La mobilisation du monde agricole met en lumière un scandale. D’un côté, de plus en plus de paysans et de paysannes ne vivent plus de leur travail. De l’autre, les prix de l’alimentation explosent et les salariés sont toujours plus nombreux à être en difficulté pour manger correctement. Pourquoi? Parce que les richesses sont captées par la finance, les multinationales de l’agroalimentaire et par la grande distribution dont les marges atteignent des records. Ce sont les mêmes, les patrons de l’agroalimentaire et les patrons de la grande distribution, qui s’allient pour tirer vers le bas la rémunération des agriculteurs et qui exploitent leurs salariés. Les causes du malaise sont les mêmes, les revendications se rejoignent: vivre dignement de notre métier. Nous appelons les salariés et les paysans à s’unir pour mettre fin au vol de leur travail par les multinationales et par les actionnaires.
Le mouvement des agriculteurs et agricultrices en colère doit permettre une revalorisation du travail. Rappelons-nous: durant le Covid, les métiers d’utilité publique ont été applaudis: paysan·nes, personnel soignant, éboueurs, routiers, caissières, enseignants. Où en sommes-nous aujourd’hui pour ces travailleuses et travailleurs? Toujours plus de difficultés à se loger, se nourrir, vivre correctement! Sans parler d’une réforme des retraites injuste et inique, pour laquelle les paysannes et paysans se sont mobilisés aux côtés des salariés en ravitaillant avec les produits des fermes pour «nourrir la lutte».
Le débat public autour des conditions de travail et le niveau de rémunération des agriculteurs et agricultrices doit permettre de réorienter les politiques publiques au service de l’intérêt général et des travailleuses et travailleurs de la terre. S’il n’y a pas de paysannes et de paysans au travail, il n’y a pas de nourriture dans les assiettes. Point barre. Ces hommes et ces femmes qui se lèvent jour après jour, prennent soin de la terre et des animaux, sont indispensables à toutes et tous pour pouvoir effectuer les activités individuelles ou collectives de la vie courante.
Endettés et précarisés
Et au fond tout le monde le sait bien… Pourtant, une partie significative des agriculteurs vivent en dessous du seuil de pauvreté, endettés et dépendants d’un système économique inhumain. Quant aux ouvriers agricoles et aux saisonniers, ils et elles cumulent précarité, bas salaires et pénibilité. Le monde paysan est en quelque sorte «à part» tant les droits sociaux octroyés à cette profession sont faméliques: pas de droit au repos, retraites misérables en particulier pour les paysannes, recul des services publics dramatique dans nos campagnes… Un scandale! La seule réponse qui leur est apportée est la course au gigantisme. Pour tenter d’avoir un revenu digne, il faut produire toujours plus, s’agrandir, et s’endetter. Ainsi les agriculteurs se retrouvent dépendants voire pieds et poings liés vis-à-vis de l’agrobusiness et on transforme les paysans en «agrimanagers» avec une logique de patrons.
Sommes-nous prêts à voir le monde agricole continuer à périr sous nos yeux pour au final délocaliser la ferme France? Depuis cinquante ans, la superficie des exploitations a été multipliée par quatre et le nombre de paysans a été divisé par quatre. Quel est l’intérêt de cette course au gigantisme? Quel est le sens de forcer les agriculteurs français à produire toujours plus pour inonder les pays émergents de poulets de batterie et de lait en poudre?
L’histoire a démarré avec cette logique de libéralisation prônée par l’OMC. L’industrie française n’a pas pu résister contre le moins-disant social et environnemental. L’usine France a été délocalisée. Le monde ouvrier en a fait les frais. Et les paysans ont déjà payé un lourd tribut. Il est temps d’engager une rupture avec le dogme du libre-échange qui asphyxie le système agricole et alimentaire et le monde paysan, qui met en compétition les travailleuses et travailleurs du monde entier et tire les droits sociaux et environnementaux vers le bas.
Imposer un prix minimum pour protéger les paysans
La réponse à la mobilisation passe par la reconnaissance du travail et par la fin de la marchandisation de l’agriculture. Il faut imposer un prix minimum pour protéger les paysans face aux multinationales. Il est temps de conditionner l’entrée des matières premières et des marchandises sur le marché européen au respect de normes environnementales et sociales. Il est temps d’harmoniser vers le haut en Europe les droits sociaux et environnementaux.
Au lieu de cela, pour ne surtout pas remettre en cause les rentes de l’agro-industrie, gouvernement et grands patrons agricoles dévient le débat sur les normes environnementales. Les remettre en cause serait une dramatique régression. Les agriculteurs et agricultrices ont par leur travail un impact direct sur la moitié de la surface du territoire français, sur notre santé, notre alimentation, notre eau, bref sur notre quotidien. Touchés de plein fouet par la multiplication des catastrophes naturelles, ils et elles payent aussi la pollution au prix fort: les cancers sont la première cause de mortalité chez les agriculteurs et les agricultrices.
A l’image des ouvriers de l’automobile qui subissent la délocalisation de leur industrie au prétexte de la transformation environnementale, les agriculteurs se heurtent à la multiplication des normes environnementales vécues comme autant de bâtons dans les roues alors que le quotidien est déjà difficile. La mise en opposition du social et de l’environnemental est l’impasse sur laquelle prospèrent l’extrême droite et les politiques néo libérales. Comment la dépasser et traiter l’urgence sociale et écologique de front et ensemble? En ayant enfin le courage de s’attaquer au capital!
