Italie. Le gouvernement Meloni à l’épreuve de pressions socio-politiques contradictoires

Giorgia Meloni face à la presse, le 11 août, suite à la proposition de l’opposition parlementaire d’instauration d’un salaire minimum.

Par Fabrizio Burattini

Comme on le sait, à la fin du mois de juillet, 169 000 familles italiennes ont reçu sur leur téléphone portable un message laconique mais inquiétant de l’Institut national de la sécurité sociale (INPS). Il disait à peu près ceci: «Le revenu de citoyenneté est suspendu, comme le prévoit le Décret travail (Decreto Lavoro), dans l’attente d’une éventuelle intervention des services sociaux municipaux.» Ces 169 000 familles ne constituent qu’une partie des quelque 436 000 (pour un total d’environ 615 000 personnes) que le Décret travail adopté par le gouvernement Giorgia Meloni le 1er mai voulait priver du Revenu de citoyenneté (RdC), l’allocation située entre 500 et 700 euros mensuels créée par le gouvernement Giuseppe Conte 1 [membre du Mouvement 5 étoiles-M5S] en 2019 pour pallier la pauvreté croissante répandue dans le pays et surtout dans le Sud.

Un message, celui de l’INPS, qui est d’ailleurs erroné. En effet, aucune des presque 8000 communes italiennes n’avait été prévenue qu’elle devrait faire face à la perte soudaine de revenus de dizaines de milliers de familles en plein été. De plus, les «services sociaux municipaux» ne sont pas du tout dotés de fonds adéquats pour faire face à une urgence sociale aussi importante et imprévue.

La guerre aux derniers en essayant de recruter les avant-derniers

La dureté glaciale du message a été euphémisée comme relevant d’un simple faux pas par la nouvelle directrice de l’INPS, Micaela Gelera, récemment nommée par la ministre du Travail et des Politiques sociales Marina Calderone, qui l’a choisie parmi ses collègues de travail – la ministre est consultante en gestion du personnel et son mari est président de l’Ordine dei consulenti sul lavoro – pour supplanter l’ancien président de l’INPS Pasquale Tridico, proche du Mouvement 5 étoiles.

Cependant, au-delà du style adopté pour changer la vie, avec un simple SMS, de centaines de milliers de personnes, l’initiative de l’INPS constitue la concrétisation violente d’une des promesses faites par la coalition de l’extrême droite lors de la campagne électorale.

Les personnes qui perdront l’allocation de pauvreté sont les soi-disant «employables» (c’est-à-dire les citoyens âgés de 18 à 59 ans, sans mineurs, personnes âgées ou handicapées à charge), qui auront désormais droit à une allocation de seulement 350 euros par mois (soit environ la moitié du montant du RdC), et cela seulement pendant 12 mois et à condition de suivre des cours de formation, qui n’ont d’ailleurs pas encore été mis en place. Comme si l’on disait: «nous ne vous appuyons plus; à partir de maintenant, débrouillez-vous».

Mais la mesure n’est pas avant tout d’exigences économiques. En effet, les économies attendues par le gouvernement sur le dos des citoyens et citoyennes les plus faibles seront inférieures à 3 milliards d’euros, soit 0,15% du PIB, moins de 0,3% des dépenses publiques et 0,1% de la dette publique.

L’objectif de l’annulation du Revenu de citoyenneté est avant tout social, afin de sanctionner la rupture de tout lien de solidarité entre des travailleuses et travailleurs à plus ou moins faible revenu et le secteur vaste et croissant de salarié·e·s en situation de pauvreté absolue ou relative.

Pendant la campagne électorale et aujourd’hui encore, à l’appui du «décret travail» qui sanctionne la fin du RdC, les forces de la droite dure ont tenté de culpabiliser les pauvres en les traitant de «paresseux» et de «fainéants», comme si le manque d’emplois dépendait de leur incapacité ou de leur refus de s’offrir sur le marché. Et la campagne de réprobation s’est accompagnée de la dénonciation de la prétendue impossibilité pour de nombreux entrepreneurs de trouver de la main-d’œuvre précisément à cause de l’existence du RdC, indiqué comme un facteur freinant la recherche d’emploi.

