux et nos installations énergétiques sont devenus la cible de l’ennemi.

Nous avons compris que dans cette situation, nous ne pourrions pas nous en sortir sans l’aide de partenaires internationaux. C’est pourquoi nous avons convenu avec nos partenaires allemands de l’organisation Medico International d’un projet commun pour venir en aide aux Ukrainiens victimes de la guerre. Grâce à cette coopération, nous avons pu fournir un logement temporaire à plus de 40 familles avec des enfants en bas âge et des parents retraités. Près de 400 familles en situation très difficile ont reçu de l’aide sous forme de produits alimentaires et d’articles d’hygiène. Nous avons également la possibilité d’offrir un soutien psychologique et juridique. Et, ce qui est très important, nous aidons les médecins à se faire soigner et à soigner. En effet, certaines personnes ont complètement perdu tout espoir de guérison. Grâce à ce projet, elles ont retrouvé la santé et peuvent à nouveau travailler et mener une vie normale.

Malheureusement, notre projet a pris fin le 31 décembre 2023. C’est pourquoi nous recherchons activement des organisations internationales avec lesquelles nous pourrons coopérer et continuer à aider les médecins et les Ukrainiens en particulier.

Nous nous souvenons de chacun de nos frères et sœurs, y compris des nombreux travailleurs de la santé qui ont perdu la vie en défendant notre pays ou qui ont été tués par les bombes et les missiles que la Russie continue de lancer sur nos communautés.

Tout au long de cette horreur, notre réponse s’est fondée sur un principe compréhensible pour tous les participants à cette réunion: le principe de solidarité. Les syndicats ukrainiens se sont également mobilisés pour fournir une aide humanitaire, en fournissant de la nourriture, des logements, des médicaments et d’autres articles de première nécessité aux personnes déplacées, en réparant des bâtiments et en apportant un soutien psychologique et autre aux familles. Nous avons ressenti le soutien du mouvement syndical international, qui a fait preuve de solidarité en accueillant des Ukrainiens dans leurs pays et en apportant soutien et conseils à ceux qui ont été contraints de fuir.

Nous attendons la fin de la guerre et voulons de toutes nos forces et par tous les moyens rapprocher la victoire. Nous croyons que nous parviendrons à reconstruire l’Ukraine, où les droits syndicaux seront respectés dans tous les secteurs et où les travailleurs recevront un salaire décent et bénéficieront de conditions de travail équitables.

Ce ne sera pas facile. Mais vous avez vu notre force et notre dévouement pendant la guerre. Paris, 30 avril 2025 (Publié par Entre les lignes entre les mots)

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