18e vendredi à Alger. «Hymne à l’union et à la fraternité»

Par Farouk Djouadi

Des centaines de milliers de manifestants ont battu le pavé, aujourd’hui, vendredi 21 juin, à Alger. Ils ont donné, en ce 18e vendredi de la révolution pacifique, le coup de grâce aux manœuvres de division menées contre le peuple algérien.

Dès la matinée, des milliers de personnes sont sorties manifester aux alentours de la grande poste, pour réclamer le départ de tous les symboles du régime. Les forces de sécurité, mobilisées en très grand nombre, ont procédé à des interpellations parmi les porteurs de drapeaux amazighs (berbère). La police a fait aussi usage de gaz lacrymogène pour disperser des manifestants.

Mais les choses ont totalement changé à partir de 14h, l’heure habituelle de départ des marches. Une véritable marée humaine a submergé le centre de la ville et les policiers n’ont rien pu faire face au nombre impressionnant de drapeaux amazighs brandis et dont les porteurs étaient protégés par la foule impressionnante.

A 14h30, le centre-ville, de Place Audin à la grande poste, vibre au rythme de «Algérie libre et démocratique», «Etat civil, non militaire», «Pouvoir assassin» et «Un peuple éduqué et Etat de traîtres». Ceux-là en plus de l’incontournable slogan «yetnahaw ga3 (Il faut qu’ils dégagent tous)» chanté et écrit sur des pancartes, les tee-shirts et les casquettes.

Le chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, accusé de vouloir diviser le peuple en donnant instruction aux forces de sécurité de confisquer les drapeaux autres que l’emblème national a été la cible de slogans des plus virulents. Outre l’habituel «Gaïd Salah dégage!», les foules ont scandé «La main dans la main, nous chasserons le gang ainsi que Gaïd», « Gaid Salah à El Harrach (la prison)» et «Kabyles et arabes sont frères et Gaid Salah est avec les traîtres».

Les slogans dédiés à l’union et la fraternité ont prospéré aujourd’hui à la capitale: «Pas de régionalisme nous sommes frères», «Non à la fitna (division), un seul peuple», «Que Dieu nous protège des diviseurs, visibles et cachés, et libère notre pays du gang» ou encore «Peuple uni, nous vous mettrons hors d’état de nuire».

Les marcheurs ont réitéré leur rejet de l’appel au dialogue lancé par le chef de l’Etat par intérim, Abdelkader Bensalah. «Non au dialogue avec le gang», «Non aux élections organisées par les gangs», lit-on sur des pancartes. Les médias, plus particulièrement les chaînes de télévision ont été également fustigés par les manifestant·e·s qui les ont qualifiés de «flagorneurs» et de «menteurs».

15h30 à la rue Hassiba. Une foule imposante récite en chœur des versets coraniques à la mémoire de l’ancien président égyptien, Morsi, décédé récemment. D’ailleurs, les portraits de Morsi ont été brandis par de nombreux manifestants qui ont demandé également, à travers leurs pancartes, de «laisser Cheikh Ali Benhadj faire ses prières dans la mosquée».

A 16h00, les manifestants, toutes tendances idéologiques confondues, continuent de converger vers le centre de la capitale qui a vécu des moments forts en sensations, en ce premier jour de l’été 2019. (Article publié dans El Watan en date du 21 juin 2019)

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18e vendredi de contestation: réaffirmation de l’unité

Par Abdelghani Aichoun

Les Algériens sont sortis en masse, hier 21 juin, lors du 18e vendredi de la contestation populaire, à travers plusieurs villes du pays, dont bien sûr la capitale. Ainsi, à Alger, ils étaient des milliers à battre le pavé pour réaffirmer, surtout, leur attachement à l’unité nationale.