Matteo Salvini, à propos du RdC (qu’il a approuvé lorsqu’il était vice-président du gouvernement Conte 1), est allé jusqu’à déclarer pendant la campagne électorale: «Il n’y a pas d’entrepreneurs exploiteurs. Simplement: si avec le RdC vous recevez 600 euros pour rester à la maison et regarder la télévision et qu’on vous propose 600 euros pour occuper une fonction de serveur, je vous laisse le soin de trouver la réponse», considérant ainsi qu’un salaire de 600 euros par mois est légitime et décent.

La difficulté de trouver des travailleurs à embaucher est évidemment étroitement liée aux conditions salariales proposées. Il y a quelque temps, l’entreprise toscane [basée à Empoli] Sammontana a fait parler d’elle en recherchant 350 travailleurs et travailleuses saisonniers pour la production de ses glaces. Compte tenu des conditions salariales relativement «avantageuses» offertes [1300 euros mensuels plus des indemnités], elle n’a eu aucune difficulté à les trouver et à les embaucher, puisqu’elle a été submergée par plus de 2500 demandes d’emploi.

L’objectif est donc de contraindre de plus en plus de personnes à accepter un emploi, quels que soient le salaire et les modalités d’emploi. C’est ce que demande une grande partie du patronat afin de maintenir les «coûts» de production à un niveau bas et augmenter ainsi les profits.

Ainsi, cette droite gouvernementale a décidé de faire la guerre aux pauvres en cherchant également à recruter les secteurs les moins conscients de la classe ouvrière dans la configuration de cette bataille ignoble.

Mais il y a aussi un objectif politique: celui de dissiper l’important capital d’adhésion qui a permis au M5S d’occuper, lors des dernières élections, la première place dans toutes les régions du Sud.

Malgré la parenthèse estivale, les réactions de rue contre la réduction du Revenu de citoyenneté s’organisent. Bien entendu, dans les mobilisations qui se développent surtout dans le Sud (la majorité de ceux qui seront privés du RdC résident dans les régions méridionales), les initiateurs intègrent aussi dans leur propagande la dénonciation de toute la politique économique du gouvernement Meloni, l’augmentation des dépenses militaires, les amnisties fiscales en faveur des fraudeurs, la réintroduction (en juillet 2023) des rentes viagères [après leur suppression en 2018] pour les parlementaires [quelque 851 sénateurs et sénatrices, dont la rente est de 5522 euros net]…

Une première mobilisation est prévue le 28 août à Naples, Palerme, Catane et Cosenza, et des initiatives concomitantes sont également prévues dans d’autres villes. L’initiative a été prise par le «Réseau des comités pour la défense et l’extension du Revenu» (Rete dei comitati per la difesa e l’estensione del Reddito), qui rassemble d’importants secteurs populaires d’anciens bénéficiaires du RdC, et organisée par le biais d’un certain nombre de réseaux sociaux et soutenu par des collectifs de chômeurs et des organisations de gauche.

Les salaires en Italie

Comme chaque trimestre, l’Institut national de la statistique (ISTAT) a publié fin juillet des données sur l’évolution des salaires des travailleurs et travailleuses d’Italie, soulignant que «malgré le récent ralentissement de l’inflation, au cours des six premiers mois de 2023, la distance entre la dynamique des prix et celle des salaires dépasse encore six points de pourcentage». En d’autres termes, les salaires perdront à nouveau environ 6% de leur pouvoir d’achat cette année.

Cela est dû à de nombreux facteurs: tout d’abord, l’absence totale, depuis 1993, de toute forme d’ajustement «automatique» des salaires à la croissance du coût de la vie. En effet, il y a tout juste 30 ans, en juillet 1993, les syndicats majoritaires concluaient avec les associations patronales – sous la supervision du gouvernement de centre-gauche présidé par Carlo Azeglio Ciampi [qui deviendra président de la République de 1999 à 2006] – un accord qui sanctionnait la fin de l’«échelle mobile» des salaires, le mécanisme qui avait protégé le niveau de vie des salarié·e·s de l’inflation depuis 1945.

