Gaza: «La cour du grand hôpital Dar Al-Shifa est remplie de cadavres»

Hôpital Dar Al-Shifa, sortie de la morgue (12 octobre)

Par Ibtisam Mahdi

Le Dr Mohammad Abu Salmiya, directeur général de l’hôpital Dar Al-Shifa (Maison de la guérison) et président du Comité d’urgence de la bande de Gaza, a déclaré que si le monde n’intervenait pas pour mettre fin aux bombardements israéliens et à l’intensification du blocus de la bande de Gaza, «la situation sanitaire sera catastrophique et le système de santé de l’hôpital Al-Shifa s’effondrera en quelques heures».

Abu Salmiya m’a parlé jeudi après-midi 12 octobre depuis l’hôpital, essayant de jongler entre ses responsabilités envers le personnel et les patients et sa détermination à tenir les journalistes informés de la crise au centre médical. Il était manifestement épuisé et dépassé par le chaos.

«La scène est tragique. Nous sommes témoins de chiffres sans précédent presque toutes les heures, atteignant 100 blessés et 20 martyrs toutes les heures. Nous n’avons jamais vu de tels chiffres auparavant.»

La capacité de l’hôpital Al-Shifa, l’un des plus grands hôpitaux de la bande de Gaza, a atteint ses limites. Les médecins ont été contraints de placer les blessé·e·s dans les couloirs, les allées et à même le sol pour leur prodiguer des soins urgents.

L’unité de soins intensifs ne peut plus accueillir davantage de blessé·e·s, car tous les lits sont occupés et les services d’opération travaillent jour et nuit. Dans toute la bande de Gaza, les fournitures médicales et le carburant sont presque épuisés.

Selon Abu Salmiya, cette pression extraordinaire exercée sur l’hôpital a épuisé le personnel médical, qui travaille sans interruption depuis six jours et ne se repose pratiquement pas. Les moments les plus difficiles – qui se sont produits trop souvent – ont été ceux où «les membres du personnel ont reçu la nouvelle du la mort d’un membre de leur famille ou d’un parent, ou que leur maison était prise pour cible», a expliqué Abu Salmiya. «Mais les membres du personnel n’ont pas quitté leur poste et ont continué à fournir des services médicaux.»

Abu Salmiya a indiqué qu’il n’y avait actuellement assez de carburant que pour trois jours supplémentaires. Des piles ont été fournies pour remplacer le carburant dans l’éclairage, mais elles ne fonctionnent que partiellement et ne peuvent pas constituer un substitut suffisant. «Ce ne sont que des solutions temporaires», a-t-il prévenu.

Abu Salmiya a ajouté que 120 patients de l’unité de soins intensifs ont besoin d’oxygène en continu, tout comme les services de pédiatrie et de prématurités, les salles d’opération et les unités de dialyse. Ils ont également besoin d’une électricité constante, sinon leurs systèmes s’arrêteront et s’effondreront complètement, ce qui pourrait signifier le décès de toutes les personnes qui y sont soignées.

Même la morgue de l’hôpital destinés a dû être fermé. «Nous avons décidé de ne plus recevoir les corps des martyrs dans les réfrigérateurs de la morgue, parce qu’ils ne peuvent tout simplement pas accueillir le nombre considérable de cadavres. La cour de l’hôpital est maintenant remplie de morts auxquels les familles font un adieu rapide avant de les sortir de la cour et de les enterrer.»

Malgré toutes ces difficultés, l’administration de l’hôpital Al-Shifa cherche actuellement à installer des tentes dans la cour pour accueillir certains blessés, ainsi que des patients qui ont été soignés, ou qui ne peuvent pas retourner dans leurs maisons détruites, ou dont l’état de santé doit être l’objet de surveillance. Mais il n’y a toujours pas assez de fournitures de base pour assurer ces services, et il n’y a pas d’autres solutions.

C’est pourquoi Abu Salmiya a demandé aux organisations internationales et à la Croix-Rouge d’intervenir immédiatement pour acheminer des fournitures médicales et du carburant à Gaza. Il a demandé aux gouvernements étrangers qu’ils trouvent des solutions concrètes à l’aggravation de la situation.

«Il semble que la communauté internationale soit unanimement d’accord pour exterminer la population de Gaza en laissant Israël couper l’électricité et l’eau et en faisant s’effondrer tout le système de santé, le système le plus important en temps de guerre», a-t-il déclaré. (Article publié dans l’hebdomadaire états-unien The Nation, le 13 octobre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

Ibtisam Mahdi est une journaliste indépendante de Gaza spécialisée dans les questions sociales, en particulier celles qui concernent les femmes et les enfants. Elle travaille également avec des organisations féministes de Gaza dans le domaine du reportage et de la communication.

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