Belgique. Succès de la grève générale: un «affrontement des déterminations»

Par Mateo Alaluf

Un mois et demi après une manifestation nationale qui avait rassemblé quelque 100 000 personnes à Bruxelles, lundi 31 mars la Belgique a été à l’arrêt: les services publics et le secteur privé, les aéroports et les transports étaient paralysés. La grève générale décidée par le front commun syndical (Fédération générale du travail de Belgique FGTB et Confédération des syndicats chrétiens CSC) a été très largement suivie en Wallonie mais également en Flandre, où elle l’est souvent moins. «Ils prétendaient récompenser le travail» répondent les syndicats aux partis de la coalition gouvernementale, «ils ont menti».

Cette démonstration de force est un coup de semonce adressé à la coalition de droite dite Arizona [1] qui gouverne le pays depuis 2 mois. Gouvernement dirigé pour la première fois dans l’histoire par un Premier ministre nationaliste flamand, Bart De Wever, dont le parti défend la scission du pays. L’aile la plus à droite du gouvernement, représentée par deux formations, à droite sur le plan socio-économique et culturellement conservatrices, la Nouvelle alliance flamande NVA et le Mouvement Réformateur MR (libéraux francophones), est déterminée à démanteler la sécurité sociale et à mettre au régime les services publics. L’aile centriste, très minoritaire au sein du gouvernement, composée de Vooruit (En Avant), nouveau nom adopté par les socialistes flamands devenus centristes et par le CD&V (Christen-Democratisch en Vlaams) et Les Engagés, héritiers des démocrates chrétiens flamands et francophones, reste, elle, plus vulnérable à la pression syndicale [2].

Le gouvernement est déterminé à appliquer sans attendre ses réformes emblématiques en matière de retraite et de chômage. Il en est ainsi d’abord de l’allongement des carrières et de la réduction du montant des pensions. Les régimes spéciaux de retraite (cheminots, militaires, pompiers…) disparaissent, les prépensions et pensions anticipées sont supprimées ou pénalisées par l’application d’un «malus» en cas de départ précoce. Pour le chômage, la Belgique disposait d’un système d’indemnisation non limité dans le temps. Celui-ci sera désormais limité à deux ans au maximum pour les chômeurs ne présentant pas une durée de travail assez longue. Il faut encore ajouter la volonté du gouvernement de ramener au travail un plus grand nombre de malades de longue durée. Les fonctionnaires, dont il est mis fin au statut et les femmes, dont la carrière est plus discontinue, sont attaqués de plein fouet par les «réformes».

Derrière ces mesures urgentes, selon ses promoteurs, se profilent encore d’autres à peine dissimulées. Les libertés syndicales sont d’abord dans le collimateur du gouvernement. Les syndicats sont visés dans leur fonction de paiement des allocations de chômage, ce qui leur permet de maintenir le lien avec les travailleurs sans emploi. Ensuite est à nouveau agitée la menace d’octroi d’une personnalité juridique aux organisations syndicales de manière à les rendre juridiquement responsables des faits liés à des manifestations et à contrôler leur caisse de grève. Pire encore, alors que des mouvements d’envergure (manifestations et grèves) avaient obligé le gouvernement précédent à renoncer à une loi anticasseurs corsetant et judiciarisant les mouvements sociaux, celle-ci pourrait ressortir dans une version encore plus dure. Enfin, l’hésitation du gouvernement à donner suite à des conventions conclues précédemment par le «groupe des dix» (syndicats et patronat) sur des sujets pourtant mineurs fait craindre aux directions syndicales que la concertation sociale ne subsiste plus que pour la forme. Le patronat qui a déjà tout obtenu par l’accord de gouvernement est peu enclin à des concessions, d’autant plus qu’en cas de désaccord le gouvernement prend la main à son avantage.

La grève générale du 31 mars a été plus réclamée par la base syndicale chauffée à blanc que voulue par les états-majors des centrales. La colère des uns et l’enthousiasme des autres ont animé les piquets de grève. Le monde de la culture, les artistes directement visés par les mesures, s’est aussi massivement mobilisé contre «la guerre culturelle» menée à leur encontre par l’Arizona. Enfin la situation internationale qui se prête aux déclarations va-t-en-guerre des gouvernants et à l’augmentation des dépenses d’armement a fourni des raisons d’indignation supplémentaires.

Le mouvement est appelé à continuer et à se durcir dans les mois prochains. Une nouvelle grève générale est déjà décidée pour le 29 avril et des actions sectorielles seront menées d’ici là. A la révolte et à la détermination du mouvement social répond cependant la détermination d’un gouvernement de droite qui compte profiter de l’absence de la gauche en son sein pour mettre en place ses «réformes». «L’Arizona» s’inscrit dans le prolongement de la «Suédoise», coalition gouvernementale présidée par le libéral Charles Michel (2014-2018) qui n’avait pas plié malgré les manifestations et les grèves et avait imposé notamment l’augmentation de l’âge de la retraite à 67 ans. Compte tenu des leçons de l’échec subi face à la «Suédoise», le gouvernement paraît à présent bien décidé, poussé par la NVA et le MR, à tenir bon. Le mouvement syndical est tout aussi déterminé à faire reculer «l’Arizona». La presse parle d’un «affrontement des déterminations» au lendemain du succès de la grève générale (Le Soir, 1er avril 2025).

En termes institutionnels, désormais dans l’opposition au fédéral et dans les gouvernements régionaux, la gauche était sortie affaiblie des élections de 2024. Les socialistes se sont en conséquence engagés dans un processus de refondation et les écologistes dans une phase de renouvellement. Au Sud du pays le PS mais surtout le PTB et au Nord le PTB, en phase ascendante, pourraient se ressourcer et se renforcer par le mouvement social. La partie se joue cependant à présent plus sur le terrain social que parlementaire. La responsabilité et l’avenir du mouvement reposent en conséquence sur les organisations syndicales. (Article reçu le 2 avril 2025)

Mateo Alaluf, professeur émérite de sociologie de l’Université libre de Bruxelles, auteur de l’ouvrage Le socialisme malade de la social-démocratie, éditions Syllepse et Page deux, mars 2021. Un des animateurs de l’Institut Marcel Liebman.

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[1] Arizona est le nom donné à la coalition gouvernementale fédérale dominée par les nationalistes flamands NVA (couleur jaune) et les libéraux francophones MR (bleu), comprenant également les socialistes flamands (rouge) et les chrétiens démocrates flamands et francophones (orange). Ces couleurs correspondent à celles du drapeau de l’état de l’Arizona. Après le succès de la droite aux dernières élections législatives, la coalition Arizona a succédé au gouvernement Vivaldi de centre gauche.

[2] En Belgique, tous les partis politiques se sont scindés suivant leur appartenance linguistique. Seul le Parti du Travail de Belgique PTB (gauche radicale) est demeuré unitaire.

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