Depuis 1993, les salaires sont régis exclusivement par des conventions collectives signées périodiquement (formellement tous les trois ans) entre les syndicats et la Confindustria et d’autres organisations patronales. Mais ces contrats sont toujours conclus dans un souci de «modération salariale» et de «maîtrise des coûts salariaux». En outre, ils sont signés en moyenne (données Istat à l’appui) avec un retard de 2 ans, voire 2 ans et demi (dans certains cas, le retard atteint 70 mois).

Tout cela signifie que, surtout dans une période marquée par une inflation proche ou supérieure à deux chiffres (pour les biens de première nécessité), les salaires réels non seulement n’augmentent pas mais tendent à diminuer, y compris de manière significative: l’indice des salaires horaires contractuels, en juin 2023 par rapport à juin 2022, montre une augmentation moyenne de 3,1%, par rapport à une augmentation moyenne des prix à la consommation de 5,9% (mais pour les denrées alimentaires, les biens d’entretien et les soins personnels, l’augmentation annuelle est de 10,2%). Sans compter que l’augmentation de 5,9% pour 2023 s’additionne et se cumule avec l’augmentation de 7,9% pour 2022.

C’est pourquoi l’OCDE indique, pour 2022, une baisse de 7,5% des salaires réels italiens par rapport à la période prépandémique, contre une légère augmentation (+1,5%) des salaires français et des pertes de pouvoir d’achat beaucoup plus faibles, de l’ordre de 2 à 4%, dans les autres pays «capitalistes avancés». Les prévisions de l’OCDE tablent sur de nouvelles pertes de pouvoir d’achat pour l’Italie pour l’année en cours et pour 2024.

En 2021, nous avions déjà enregistré un record peu enviable pour ce qui a trait aux salaires en Italie. C’était le seul parmi les pays de l’OCDE à enregistrer, après 31 ans, un niveau de pouvoir d’achat encore plus bas (-2,9% en termes réels) qu’en 1990.

Bien entendu, la perte de pouvoir d’achat a un impact plus important sur les ménages à faibles revenus, qui ont moins de capacité à faire face aux augmentations de prix par le biais de l’épargne ou de l’emprunt.

Selon l’Institut de la sécurité sociale (INPS), 19,5% des salarié·e·s «réguliers» ont un revenu annuel inférieur à 11 000 euros (c’est le niveau des dits travailleurs pauvres) et 9,9% se situent entre 11 000 et 15 000 euros: ce sont donc des millions de travailleurs qui disposent d’un revenu de stricte subsistance, totalement incapables de faire face à tout type d’imprévus (maladie, accident, naissance d’un enfant, etc.).

Un salaire brut de misère signifie un salaire horaire de misère: pour les plus de 3 millions de salarié·e·s pauvres qui ont un revenu inférieur à 11 000 euros, du moins pour ceux d’entre eux qui travaillent à temps plein, c’est-à-dire environ 173 heures par mois, ce salaire correspond à un salaire horaire brut de 4,89 euros.

L’article 36 de la Constitution de 1948 (donc en vigueur depuis 75 ans) obligerait l’employeur à verser au travailleur «un salaire proportionnel à la quantité et à la qualité de son travail et en tout cas suffisant pour assurer à lui-même et à sa famille une existence libre et digne». Mais cette norme constitutionnelle «solennelle» est ouvertement foulée aux pieds non seulement par la voracité patronale, mais aussi par l’orientation de modération salariale adoptée par les syndicats lors de la signature des contrats collectifs.

Rappelons que l’Italie est l’un des rares pays européens (avec l’Autriche et les pays scandinaves, sans parler de la Suisse) à ne pas avoir de salaire minimum légal. Les salaires sont exclusivement fixés par des accords entre les «partenaires sociaux», au moyen de grilles salariales contractuelles établies tous les trois ans.

Il est impossible de vérifier de manière précise ces grilles, puisqu’il existe 985 contrats en vigueur, différents selon les nombreux secteurs de travail. Il existe de nombreux contrats, surtout dans les secteurs des services et du tourisme, qui fixent les salaires mensuels à un peu plus de 1000 euros (par exemple, les travailleurs de la restauration, les entreprises de nettoyage et de sécurité, les concierges, etc.), correspondant à un salaire horaire brut d’un peu plus de 6 euros, duquel il faut soustraire le montant des impôts et des celui des cotisations sociales. Soulignons que nombre de ces contrats de misère sont signés par les syndicats confédéraux, ainsi que par de nombreux «syndicats» aux inclinations pro-patronales.