Réagissant au discours prononcé par le chef d’état-major de l’ANP, Ahmed Gaïd Salah, mercredi dernier, dans lequel il avait évoqué le drapeau national, en attirant l’attention, comme il l’a signalé, sur «la tentative d’infiltrer les marches et porter d’autres emblèmes que notre emblème national par une infime minorité», les manifestants de la capitale ont tenu à dire qu’il n’y a pas de place pour le régionalisme: «Makanch djihawia» (Pas de régionalisme). D’ailleurs le plus gros des slogans scandés durant ce 18e vendredi a été réservé à cette question. «Makanch djihawia ya l bandia» ou «Kebaili, Arbi, khawa, khawa, makanch el fitna ya khawana», ont entre autres scandés les manifestants. D’autres venus de Bab El Oued et de La Casbah ont préféré afficher leur amazighité. «Casbah Bab El Oued Imazighen», criaient-ils en rejoignant la manifestation, avant qu’ils ne soient repris par d’autres. Un slogan de la lutte identitaire a également fait sa réapparition à cette occasion, à savoir «Anwa wigui d’Imazighen». Bien évidemment, le chef d’état-major de l’ANP n’a pas été épargné. «Kebaili Arbi, khawa khawa, Gaïd Salah maa el khawana», scandaient également les manifestants, apparemment très remontés contre lui surtout après sa dernière déclaration relative à la question des drapeaux.

En plus de ces slogans, beaucoup de marcheurs s’étaient exprimés via des pancartes. «Racisme dégage», lit-on sur l’une d’elles. Sur des banderoles, il était écrit: «Non à la fitna [division], un seul peuple», «L’unité est notre force, la bande est notre ennemi, le pacifisme est notre arme». Cette polémique autour du drapeau national n’a pas fait oublier aux manifestants leurs revendications principales relatives au «départ du système». Comme lors des précédents vendredis, ceux-là ont réitéré leur exigence du départ de tous les symboles de l’ancien régime. «Yetnahaw gaa», ont-ils répété à maintes reprises, avant de citer nommément les «3B», en l’occurrence le chef de l’Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, le Premier ministre, Noureddine Bedoui, et le président de l’APN, Moad Bouchareb.

Le départ des partis du pouvoir a aussi été réclamé. Des marcheurs ont tenu, par ailleurs, à rappeler, sur des pancartes: «Le pouvoir au peuple» et «Activation des articles 7 et 8». Aujourd’hui, actualité oblige, les Algériens n’ont pas trop évoqué les dernières arrestations de responsables politiques et du secteur économique pour des affaires liées à la corruption et aux passe-droits. Ils ont mis l’accent, donc, sur la fraternité et l’union entre tous les Algériens et la nécessité du départ du système. (Article publié dans El Watan en date du 22 juin 2019)

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Réactions contre l’interdiction l’emblème amazith

Par Idir Nadir

La police a réagi violemment contre les manifestants qui portaient l’emblème amazigh, en application des menaces formulées, la veille, par Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP). Plusieurs dizaines de personnes, rassemblées à Alger, ont été violemment interpellées et conduites dans des commissariats de la capitale.

Un dispositif policier a été déployé devant les sièges du RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie) et de Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), dont les adhérents étaient soupçonnés de vouloir déployer les drapeaux amazighs lors de la manifestation. Une alerte a été lancée le matin sur la page Facebook de l’association présidée par Abdelouahab Fersaoui: «Déploiement inhabituel des agents des services de sécurité en civil aux alentours du siège du RAJ. Suivi et tentative d’interpellation systématique des militants du RAJ.» Boutata Karim, militant de l’association, a été interpellé à l’entrée de l’immeuble du siège du RAJ et conduit vers une destination inconnue. Sa libération est annoncée en fin de journée. La veille, Oulmahdi Omar, étudiant, Wafi Tigrine, militant du RAJ, ont été arrêtés à la Grande-Poste et libérés «une heure après leur interpellation avec confiscation par la police du drapeau amazigh en leur possession», précise la même organisation.

Le vice-président de la LADDH ( ), Saïd Salhi, parle d’une «provocation de plus» de l’autorité de fait qui dirige le pays. «Une provocation de plus, au moment où le peuple algérien a merveilleusement retrouvé son unité nationale dans la cohabitation et la diversité, le système tente par ses pratiques de le diviser au risque d’attenter à sa cohésion et la stabilité du pays», lit-on dans le communiqué rendu public dans la matinée d’hier.

Tout en dénonçant la répression, l’interpellation des manifestants pacifiques et la fermeture de la capitale à la face des Algérien(ne)s, la LADDH (Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme) parle d’une «dangereuse dérive», et tient le système, à sa tête le pouvoir réel, pour seul responsable quant à toute «évolution fâcheuse de la situation». «Elle (la ligue) appelle le peuple algérien à ne pas céder à la provocation et à rester vigilant, solidaire, pacifique et uni, l’union et la voie pacifique sont notre seule force. Ne cédons pas aux chants des sirènes qui tentent par ses manœuvres de dévier le peuple de son combat», met en avant Saïd Salhi.

