Les colons déclenchent des pogroms en Cisjordanie

Le message envoyé par les colons israéliens aux Palestiniens du village de Qusra.

Par Yuval Abraham

Alors que le monde se concentre sur le massacre perpétré par le Hamas dans le sud d’Israël et sur les pilonnages massifs de la bande de Gaza par Israël, les colons de la Cisjordanie occupée profitent du chaos pour attaquer et expulser les Palestiniens d’un certain nombre de petits villages.

Selon le ministère palestinien de la Santé à Ramallah, les soldats israéliens et les colons ont tué 51 Palestiniens en Cisjordanie depuis samedi [1]. Au moins deux villages, Al-Qanub et Wadi Al-Sik, ont été entièrement vidés de leurs habitants à la suite des violences commises par les colons israéliens.

Un Palestinien d’At-Tuwani – un village de la région de Masafer Yatta dans les collines du sud d’Hébron – est dans un état critique après qu’un colon, accompagné d’un soldat israélien, a pénétré dans le village, vendredi, et lui a tiré dessus à bout portant. L’attaque a été documentée par le groupe israélien de défense des droits de l’homme B’Tselem.

Les soldats israéliens établissent de nouveaux points de contrôle pour bloquer les déplacements des villageois palestiniens. Jeudi soir 12 octobre, près de Yabrud, au nord-est de Ramallah, des soldats ont tiré sur un véhicule transportant une famille palestinienne, selon des membres de la famille. Randa Abdullah Abdul Aziz Ajaj, 37 ans, a été tuée et son fils, Ismail Ajaj, a été touché au pied et à l’épaule. Son mari et un autre enfant se trouvaient également dans le véhicule mais n’ont pas été blessés. Un porte-parole de l’IDF (Forces armées israéliennes dites de défense) a déclaré que les soldats avaient ouvert le feu parce que la voiture «roulait dangereusement» et que les soldats se sentaient menacés.

Dans toute la Cisjordanie, les habitants palestiniens constatent une présence accrue de colons armés autour de leurs villages, un plus grand nombre de barrages militaires et un renforcement des restrictions de circulation. «En ce moment, nous vivons en état de siège. La plupart des villages de Cisjordanie sont enfermés par des monticules de terre et il est impossible d’en sortir», a déclaré un habitant du village de Qaryut. «Il y a des colons partout. Chaque fois que nous nous approchons d’une maison proche d’une colonie, ils nous tirent dessus. Ils profitent de la situation qui prévaut à Gaza pour se venger en Cisjordanie. Car personne ne s’intéresse à la Cisjordanie aujourd’hui.»

Mercredi 11 octobre, dans le village de Qusra, près de Naplouse, trois Palestiniens – Moa’th Odeh, Musab Abu Rida et Obida Abu Sarur – ont été tués par balle, tandis qu’une fillette de 6 ans a été blessée au haut du corps. On ignore qui a ouvert le feu sur eux. L’attaque a commencé par des tirs de colons encagoulés sur des maisons du village, selon trois témoins oculaires et le personnel médical qui a soigné les blessés sur place. Des images vidéo montrent six hommes masqués, armés de pistolets et de fusils M-16, ouvrant le feu à l’intérieur du village. Plus tard dans la journée, selon des témoins oculaires, un autre habitant, Hassan Abu Sarur, âgé de 13 ans, a également été abattu lorsque des soldats sont entrés dans le village après que les colons s’en furent retirés.

Les médias palestiniens ont rapporté jeudi que des colons avaient attaqué les funérailles des quatre habitants de Qusra [dans le gouvernorat de Naplouse] qui avaient été tués la veille. Selon le ministère palestinien de la Santé, les colons ont abattu un père et son fils, Ibrahim et Ahmed Wadi.

Les deux jours précédents, les colons d’Esh Kodesh [poste avancé de colons] et des environs avaient envoyé des messages d’avertissement aux habitants de Qusra, dans lesquels ils menaçaient de se venger en réponse à l’attaque du Hamas dans le sud d’Israël. Sur une photo envoyée aux habitants il y a quelques jours, on peut voir un groupe d’hommes masqués tenant des réservoirs de carburant, une scie électrique et des haches, avec une légende en hébreu et en arabe: «A tous les rats des égouts du village de Qusra, nous vous guettons et nous n’aurons pas de pitié pour vous. Le jour de la vengeance arrive.»

Selon un habitant de Qusra qui a demandé à n’être identifié que par son prénom, Abed, «tout a commencé à midi, lorsque 20 hommes masqués ont envahi le village et caillassé les maisons des familles vivant à la périphérie. Ils venaient de l’avant-poste d’Esh Kodesh. Nous y avons couru pour faire sortir les familles de leurs maisons, car des colons avaient tenté de mettre le feu à l’une d’entre elles. Une mère, un père et une fille se trouvaient à l’intérieur. Alors que nous essayions de faire sortir la petite fille de la maison, ils ont commencé à nous tirer dessus, touchant la petite fille. Ils ont tué trois personnes.»

Selon des témoins oculaires, au moins 15 Palestiniens ont été blessés par les tirs. Le personnel médical qui a soigné les blessés a déclaré que l’état de certains d’entre eux était critique.

«J’ai évacué une jeune fille blessée par balle à l’intérieur de sa maison et qui saignait», a déclaré Bashar al-Kariyuti, un ambulancier palestinien qui est arrivé sur les lieux pendant l’attaque. «Le père de la jeune fille a également été touché au visage. Il était impossible de le reconnaître.