L’initiative pour le salaire minimum

Ce sont ces considérations qui ont conduit les forces de l’opposition parlementaire à proposer l’instauration d’un salaire horaire minimum fixé par la loi à 9 euros.

Le Mouvement 5 étoiles, dès sa création, avait avancé la proposition de l’institution d’un salaire minimum légal. Le Parti démocrate (PD) subordonnait alors sa position à «l’exigence» des confédérations syndicales, opposées à cette perspective parce qu’elle leur enlèverait une partie importante de cette «autorité salariale» qu’ils exercent (mal) depuis des décennies.

Aujourd’hui, face à l’initiative unitaire de l’opposition en faveur de l’introduction d’un salaire minimum en Italie également, soutenue conjointement par le PD, le M5S, la Sinistra italiana (Gauche italienne) et, quoique avec moins de détermination, par la formation centriste de Carlo Calenda (Azione – Italia Viva – Renew Europe), la CGIL et l’UIL ont dû assouplir leur opposition, tandis que la CISL continue à s’exprimer de manière clairement hostile.

Sur cette question, un débat politique important s’est ouvert qui a pris ce gouvernement de droite à contrepied. En dix mois de gouvernement Giorgia Meloni et ses collaborateurs ont réussi à rassurer la classe dirigeante, les grandes entreprises, les institutions européennes et l’administration états-unienne par leur fidélité à la politique économique néolibérale. Mais ceux et celles qui les ont portés au gouvernement, y compris pour des considérations purement financières, sont avant tout les petits entrepreneurs et une partie des classes moyennes appauvries et effrayées par la crise: à l’égard de cette base sociale, la droite a usé à plein de la démagogie raciste sur les migrant·e·s, mais cela ne suffit plus. La crise frappe de plus en plus fort et l’appauvrissement de larges secteurs sociaux se répercute également sur les commerçants et les petits entrepreneurs par le biais des effets de la baisse de la consommation.

Dans sa campagne démagogique contre le Revenu de citoyenneté, cette droite gouvernementale a cherché à manipuler la classe laborieuse en brandissant l’argument des «oisifs entretenus par ceux qui paient des impôts». Maintenant que l’opposition parlementaire a réussi à mettre en avant le problème de ceux et celles qui, bien que travaillant, sont toujours pauvres, le gouvernement (et en particulier la première ministre et son parti) n’a pas été en mesure de le contrer avec son arrogance habituelle.

Les contradictions de la droite gouvernementale

Des contradictions manifestes sont toutefois apparues parmi les alliés de la coalition gouvernementale, avec une opposition significative de Forza Italia [à sa tête se trouve Antonio Tajani], le parti le moins influencé par une base «populaire», et de la Lega de Matteo Salvini, dont l’électorat ouvrier et populaire se concentre dans le Nord, où les salaires sont plus élevés et mieux garantis par la négociation syndicale.

En fait, la droite peut compter sur le fait que dans l’Italie du XXIe siècle, les inégalités territoriales héritées du passé ont augmenté au lieu de diminuer.

Selon les données d’Eurostat pour 2021, au sein de l’Europe presque toutes les régions ayant moins de perspectives d’emploi se trouvent dans le sud de l’Italie: la Campanie, la Sicile, la Calabre, les Pouilles (et la Guyane française). Dans ces régions, le taux d’emploi entre 15 et 64 ans dépasse à peine 41%, alors que la moyenne italienne est de 58,2% et la moyenne européenne de 68,4%. Pour les femmes, la situation est encore pire, avec des taux d’emploi féminins ne dépassant pas 30% dans les régions du sud de l’Italie.

Le scandale des «travailleurs pauvres» sort le débat public de sa torpeur estivale [au Parlement, Elly Schlein du PD clama: «la pauvreté ne part pas en vacances»] et Giorgia Meloni suit avec inquiétude les résultats des nombreux sondages d’opinion qui tous attestent qu’une fraction importante de l’opinion publique (entre 70 et 75%) s’exprime en faveur de l’introduction d’un salaire minimum.