Le discours de Ahmed Gaïd Salah sur le déploiement des emblèmes autres que celui national lors des marches a donné l’effet inverse. «Les Algériens, continuent de faire bloc contre le système», note Ramdane Youssef Tazibt, député PT (Parti des travailleurs) démissionnaire de l’APN (Assemblée populaire nationale). «Malgré le discours menaçant du pouvoir de fait, la répression et l’interpellation de manifestants et le sévère filtrage des barrages dressés par la police et la gendarmerie, des dizaines de milliers de citoyens ont marché à Alger avec le drapeau algérien qui symbolise l’indépendance nationale l’unité territoriale et l’emblème de l’amazighité qui renoue avec notre identité millénaire. Un peuple uni face au régime plus que jamais isolé», assène le responsable du PT, dont la secrétaire générale (Louisa Hanoune) est en prison.

Dans un message intitulé «Soldat perdu face au peuple», Saïd Sadi, ancien président du RCD, a parlé de la provocation contenue dans le discours de Gaïd Salah: «Ce 19 juin, jour anniversaire du coup d’Etat de juin 1965 [sous la direction de Boumedienne] ayant infligé au pays un militarisme qui a enterré la démocratie et aggravé un bellicisme négateur de paix et de développement dans la région, vous décrétez que l’emblème amazigh doit disparaître de la rue algérienne.

Ce symbole de l’unité nord-africaine flotte depuis des années en Libye, en Tunisie, au Maroc et dans le nord des pays sahéliens. Les manifestants de la révolution du 22 février se l’ont naturellement approprié comme la promesse devant honorer l’engagement des peuples en lutte contre le colonialisme par la finalisation de leur combat dans la construction d’une fédération d’Etats que rassemble une histoire multimillénaire.

Cette provocation, qui s’ajoute à d’autres menaces et abus, doit être dénoncée et condamnée avec la plus extrême fermeté par tous nos compatriotes. Après avoir échoué à diviser la révolution, on vise maintenant à justifier l’injustifiable, quitte à passer outre toutes les lois en vigueur,» Sadi n’omet pas de parler de l’«aveuglement» de la direction actuelle du pays. «Pourquoi un tel aveuglement alors qu’à l’intérieur et à l’extérieur du pays, les faits et les analyses démontrent que notre peuple, et c’est tout à son honneur, fait naître une révolution inédite par la convivialité de ses méthodes, généreuse par sa composante dominée par les jeunes et les femmes, derrière lesquels se fédèrent toutes les couches sociales, et audacieuse par des objectifs d’innovation démocratique émanant de la base populaire.

Certains observateurs n’hésitent pas à comparer ce miracle unique dans le Sud à la chute du mur de Berlin, Alger ayant longtemps servi de modèle à la gestion bureaucratique tiers-mondiste», assure-t-il. Et d’asséner à la fin de son message au chef d’état-major: «La voie constitutionnelle, dépassée par l’histoire et rejetée par la rue, dans laquelle vous vous êtes enferré, expose la nation aux plus graves périls. Elle est maintenant un piège qui s’est refermé sur vous. Personne ne comprend qu’à l’hiver de votre vie, vous préfériez le destin de soldat perdu de la République au statut de paisible retraité.»

S’agissant de la suspicion qui entoure le drapeau amazigh, le sociologue Lahouari Addi a eu, lui aussi, des mots bien sentis: «Ne pas tomber dans le piège. En France, les Savoyards ont leur emblème, aux Etats-Unis, les Texans ont leur emblème, en Allemagne, en Hollande, en Russie… L’emblème amazigh n’est pas un drapeau étranger à l’Algérie. C’est le symbole de sa profondeur historique. Quant au drapeau palestinien, il est brandi parce que les Algériens sont solidaires avec un peuple dominé par un système colonial abject. Je ne soutiens pas les Palestiniens parce qu’ils sont des Arabes; je les soutiens parce que leur combat contre l’oppression est juste. Vendredi, le drapeau national doit être fièrement brandi avec les emblèmes amazigh et palestinien. La diversion ne marchera pas.»  (Article publié dans El Watan en date du 22 juin 2019)

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Grande mobilisation à Tizi Ouzou: «Le drapeau amazigh, c’est notre identité»

Par Hafid Azzouzi

Mazalagh d’Imazighen» (Nous sommes toujours des Amazighs) ont scandé les dizaines de milliers de personnes qui ont battu le pavé, hier, dans la ville de Tizi Ouzou, à l’occasion du 18e vendredi de protestation, dans le sillage du mouvement populaire enclenché, à travers tout le territoire national, depuis le 22 février dernier, pour exiger le départ du système.

