Gaza. L’armée israélienne non seulement bombarde, dynamite des bâtiments, mais les incendie 

Khan Younès, décembre 2023.

Par Yaniv Kubovich

Selon des informations obtenues par Haaretz, des soldats israéliens ont commencé ces dernières semaines à mettre le feu à des maisons dans la bande de Gaza, en suivant les ordres directs de leurs commandants, sans l’autorisation légale nécessaire pour le faire.

Les soldats ont détruit plusieurs centaines de bâtiments en utilisant cette méthode au cours du mois dernier. Après avoir mis le feu à la structure et à tout ce qu’elle contenait, on la laisse se consumer jusqu’à ce qu’elle devienne inutilisable.

Les Forces de défense israéliennes (FDI) ont déclaré en réponse à ce rapport que la destruction de bâtiments n’est effectuée qu’avec des méthodes autorisées, et que toute action menée de manière différente sera examinée.

Interrogé sur cette nouvelle pratique, un commandant de l’armée israélienne a déclaré à Haaretz que les structures sont sélectionnées pour être brûlées sur la base des services de renseignement. Interrogé sur un bâtiment qui a été incendié non loin de l’endroit où l’entretien a eu lieu, le commandant a déclaré: «Il doit y avoir des informations sur le propriétaire, ou peut-être qu’on y a trouvé quelque chose. Je ne sais pas exactement pourquoi cette maison a été incendiée.»

Trois officiers à la pointe des combats dans la bande de Gaza ont confirmé à Haaretz que l’incendie des maisons était devenu une pratique courante. La semaine dernière, le commandant d’un bataillon a dit à ses troupes, alors qu’elles terminaient leurs opérations dans une zone spécifique de Gaza: «Débarrassez la maison de vos bardats et préparez-la pour la brûler.»

Réservée à l’origine à des cas particuliers, cette pratique est devenue de plus en plus courante au fur et à mesure que la guerre se prolongeait, comme l’a révélé l’enquête de Haaretz.

Récemment, des soldats israéliens déployés à Gaza se sont montrés sur les réseaux sociaux en train de participer à l’incendie de maisons à Gaza – dans certains cas pour se venger de la mort de camarades soldats, ou même de l’attaque du 7 octobre elle-même.

«Chaque jour, une section différente part à l’assaut des maisons de la région», a écrit un soldat. «Les maisons sont investies et occupées. Il ne reste plus qu’à les fouiller de fond en comble. Y compris l’intérieur des canapés. Derrière les placards. Armes, indices, puits d’entrée [de tunnel] et lance-roquettes. Nous avons trouvé tout cela. Au final, la maison est brûlée, avec tout ce qu’elle contient.»

Lors d’un autre épisode, des soldats qui s’apprêtaient à quitter un bâtiment ont laissé une note aux troupes qui allaient les remplacer. «Nous ne brûlons pas la maison pour que vous puissiez en profiter, et quand vous partirez, vous saurez quoi faire», y lisait-on. La note apparaissait sur une photo publiée en ligne par l’un des soldats.

L’incendie d’un bâtiment signifie que ses anciens habitants ne pourront pas revenir y vivre. Au début de la guerre à Gaza, les FDI ont détruit des maisons appartenant à des membres du Hamas ou à des habitants de Gaza ayant participé à l’attaque du 7 octobre. Cette approche a également conduit à la destruction de bâtiments résidentiels utilisés comme infrastructures par le Hamas, ainsi que de maisons situées à proximité de puits d’entrée de tunnels.

Jusqu’au mois dernier, le corps du génie de combat de l’armée utilisait principalement des mines et des explosifs, et dans certains cas des machines lourdes telles que des bulldozers D9 [bulldozer blindé à chenilles construit par Caterpillar], pour démolir les structures. Mettre le feu à des maisons appartenant à des civils non combattants, dans le seul but de les punir, est interdit par le droit international.

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Les Etats-Unis ont récemment lancé un appel à Israël, exigeant [sic!] que ses forces cessent de détruire des bâtiments publics tels que des écoles et des cliniques à Gaza, affirmant que la poursuite de cette action nuirait à la vie quotidienne des habitants de Gaza qui cherchent à rentrer chez eux après la guerre.

L’armée israélienne et son échelon politique ont formellement accepté la demande de Washington – à l’exception des cas où les troupes étaient confrontées à un danger à l’intérieur de la structure – et ont considérablement réduit le recours à cette pratique. En outre, les forces des FDI opérant dans la bande de Gaza ont compris que la destruction de maisons à l’aide d’explosifs ou de machines lourdes est une opération qui prend du temps et des ressources et qui peut mettre les soldats en danger.

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La guerre de Gaza a déjà causé d’immenses destructions de bâtiments civils, même en comparaison avec d’autres conflits sanglants récents dans le monde.

Selon une analyse d’images satellite publiée par la BBC, entre 144 000 et 170 000 bâtiments ont été endommagés dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre. Une enquête du Washington Post publiée le mois dernier et citée par Haaretz (4 janvier 2024) a révélé que des pans entiers de la bande de Gaza ont été anéantis – à Beit Hanoun, à Jabaliya et dans le quartier Al-Karama de la ville de Gaza.