Mais Giorgia Meloni doit aussi tenir compte de l’opposition de ses alliés, ainsi que des associations patronales qui continuent de prétendre que l’instrument de défense des salaires est la négociation contractuelle, alors que le simple énoncé des faits démontre le contraire.

Pour ceux qui connaissent la bureaucratie syndicale italienne, il n’est pas surprenant que parmi les opposants à une loi sur le salaire minimum figurent des dirigeants de la CGIL, de la CISL et de l’UIL, qui affirment sans vergogne dans une note commune qu’une telle loi pourrait conduire à une «baisse des salaires et des protections pour les travailleurs». La direction de la CISL s’est explicitement prononcée contre cette loi. La CGIL et l’UIL sont plus embarrassées, compte tenu de la position prise par leur «parti de référence» (le PD d’Elly Schlein), et demandent plutôt à l’introduction de mécanismes d’incitation à la négociation contractuelle.

Ainsi, la majorité s’est recomposée avec le traditionnel choix propre à la «paléo-démocratie chrétienne» consistant à «prendre le temps», en approuvant, avec la formation de Matteo Renzi (Italia Viva), une motion qui reporte la discussion sur le sujet au mois d’octobre, alors que, selon toute vraisemblance, c’est au mois d’octobre que la question resurgira dans toute sa nature contradictoire (salaire minimum et négociations salariales contractuelles). La motion confie notamment la clarification du thème au Conseil national de l’économie et du travail (Consiglio Nazionale dell’Economia e del Lavoro-CNEL, organe consultatif prévu par la Constitution et composé d’experts en matière économique et de représentants des organisations syndicales et patronales). Le CNEL est actuellement présidé par un chantre du néolibéralisme, Renato Brunetta, ancien ministre des gouvernements Berlusconi et ministre pour l’Administration publique sous le gouvernement de Mario Draghi.

Afin de contourner la tactique de report adoptée par le gouvernement, les oppositions parlementaires ont choisi de développer pendant l’été une campagne de collecte de signatures (sur les places des villes et via le web) en faveur de leur proposition de loi. Elles ont recueilli plus de 200 000 signatures en quelques heures, démontrant ainsi l’impact de la proposition dans l’opinion publique. Mais il faut aussi souligner les aspects contradictoires et négatifs de cette proposition.

Il est proposé de fixer le salaire horaire minimum à 9 euros brut. Pour sa concrétisation les «partenaires sociaux» (patrons et syndicats les plus représentatifs) auront 18 mois pour se mettre d’accord sur les «modalités d’application». Le salaire minimum ne sera pas indexé sur l’inflation. Une «commission» (toujours composée des partenaires sociaux) sera mise en place pour examiner périodiquement l’évolution du coût de la vie et prendre des décisions à ce propos.

En outre, le différentiel entre le salaire actuellement payé au travailleur et le salaire minimum défini par la loi ne sera qu’en partie à la charge de l’employeur, tandis qu’une autre partie sera couverte par une «contribution» de l’Etat. Cela revient à dire que les salarié·e·s (dont les impôts couvrent plus de 80% du budget de l’Etat) autofinanceront l’augmentation des salaires les plus bas.

Mais le point faible de la proposition de la gauche parlementaire est d’ordre politique. Un thème pleinement utilisé par la droite dans sa contre-offensive. Les travailleurs et travailleuses pauvres et les salaires scandaleusement bas ne sont pas apparus il y a dix mois avec le gouvernement Meloni. Ils existent depuis des décennies et jamais le PD, qui a été au gouvernement presque sans interruption de 2011 à récemment, n’a souligné cette réalité comme relevant d’une urgence, et encore moins pris des mesures adéquates pour y remédier.

Cependant, l’affaire du revenu de citoyenneté et la campagne sur le salaire minimum sont en train de sortir de sa torpeur la gauche qui, dans ses différentes composantes, était, il y a encore quelques semaines, occupée à panser ses plaies après la défaite politique et électorale de septembre.

La coalition de l’Union populaire (composée du Parti de la refondation communiste et de Potere al popolo) a préparé une «loi d’initiative populaire» sur laquelle – y compris avec le soutien d’autres organisations comme Sinistra Anticapitalista – les 50 000 signatures requises par la norme légale sont en train d’être collectées.

