Cisjordanie. «Les plans d’Israël pour le camp de réfugiés de Jénine vont bien au-delà de la simple destruction»

Forces de sécurité israéliennes lors d’une opération militaire dans la ville de Jénine, en Cisjordanie occupée, le 23 janvier 2025. (Flash90)

Par Majd Jawad

Depuis près de trois mois, le camp de réfugié·e·s de Jénine est complètement vidé de ses habitants, seuls les soldats et les chars israéliens pouvent y entrer. Après avoir expulsé les 20 000 habitants du camp en janvier dans le cadre de ce qu’elle appelle «l’opération Mur de fer» [initié le 21 janvier 2025], l’armée israélienne empêche violemment leur retour. Même les familles qui ont tenté de se rendre sur les tombes de leurs proches pendant l’Aïd al-Fitr, fin mars, ont été chassées à coups de gaz lacrymogènes.

Israël affirme que cette opération vise à éliminer les combattants de la résistance et à renforcer la sécurité israélienne dans la région. Mais il n’y a eu aucune résistance armée depuis que l’armée a déplacé la population. Israël n’a fixé aucun calendrier pour la poursuite de son opération dans le camp, laissant les habitants dans l’incertitude.

Après avoir fui leurs maisons sous les tirs israéliens, les habitants se sont réfugiés chez des parents et des amis, dans des centres communautaires et des salles de mariage, ou tentent de trouver un autre logement dans la ville. Ils ne savent pas quand – ni même si – ils seront autorisés à rentrer chez eux.

«Nous avons été expulsés de nos maisons sans aucun avertissement», a raconté Mona Obeid, 63 ans, à +972. «Nous n’avons pas eu le temps d’emporter quoi que ce soit, pas même des vêtements. Nous n’avons aucune idée de ce qui se passe à l’intérieur du camp. Nous dépendons des quelques images et vidéos prises par des journalistes qui ont réussi à s’y infiltrer, à la recherche du moindre indice qui pourrait nous montrer ce qui est advenu de nos maisons et de nos quartiers.»

Ces images montrent l’ampleur des destructions causées par l’armée israélienne dans le camp afin de le rendre plus accessible à ses propres véhicules. L’armée a fait dynamité des pâtés de maisons entiers et rasé des rues étroites et des ruelles, tout en installant davantage de caméras de surveillance et en construisant de nouvelles tours de contrôle militaires.

Le maire de Jénine, Mohammad Jarrar, a déclaré à +972 que l’armée israélienne a maintes fois entravé les efforts des autorités locales pour réparer les infrastructures endommagées à l’intérieur du camp. «Chaque fois que nous avons tenté de réparer les principales conduites d’eau, d’égouts et d’électricité, elles ont été détruites à nouveau en moins de 24 heures.»

La tentative d’Israël de réaménager l’espace semble être une réponse directe au fait que la configuration du camp est étroitement liée à sa résistance à l’occupation. Son réseau de ruelles, de maisons, de quartiers et de rues a permis des déplacements rapides et des tactiques de guérilla, tout en offrant une couverture efficace contre la surveillance par drones. Des brèches ont même été créées dans les murs des maisons pour permettre aux combattants de la résistance d’échapper à la détection et de lancer des attaques surprises lorsque les soldats israéliens font une descente dans le camp.

La volonté d’Israël de transformer le camp en un secteur résidentiel «normal» revêt également un aspect politique. L’utilisation généralisée de tôles ondulées dans sa construction, plutôt que la maçonnerie traditionnelle observée dans d’autres zones urbaines, reflète la conviction profonde des habitants que leur logement est temporaire et qu’un jour ils retourneront dans leurs villes et villages d’origine en Israël, d’où ils ont été expulsés il y a 77 ans par les milices sionistes.

Selon des informations publiées dans les médias israéliens, l’opération militaire à Jénine est un projet pilote qui pourrait être étendu aux 18 autres camps de réfugié·e·s de Cisjordanie si l’un d’entre eux «fonctionnait de manière similaire au camp de Jénine». L’armée semble vouloir éliminer leur caractère distinctif afin d’abolir, au moins symboliquement, le droit au retour.

«L’occupant a menacé à plusieurs reprises de démolir le camp, mais cela s’est limité à des menaces et à des déclarations dans les médias», a déclaré Mohammad Al-Sabbagh, chef du comité populaire du camp. «Cependant, avec la dernière opération, nous voyons ces menaces se concrétiser pour la première fois. Les forces israéliennes suivent une stratégie claire sur le terrain pour vider le camp de ses habitants et l’intégrer à la ville. Plus ce processus se prolonge, plus il devient évident que les habitants expulsés sont poussés à accepter ces nouvelles conditions comme si elles étaient permanentes.»

Depuis le 7 octobre, les habitants ont été contraints de fuir leurs maisons à plusieurs reprises, mais jamais aussi longtemps ni à une telle échelle. Les incursions répétées des Israéliens, accompagnées de bombardements aériens intensifs, ont détruit les infrastructures essentielles et entraîné l’effondrement des services de base, obligeant les habitants à s’habituer à chercher refuge à l’extérieur du camp.

«Nous avons une chambre chez un parent dans le village de Kafr Dan où nous nous rendons chaque fois qu’il y a une incursion», nous a déclaré Mahasen Hassan, 43 ans, résidente du camp. «Chacun de nous garde à côté de lui un sac de voyage rempli de produits de première nécessité auprès de lui pendant qu’il dort, au cas où.»

Aujourd’hui, Mahasen Hassan a du mal à s’adapter à la vie en dehors du camp où elle est née et a grandi, ainsi qu’aux conditions de promiscuité dans la pièce où elle s’est réfugiée avec ses quatre enfants. Elle se surprend souvent à regarder une carte publiée par l’armée israélienne sur laquelle sa maison est marquée en rouge, signe de sa démolition imminente. «Quand pourrons-nous enfin poser ce sac de voyage maudit et rentrer chez nous?», se demande-t-elle.

L’intégration géographique du camp dans la ville et les quartiers environnants a favorisé un fort sentiment d’unité politique et sociale dans tout Jénine. Des grèves générales ont été organisées à plusieurs reprises dans toute la ville chaque fois que le camp était assiégé ou qu’un habitant était tué par les forces israéliennes. Après le début de la dernière invasion israélienne en janvier 2025, le principal marché de la ville a été fermé pendant plus d’un mois en solidarité avec le camp, mais il a finalement rouvert en raison de la durée de l’opération israélienne et du poids économique que la grève faisait peser sur les habitants.

Toutefois, de nombreux résidents restent déterminés à poursuivre la grève. Un commerçant de la ville, qui a souhaité rester anonyme, a déclaré à +972: «Je ne peux pas considérer ce qui se passe dans le camp comme quelque chose qui nous est étranger. Nous ne pouvons pas nous habituer à voir des chars et des jeeps militaires faire partie de notre quotidien dans la ville.» (Article publié sur le site israélo-palestinien +972, le 16 avril 2025; traduction rédaction A l’Encontre)

Majd Jawad est un journaliste indépendant originaire du village de Zir’in.

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