«Chili, un an après le coup d’Etat». Hommage à Pierre Rieben

Pierre Rieben (g) devant la vitrine de l’imprimerie coopérative Cedips.

Nous fûmes nombreux à être éprouvés en apprenant la disparition, le 29 juillet 2024, de Pierre Rieben.

Dans son long itinéraire politique, le Chili de 1973-74 occupait une place marquante. Encore en juin 2023, lors de la publication sur le site alencontre.org de larges extraits traduits de l’ouvrage écrit, entre autres, par Luis Vitale et intitulé Chili. Pour récupérer la mémoire historique, Pierre nous avait signifié l’intérêt et la nécessité d’une telle transmission mémorielle. N’avait-il pas alors, depuis Santiago, suivi la campagne internationale pour la libération de Luis Vitale – répercutée dans La Brèche, organe de la Ligue marxiste révolutionnaire (LMR) – arrêté dès le 11 septembre 1973, date du coup d’Etat de Pinochet. Il y a quelques mois, Pierre nous avait de même fait parvenir l’enregistrement – produit en Italie par Lotta Continua en 1974 – sur un 45 tours du dernier discours de Miguel Enriquez, un des dirigeants du MIR-Mouvement de la gauche révolutionnaire. Il l’avait récupéré, parmi d’autres archives ayant trait au Chili, dans sa maison de Cingoli bordant son oliveraie.

Avant le coup d’Etat, dès le printemps 1973, Pierre faisait parvenir, depuis le Chili, des articles au bimensuel La Brèche. Ses contributions, étayées par de nombreuses sources, portaient sur les développements sociaux et politiques et les possibles carrefours s’ouvrant au cours de cette période ultime du cours de l’Unité populaire. Il continua à le faire après le coup d’Etat en signant, parfois, P. Santiago ou Parvus. Ces articles nourrissaient alors le vaste mouvement de solidarité avec le peuple chilien, avec les forces de la gauche révolutionnaire et en faveur de l’accueil de réfugiés politiques; mouvement animé, dès l’automne 1973, par les nombreux «comités Chili».

Le 11 avril 1974, Pierre est arrêté et torturé par la police du régime dictatorial. De suite prit son essor une ample campagne pour sa libération qui se concrétisa par son «expulsion» le 19 avril [1]. De retour en Suisse, il s’engagea dans la rédaction de l’ouvrage intitulé Chili, un an après le coup d’Etat. Il fut publié en septembre 1974 par les éditions Cedips, la coopérative créée et animée par des membres de la LMR. Les deux premiers chapitres de ce livre – que nous reproduisons ici sous forme de PDF – ont pour titre: «Il y avait une autre voie» et «L’échec d’une recherche d’alliance» avec «une fraction de la bourgeoisie représentée par la Démocratie chrétienne». Ils renvoient aux diverses orientations et pratiques développées et partiellement mises en œuvre par les diverses composantes de la gauche chilienne, au sens large, durant les six mois qui ont précédé le 11 septembre. Dans un contexte radicalement changé, se poursuivaient les débats d’orientation, inscrits cette fois dans la perspective d’une stratégie de résistance au pouvoir pinochetiste. C’est ce que Pierre développe dans les trois derniers chapitres. Il faut les lire – pour échapper à un décodage anachronique – en ayant à l’esprit que ses analyses s’inscrivaient dans la mobilisation internationale de soutien à la résistance, entre autres d’appui à son aile socialiste révolutionnaire dans laquelle le MIR occupait une place centrale. Un an après le coup d’Etat se conclut ainsi: «Le soutien au peuple chilien ne peut donc rester neutre, face au “débat” qui se déroule actuellement au sein de la gauche chilienne. Il impose un choix, que nous faisons, pour notre part, en publiant ce livre.»

Par sa contribution à une intelligence de cette période de «mille jours qui ont ébranlé le monde», Pierre a accompagné des itinéraires militants qui ne se laissent pas réduire à quelques «anecdotes personnelles» ayant un arrière-goût de «nostalgie». Faire resurgir cet ouvrage constitue, pour nous, l’hommage qui s’imposait. Charles-André Udry

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[1] A propos de l’attitude effective du Conseil fédéral et du corps diplomatique suisse au Chili face au coup d’Etat – et antérieurement face à l’Unité populaire – les documents des archives fédérales jettent une lumière crue sur leur accueil satisfait du coup d’Etat. Elle diffère des éclairages tamisés entourant les ambassadeurs Roger Dürr et Charles Masset. Ce dernier joua certes le rôle d’intermédiaire dans la «libération-expulsion» de Pierre Rieben, mais son orientation d’ensemble avait été correctement qualifiée en septembre 1973 par Jacques Pilet dans le quotidien 24 heures. Andrea Tognina, dans Swissinfo.ch du 11 septembre 2023, présente les conclusions que l’on peut établir de cette mise au point archivistique. La série d’articles publiée dans Le Temps en septembre 2023 en constitue un complément.

Cliquez ici pour lire le PDF de l’ouvrage

 

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