Cette «loi d’initiative» résout certaines des faiblesses de la proposition du centre-gauche: elle fixe le salaire horaire brut minimum à 10 euros, en l’indexant automatiquement sur l’inflation et en le mettant entièrement à la charge des employeurs.

La CGIL de Maurizio Landini [secrétaire général depuis janvier 2019], pour sa part, a pris l’initiative de convoquer, avec une centaine d’associations, une manifestation nationale à Rome le 7 octobre «pour le travail, contre la précarité, pour la défense et l’application de la Constitution, contre l’autonomie différenciée (projet de forte différenciation entre les régions les plus riches et les plus pauvres) et le bouleversement de la République parlementaire (face à l’hypothèse présidentialiste du gouvernement Meloni)». Toutes les organisations et tous les partis de la gauche et du centre-gauche se sont joints à cette initiative.

Démagogie de la première ministre sur les «profits extra»

Ces derniers jours, certainement dans le but de détourner l’attention des médias de la question du salaire minimum, la première ministre a soudainement annoncé que les dits «profits extra» des banques, c’est-à-dire les gains plus élevés obtenus au cours de l’année écoulée grâce à des taux d’intérêt plus élevés sur les hypothèques et les prêts, seraient taxés à 40%.

Le journal «Sole 24 Ore» a révélé il y a quelques semaines qu’au cours du premier semestre de cette année, les six principales banques italiennes (Intesa San Paolo, UniCredit, Mediobanca, BPM-Banca Popolare di Milano, BPER-ex-Banca Popolare dell’Emilia Romagna et MPS-Banca Monte dei Paschi di Siena) ont augmenté leurs bénéfices de 60% par rapport à la même période de l’année dernière (qui avait déjà été une année dorée pour les banques), soit une augmentation de 11 milliards d’euros.

C’est la conséquence de l’augmentation des taux d’intérêt que les banques appliquent aux hypothèques et aux prêts, en raison des hausses décidées par la Banque centrale européenne [BCE qui, selon le Corriere della Sera du 17 août, met en garde le gouvernement Meloni contre une proposition faite sans concertation avec la BCE et la Banque d’Italie]. En bref, ces profits sont le résultat d’une sorte d’«échelle mobile» pour les capitalistes bancaires, très similaire à celle qui a été abolie pour les travailleurs et travailleuses il y a 30 ans.

En outre, les banques paient déjà beaucoup moins sur leurs bénéfices que ce que les travailleurs sont obligés de payer au fisc. Les recherches menées par l’Observatoire EuTax en septembre 2021 («Have European Banks left tax havens? Evidence from country-by-country data») illustrent très bien la situation fiscale favorable dans laquelle opèrent les grandes banques européennes (y compris les banques italiennes).

La proposition annoncée de manière retentissante par Giorgia Meloni n’a pas du tout été acceptée par le gouvernement, étant donné que quelques semaines auparavant, le ministre de l’Economie Giancarlo Giorgetti (Lega) avait déclaré au parlement: «Nous n’avons pas d’imposition sur les profits extra en préparation», niant par là même la possibilité de suivre l’exemple de ce qu’ont fait certains gouvernements européens, comme le gouvernement de l’Etat espagnol.

Il semble également que Giancarlo Giorgetti se soit engagé en ce sens, fin juillet, lors d’une réunion informelle avec le président de l’ABI (Associazione Bancaria Italiana). L’annonce surprise de la première ministre l’a évidemment plongé dans l’embarras, à tel point qu’il était absent de la conférence de presse à l’issue du Conseil des ministres du 7 août au cours de laquelle la mesure a été annoncée.

L’annonce a eu une forte répercussion sur les marchés boursiers des banques, qui ont «fait partir en fumée» 9 milliards de valeurs boursières le mardi 8 août, bien que cela ait été largement compensé par les hausses des jours suivants, suite aux clarifications du gouvernement qui a fortement reconfiguré la mesure.