Le drapeau amazigh a flotté aux côtés de l’emblème national. «Le drapeau amazigh, c’est notre identité», lit-on sur une pancarte brandie par un participant à la marche qui nous a déclaré que «le problème de l’Algérie n’est pas dans l’emblème, il est dans le maintien de la caste au pouvoir dont le peuple revendique le départ depuis quatre mois». Un autre ajoute qu’on ne peut pas occulter l’histoire de Tamazgha (Numidie).

La marche d’hier (vendredi 21 juin) était, en somme, une démonstration de force en réaction aux déclarations du chef d’état-major de l’armée qui a, dans son dernier discours, insisté sur l’interdiction de manifester avec un drapeau autre que l’emblème national. Les marcheurs ont mis en avant le drapeau amazigh en nombre important, histoire d’affirmer leur attachement à leurs origines comme ils ont aussi scandé, haut et fort, durant toute la durée de l’action, «Imazighen». Sur les banderoles déployées on a également mentionné des mots d’ordre qui expliquent que le drapeau amazigh est unificateur des peuples.

D’ailleurs, sur l’un des étendards au milieu de la foule, nous avons remarqué qu’il est entouré des drapeaux des pays de l’Afrique du Nord, une manière de montrer que sa dimension dépasse les frontières. «Le drapeau amazigh et l’emblème national représentent notre fierté, car le premier reflète notre identité et le deuxième représente le sacrifice de nos valeureux martyrs de la guerre qui ont libéré l’Algérie des mains du colonialisme français. Ils se sont sacrifiés pour une indépendance confisquée par le clan de Oujda qui a fait beaucoup de mal au pays», clame un septuagénaire avec beaucoup de détermination. «Nous voulons le changement de tout le système qui a ruiné le pays. Nous n’allons pas cesser de manifester jusqu’au départ, sans exception, de tous ceux qui ont dilapidé les richesses du peuple», a-t-il encore martelé, comme beaucoup d’autres marcheurs qui ont réitéré l’exigence du départ de Bensalah, Bedoui et Gaïd Salah. «Pour la séparation des pouvoirs, l’Algérie n’est pas une caserne», est-il aussi mentionné sur une pancarte portée par une femme.

La procession s’ébranlait au fur et à mesure que des grappes de citoyens arrivaient devant le portail du campus universitaire de Hasnaoua. D’ailleurs, compte tenu de l’importance de la masse humaine qui a déferlé sur le chef-lieu de wilaya, les premiers carrés ont atteint la place du mémorial des chouhada (les combattants, moudjahids, morts dans la guerre de libération), en face de l’ancienne gare routière. Toute la ville était submergée par des citoyens venus des différentes localités de la wilaya de Tizi Ouzou.

D’anciens animateurs du MCB (Mouvement culturel berbère), comme Mouloud Lounaouci, Hend Sadi, Saïd Doumane et Arav Aknine, ont également pris part à la marche et hissé le drapeau amazigh. D’ailleurs, la veille, Hend Sadi a publié sur son compte Facebook, une réponse à Gaïd Salah dans laquelle il a exprimé, entre autres, sa détermination de hisser encore plus haut le drapeau amazigh. «Je ne justifierai devant personne, pas même devant vous, mon identité et mon existence. Vous n’êtes pas en situation de donner des leçons de patriotisme aux Algériens en les invitant au reniement de leur être le plus profond, de tout ce qui fait l’authenticité de leur patrie. Vous cherchez à le diviser en contestant ce qui est la seule “constante nationale”, le premier facteur d’union de ce pays et, au-delà, de l’Afrique du Nord», a-t-il écrit. (Publié dans El Watan en date du 22 juin 2019)

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