Le rapport indique également qu’à la fin du mois de décembre, 350 écoles et quelque 170 mosquées et églises avaient été endommagées ou détruites [1].

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Cette destruction à grande échelle a suscité des discussions dans les milieux universitaires sur la question de savoir si Israël peut être accusé de «domicide» [voir à ce propos l’article publié sur ce site le 27 octobre 2023], c’est-à-dire de destruction délibérée et systématique des habitations et des infrastructures de base de Gaza de manière à rendre l’environnement inhabitable [voir l’article de Joshua Frank publié sur ce site le 23 janvier 2024].

Israël craint que ce discours n’incite la communauté internationale à prendre des sanctions à son égard. L’armée comprend que cette pratique de domicide [qui est largement utilisée, en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est, au prétexte de constructions palestiniennes faites «sans autorisation» – réd.] peut constituer un défi pour le système juridique israélien au regard des exigences états-uniennes et d’une éventuelle procédure devant la Cour internationale de justice – qui a déjà rendu une ordonnance provisoire sur le comportement d’Israël.

Tout comme l’accusation de génocide portée contre Israël devant la CIJ, l’incendie de maisons peut également être lié aux déclarations des hommes politiques israéliens. Avant la procédure de la CIJ au début du mois, le député du Likoud Nissim Vaturi a réitéré son appel à «brûler Gaza» (Haaretz, 10 janvier). Nissim Vaturi, l’un des vice-présidents de la Knesset, a déclaré lors d’un entretien à la radio qu’«il vaut mieux brûler, renverser des bâtiments, plutôt que de blesser des soldats». Il a ajouté qu’il «ne pense pas qu’il y ait des innocents en ce moment à Gaza». [2]

En réponse à ce rapport, le porte-parole de l’armée israélienne a déclaré: «Le dynamitage et la destruction de bâtiments sont effectués avec des moyens approuvés et appropriés. Les actions qui ont été menées de manières différentes [3] au cours de la guerre seront examinées.» (Article publié par le quotidien israélien Haaretz le 31 janvier 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Le quotidien belge Le Soir, dans un article de Baudouin Loos du 3 février, donne une facette de la politique punitive: «La destruction des locaux qui abritaient à Gaza l’agence belge de coopération, Enabel, ainsi d’ailleurs que ceux du bureau de Handicap international montrent, avec une puissante charge symbolique, la brutalité des méthodes employées par l’armée israélienne depuis qu’elle a commencé, en octobre dernier, ses représailles contre le mouvement islamiste palestinien Hamas». Puis Baudouin Loos pose à ce propos une interrogation suggestive: «On notera que quelques pays avaient, dans un louable souci humanitaire, maintenu leur soutien financier à l’Unrwa [malgré la compagne de dénonciation et de quasi-criminalisation de l’Unrwa faite par le gouvernement Netanyahou]. Parmi ceux-ci figure la Belgique. Il reste à espérer que la concomitance entre cette décision et la destruction de l’immeuble à Gaza où se trouvait l’antenne belge de coopération est purement fortuite.» (Réd.)

[2] Les déplacements de population et les bombardements opérés au sud de Gaza tendent à confirmer, dans les faits, que les FDI considèrent qu’il n’y a pas «d’innocents à Gaza». Le site israélien Ynetnews.com – qui fait partie du même groupe de presse que Yediot Aharonot – publie le 1er février un article de Einav Halabi qui affirme: «La situation dans la bande de Gaza est désastreuse, la moitié des bâtiments étant endommagés ou détruits. La surpopulation à Rafah atteint des niveaux insupportables, les produits de première nécessité sont inabordables, les prix atteignant des sommets sans précédent.» Elle ajoute: «Un blogueur basé à Gaza a partagé une vidéo sur Instagram, expliquant que le prix des tentes à Rafah a grimpé à 800 dollars, ce qui équivaut au coût de construction d’un appartement entier dans le passé. En outre, une nouvelle tendance est apparue: des tongs sont louées à l’heure, au prix de 0,50 dollar par heure… Selon les estimations des Nations unies, près de la moitié des bâtiments de la bande de Gaza ont été endommagés ou détruits. Même si un processus de reconstruction devait commencer immédiatement, avec le même taux de croissance moyen observé au cours des 15 dernières années, il faudrait au moins sept décennies pour que la bande de Gaza retrouve son niveau de PIB de 2022.»

[3] Effectivement, les FDI ne se limitent pas aux divers bâtiments et infrastructures. Ynès Khoudi dans Le Monde du 2 février, p. 3, écrit: «La dégradation, voire la destruction, des terres représente un autre enjeu. “Des images satellites montrent que des terres agricoles sont détruites de manière délibérée”, affirme Omar Shakir, directeur de Israël-Palestine de Human Rights Watch.»

Le même article insiste sur l’air pollué à cause des bombes, de la poussière dégagée lors des dynamitages, de leurs effets sur la santé et des risques environnementaux qui en découlent, etc. (Réd.)

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