La première ministre, dans une interview donnée conjointement le lundi 14 août aux trois plus grands quotidiens du pays (Corriere della Sera, La Repubblica et La Stampa), a répondu aux journalistes qui lui demandaient dans quelle mesure ses partenaires gouvernementaux avaient été impliqués dans la décision: «C’est une initiative que j’ai prise. C’est une initiative que j’ai prise, un point c’est tout.» Elle a ajouté: «Il y a peut-être eu une question de méthode. Il est plus facile de prendre une telle mesure si la nouvelle ne se propage pas trop, donc j’en assume la responsabilité politique. Tous les partis restent toujours extrêmement associés, il s’agit ici d’une affaire très spécifique et délicate sur laquelle j’ai pris la responsabilité de me prononcer.»

Cependant, on ne sait pas encore comment cette norme fiscale fonctionnera, et encore moins quel sera le montant des recettes attendues. Après les premières rumeurs qui faisaient état de recettes pour l’Etat de l’ordre de 9 milliards, les chiffres avancés ne dépassent pas les 2 milliards. On ne sait pas non plus à quoi serviront ces recettes fiscales «non anticipées»: le vice-président Matteo Salvini a déclaré qu’elles seraient utilisées pour «aider les familles en difficulté à contracter leur premier prêt immobilier» et pour couvrir les «réductions d’impôts concernant les familles et les entreprises», réductions que le gouvernement souhaite adopter dans le cadre de sa «réforme fiscale».

Cependant, l’initiative a eu le mérite de mettre en lumière les contradictions internes au sein de la majorité, en particulier entre l’aile la plus «populiste» (celle incarnée par la présidente Meloni elle-même et son adjoint Salvini) et l’aile plus traditionnellement néolibérale de Forza Italia (et le ministre Giancarlo Giorgetti lui-même).

Forza Italia critique ouvertement la proposition, la décrivant comme «illégitimement rétroactive» (parce qu’elle s’appliquerait aux bénéfices réalisés en 2022) et risquée pour la «crédibilité internationale» du pays.

L’initiative cherche à répondre à la contradiction permanente et concrète entre les deux points de référence pour l’action du gouvernement de droite, d’une part, les secteurs dominants de la bourgeoisie, dont le secteur bancaire constitue un élément essentiel et, d’autre part, la base sociale petite-bourgeoise qui a permis à la droite de gagner les élections de septembre dernier. Cette base est affectée par la crise, elle demande constamment des subventions et, simultanément, elle finance aujourd’hui, par le biais de la hausse des taux, les profits extra des banques et des grands capitalistes.

Contrairement aux gouvernements «techniques» [du type de ceux de Mario Monti ou Mario Draghi]  qui étaiemt largement insensibles à la recherche du consensus, le gouvernement Meloni a dû, depuis sa formation, jongler entre ces deux pôles de référence. Tant qu’il était possible de se limiter à l’instrumentalisation raciste des migrant·e·s ou à la culpabilisation des bénéficiaires du RdC, ses actions étaient plus aisées. Mais on a fait remarquer à Giorgia Meloni que les 11 milliards de profits extra accumulés par les banques en 2022 sont en grande partie un transfert de revenus des banques débitrices vers les banques créancières, de l’argent retiré aux petites entreprises et aux petits propriétaires.

Les petites entreprises, tant qu’elles le peuvent, répercutent cette hausse des coûts bancaires sur les consommateurs, mais lorsque la contraction de la consommation (demande) fait obstacle à la hausse des prix finaux, ce mécanisme ne fonctionne plus.

Giorgia Meloni et Matteo Salvini ont donc «inventé» la taxe sur les profits bancaires extra, pensant très probablement utiliser les ressources qu’ils en tireraient, peu ou prou, pour soutenir cette petite bourgeoisie «souffrante» indispensable à leur emprise électorale et politique.

Il y a encore quelques mois, cette droite s’appuyait sur les protestations des petits entrepreneurs affrontant la crise. Aujourd’hui, elle est au gouvernement et veut empêcher que de nouvelles mobilisations protestataires ne viennent ébranler sa base consensuelle. C’est ainsi qu’elle tente de résoudre la quadrature du cercle. La taxe sur les profits extra apparaît comme une sorte de Robin des Bois qui enlève quelque chose aux plus riches pour donner quelque chose aux moins riches. Les pauvres, eux, n’ont qu’à se débrouiller. (Article reçu le 17 août 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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