De plus en plus de Français et de Françaises aspirent à manger une nourriture de qualité mais n’en ont pas les moyens. De plus en plus de paysans aspirent à transformer leur façon de produire en adoptant des pratiques agro écologiques mais ne disposent pas du soutien suffisant pour réaliser cette transition coûteuse. Augmentons les salaires et revalorisons le travail, remettons à plat la répartition des subventions et révisons en profondeur le modèle agricole, voilà les chantiers qu’il faut ouvrir pour permettre à chacune et chacun de vivre de son travail et de consommer une alimentation de qualité produite en proximité! (Tribune publiée dans le quotidien français Libération le 1er février 2024)
Signataires: Laurence Marandola porte-parole de la Confédération paysanne, Sophie Binet secrétaire générale de la CGT, Murielle Guilbert et Simon Duteil coporte-parole de Solidaires, Benoît Teste secrétaire général de la FSU, Pierre Thomas président du Modef.
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Faute de réponse sur le revenu paysan, la Confédération paysanne appelle à poursuivre la mobilisation
La question fondamentale du revenu n’étant toujours pas prise à bras le corps par le gouvernement, la Confédération paysanne appelle à poursuivre la mobilisation.
La question fondamentale du revenu n’étant toujours pas prise à bras le corps par le gouvernement, la Confédération paysanne appelle à poursuivre la mobilisation.
Rien de concret sur le revenu, c’est bien le drame de ces annonces face à une telle mobilisation. Annoncer le «renforcement de la loi Egalim» est une vaste fumisterie. Six ans que cette loi a été votée et le problème serait le manque de contrôle! Ce qu’il faut c’est l’interdiction d’achat en-dessous du prix de revient de nos produits agricoles. Ce que ne permet pas la loi Egalim [Egalim 1 et 2, adoptées en 2018 et en 2021].
Pas de remise en cause réelle du libre-échange mais une énième annonce de clauses miroirs promises depuis des années mais qui n’empêchera pas les ravages du libéralisme. Quant au Mercosur*, le Premier ministre se contente de redire que la France ne le signera pas «en l’état», alors que ce qu’il faut pour protéger les agricultrices et agriculteurs français comme européens c’est stopper les négociations en cours. Le Premier ministre ne dit rien des autres accords de libre-échange dans les tuyaux (Nouvelle-Zélande, Kenya, Chili) et sans clauses miroirs!
La rémunération indigne, due à un système économique libéral inégalitaire, est le sujet qui mobilise sur le terrain des milliers de paysannes et paysans. Or pour détourner l’attention, le gouvernement a annoncé des reculs inadmissibles pour l’autonomie paysanne, via notamment la promotion des OGM et la poursuite d’un recours massif aux pesticides, et pour l’urgence écologique s’agissant par exemple de la fuite en avant sur la politique de l’eau ou de l’insuffisance de soutien et de reconnaissance des productrices et producteurs engagés dans la transition agroécologique et l’agriculture biologique.
Enfin, l’élevage a besoin de mesures structurelles fortes pour son maintien et sa valorisation. Le Premier ministre se contente d’annoncer une « législation sur la dénomination » de la viande de synthèse alors qu’il faut l’interdire.
Nous restons mobilisés pour arracher un droit au revenu afin de maintenir des fermes et des paysannes et paysans nombreux et rémunérés. (1er février 2024)
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Pour la Confédération paysanne la bataille pour le revenu paysan ne fait que commencer
Deux blocages de la Confédération paysanne au péage de Saint-Quentin Fallavier, en Isère, et à la centrale d’achat E. Leclerc SCA Ouest à Saint-Etienne de Montluc, en Loire-Atlantique, ont dû être levés après l’intervention des forces de l’ordre au petit matin.
Nous dénonçons le choix du gouvernement de traiter différemment les mobilisations et les organisations syndicales. Les dirigeants de la FNSEA* ont obtenu du gouvernement des réponses liées à leurs intérêts personnels d’agri-managers spéculateurs. Ces derniers ont ainsi permis au gouvernement de s’exonérer de répondre à la question centrale de cette mobilisation: le revenu.
Partout où elle s’est mobilisée, la Confédération paysanne a porté la défense du revenu pour tous les paysan·nes, et pas seulement pour une fraction déjà nantie, qui savent au quotidien que vivre de leur métier grâce à un revenu digne est urgemment nécessaire.
Sur les blocages et les actions, où nous ont rejoint beaucoup de paysan·nes, souvent non syndiqué·es, nous avons constaté à quel point cette question du revenu était centrale pour toutes et tous. La levée forcée de nos blocages n’arrête donc rien. La preuve, aujourd’hui encore des actions ont lieu et vont continuer la semaine prochaine.
Le combat ne fait que commencer et le rapport de force se construit dans la durée avec tous nos collègues pour qui ce combat est fondamental. Les dynamiques sont fortes sur le terrain et ouvrent un horizon pour l’avenir de l’agriculture et des paysan·nes. Pour la Confédération paysanne, il n’est pas question d’abandonner la lutte légitime et indispensable du revenu paysan. (3 février 2024)
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