Ahmed, un troisième témoin oculaire de l’incident qui a demandé que son nom de famille ne soit pas divulgué pour des raisons de sécurité, a raconté que les militaires sont restés à l’intérieur de leur poste d’observation pendant que les colons ouvraient le feu sur les habitants de Qusra. «Mon cousin a été touché à la tête, mon frère a reçu une balle tout juste à l’entrée de sa maison. Les soldats ont ensuite pris le [enregistreur vidéo numérique] qui enregistrait tout; une heure après l’événement, ils sont venus et ont confisqué les caméras. Je suis sûr qu’ils l’ont fait pour effacer les preuves.»

Les habitants de Qusra ont déclaré qu’un petit nombre de soldats avaient accompagné les colons tout au long de l’attaque. Lorsque les villageois ont jeté des pierres sur les colons pour les forcer à reculer, les soldats ont appuyé les colons par des tirs réels, selon les habitants.

Commentant l’attaque, un porte-parole de l’armée israélienne a déclaré: «Une force de l’IDF opérant à la périphérie de Qusra a rapporté avoir entendu des coups de feu. L’allégation selon laquelle des Palestiniens auraient été touchés par des tirs fait l’objet d’une enquête.»

Outre l’incident de Qusra, des colons ont attaqué au moins 18 villages palestiniens en Cisjordanie depuis l’offensive du Hamas samedi 7 octobre, selon Yesh Din [Volunteers for Human Rights], un groupe israélien de défense des droits de l’homme. L’armée a annoncé qu’en raison de la situation sécuritaire, la police allait distribuer des fusils M-16 aux colons de Cisjordanie. Des médias associés à des groupes de colons extrémistes de la région ont appelé les colons à se préparer à «conquérir les villages près de chez vous» et à «détruire tous ceux qui rejoignent l’ennemi».

Lundi 9 octobre, la perpétration de violences par des colons a conduit à l’expulsion de tous les habitants d’Al-Qanub, un petit village situé au nord d’Hébron qui compte huit familles et se trouve à proximité des colonies de Ma’ale Amos et d’Asfar. Les habitants du village ont déclaré que les colons avaient brûlé trois maisons – faites de tiges de fer recouvertes d’un tissu épais – avec tous leurs biens à l’intérieur.

«Les colons nous sont tombés dessus, m’ont attrapé et m’ont dit que nous avions une heure pour quitter le village», a déclaré Abu Jamal, un habitant d’Al-Qanub. «Ensuite, une dizaine de colons sont arrivés, ont versé de l’essence et ont mis le feu à ma maison. Sept personnes y vivaient. Les armoires, la nourriture, tout a pris feu. Ils ont également brûlé la maison de mon fils et ont volé tous mes moutons, mon moyen de subsistance. Nous ne retournerons pas là-bas. J’ai 67 ans et mes enfants ont subi des traumatismes psychologiques.»

Wa’ed, une habitante du village, a pris ses enfants et s’est cachée dans une vallée voisine. «J’ai des enfants, un bébé de 6 mois, un enfant de 2 ans et un autre de 5 ans», dit-elle. «J’ai couru me cacher avec eux dans la vallée lorsque les colons sont entrés. J’ai entendu le bruit des fusillades et j’ai cru qu’ils avaient tué mon mari. Lorsqu’ils sont partis, j’ai vu qu’ils avaient brûlé tout ce qui nous appartenait.»

Des familles vivant à la périphérie de Turmus Ayya [dans le gouvernorat de Ramallah], près de la colonie de Shiloh, ont déclaré que huit colons armés, partiellement vêtus d’uniformes militaires, leur ont ordonné de quitter leurs maisons. Ils ont également installé une sorte de poste de contrôle, qu’ils maintiennent depuis lors. «Le premier jour de la guerre, un groupe de colons a construit une baraque à quelques mètres de nos maisons, a fermé notre route d’accès aux maisons et, depuis lors, est resté là tout le temps», a déclaré Abdullah, un résident local. «Nous sommes 25 personnes, dont beaucoup d’enfants et de femmes, qui ne peuvent ni sortir ni entrer dans le village. Nous nous rendons chez nous en passant par les oliveraies. Toute personne qui quitte sa maison, y compris les femmes, est arrêtée et fouillée.»

Dans une zone montagneuse du sud d’Hébron, des colons ont violemment attaqué mardi les habitants de deux petits villages, et des colons ont détruit au bulldozer deux maisons dans le village de Simri, dont les habitants avaient déjà quitté les lieux en raison de la violence des colons.

Un habitant âgé hospitalisé pour des blessures au dos et aux jambes, qui a demandé à rester anonyme de peur que les colons ne se vengent sur lui, déclare: «Trois colons sont venus chercher mes enfants. L’un avec une arme militaire, le deuxième avec un fusil, le troisième avec un couteau. Ils m’ont dit de me taire et ont commencé à me frapper avec la crosse d’un fusil. Ils m’ont fait tomber par terre, ont fermé la porte de la maison au nez des enfants et ont également frappé ma femme à la poitrine. Ils m’ont dit que c’était maintenant la guerre et que si je disais quoi que ce soit aux médias, ils reviendraient la nuit et brûleraient ma maison. Je leur ai crié que j’étais un berger et que je n’avais rien à voir avec la guerre à Gaza.» (Article publié sur le site israélien +972 le 13 octobre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Dans Le Monde daté du 15-16 octobre, Samuel Forey écrit: «Au total 16 Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne vendredi 13 octobre, baptisé “jour de colère”.» Dans Le Monde daté du 17 octobre, le même journaliste écrit: «En une semaine, la plus meurtrière depuis que les Nations unies enregistrent ce type d’exactions [en Cisjordanie], une cinquantaine de Palestiniens ont été tués, six par les colons, les autres par l’armée.»  (Réd.)

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