Des humanitaires de Gaza retrouvés morts et enterrés, les mains liées

Des humanitaires récupèrent les corps de secouristes, encore en uniforme, qui ont été tués alors qu’ils circulaient dans des véhicules clairement identifiés. Ils ont essuyé des tirs des forces israéliennes le 23 mars près de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Photo : OCHA

Par Tareq S. Hajjaj

A l’hôpital Nasser de Khan Younès, Taghreed al-Attar est assise à côté du corps de son mari, découvert vendredi dernier à Rafah. Son mari, Anwar al-Attar, était parti avec d’autres secouristes à Rafah la semaine précédente, mais personne n’était revenu.

Sa femme dit que lorsqu’ils ont perdu le contact avec lui, les gens lui ont dit qu’il avait été emprisonné par l’armée israélienne. Mais elle dit qu’il lui est apparu en rêve, et qu’elle l’a vu au paradis, entouré de rivières et de fruits. Elle ne pouvait pas croire qu’il était prisonnier.

«Il n’a jamais manqué le travail un seul instant depuis le début de la guerre. Il a été blessé trois fois, et tout le monde lui a demandé d’arrêter de travailler et de se reposer», dit Taghreed dans un témoignage vidéo à Mondoweiss. «Mais il a toujours dit qu’il devait être un modèle pour ses collègues et qu’il n’arrêterait jamais de travailler et de fournir des services à son peuple. Il a risqué sa vie, en pénétrant dans les décombres et en extrayant des martyrs. Je suis fière de lui et j’espère que nos enfants seront comme lui.»

Elle note qu’il lui parlait toujours des dangers qu’il affrontait, lui disant parfois que des drones quadricoptères les poursuivaient sans cesse et leur tiraient parfois dessus. Elle lui demandait s’il avait peur et il lui répondait que Dieu était avec lui.

«Anwar a trois filles, dont la plus jeune a quatre ans», dit sa femme.

Anwar Al-Attar avait été envoyé avec ses collègues de la Défense civile la semaine dernière en mission pour secourir une équipe d’ambulanciers de la Société palestinienne du Croissant-Rouge (SPCR) qui avait disparu, mais le contact avec lui et l’équipe de secours a également été rompu.

Le corps d’Anwar a été retrouvé enterré dans le sable quelques jours plus tard. C’était la première preuve que l’armée israélienne avait pris pour cible les équipes de la défense civile et de la PRCS à Rafah, a déclaré un porte-parole de la défense civile à Mondoweiss.

Quelques jours après la découverte du corps d’Al-Attar, les équipes de la défense civile qui avaient creusé dans la zone après avoir obtenu l’autorisation de l’armée israélienne ont trouvé 14 cadavres.

Le ministère de la Santé de Gaza a déclaré dans un communiqué le 30 mars que les corps appartenaient à huit ambulanciers de la SPCR, cinq membres de la défense civile et une personne dont l’identité reste inconnue. Le communiqué indiquait que les équipes avaient été «exécutées» et que «certains ont été retrouvés les mains liées».

Le ministère a ajouté que les corps des équipes de premiers secours portaient des traces d’exécutions délibérées. «Certains ont été abattus d’une balle dans la tête ou la poitrine et enterrés dans des trous profonds pour empêcher qu’on les retrouve», a déclaré le ministère.

Lors des funérailles d’Anwar al-Attar la semaine dernière, des membres de la défense civile ont fait leurs adieux à leur collègue décédé, les larmes aux yeux, et ont raconté à Mondoweiss, par le biais d’un témoignage vidéo, le dévouement d’Al-Attar à son travail. «Il a mené des actions humanitaires tout au long de la guerre, et sa mission était de récupérer les blessés et les martyrs sous les décombres», a déclaré Abdul Rahman Ashour, l’un des membres de la défense civile qui a récupéré le corps d’Al-Attar à Rafah.

«Le gilet et le casque d’Anwar, qui le désignent comme un travailleur de la défense civile, étaient perforés par plus de 20 impacts de balles», a déclaré Ashour à Mondoweiss. «Il a été touché à la tête et à la poitrine, ainsi que dans le bas du corps. Il a été brutalement assassiné.»

L’ambulance de la SPCR qui avait été envoyée à Rafah pour répondre aux appels de détresse avait pris feu après avoir essuyé des tirs de l’armée israélienne, a déclaré Ashour. C’est alors qu’Al-Attar et son équipe ont été dépêchés, partant avec un camion de pompiers et une autre ambulance à leur remorque.

«L’ambulance et les pompiers ont été directement pris pour cible», a ajouté Ashour, déclarant qu’al-Attar et ses collègues avaient été «exécutés sur le terrain».

Déroulement du massacre des premiers intervenants

Au cours de la semaine dernière, l’armée israélienne a mené des raids dans plusieurs zones de la bande de Gaza, notamment dans le quartier de Tal al-Sultan à Rafah, et plus précisément dans une zone à l’ouest communément appelée «al-Baraksat». Au cours des premiers jours du raid, les habitants ont raconté des histoires horribles d’exécutions de masse, de jeunes hommes rassemblés dans des fossés et abattus à bout portant, et d’enfants tués devant leur mère.

Plusieurs survivants qui ont réussi à quitter la zone ont répété ces affirmations à Mondoweiss, mais Mondoweiss n’a pas pu les vérifier à l’époque étant donné qu’aucun premier secours n’a été autorisé à atteindre la zone en raison du blocus serré imposé par l’armée israélienne. Depuis lors, de plus en plus de témoignages ont émergé de survivants et de premiers intervenants venus de la zone.

Marwan al-Hams, directeur des hôpitaux de campagne à Gaza, a déclaré à Mondoweiss par le biais d’un témoignage vidéo qu’ils avaient reçu des informations faisant état de «nombreux corps et parties de corps» découverts à Rafah. «Ce sont les restes d’un groupe de martyrs», a-t-il déclaré. «Les gens ont essayé de les récupérer, mais n’ont pas pu. Ils les ont juste recouverts de sable pour les empêcher d’être dévorés par les chiens errants.»

C’est dans ce contexte que des civils piégés à Tal al-Sultan ont lancé des appels de détresse à la SPCR et à la Défense civile dans la région de Rafah la semaine dernière. Deux véhicules ont été envoyés, et lorsqu’ils ont disparu, les deux véhicules dirigés par Anwar al-Attar sont partis à leur recherche.

Le sort de tous les équipages est resté inconnu pendant plus d’une semaine. Pendant cette période, le SPCR et la Défense civile ont tenté d’obtenir l’autorisation de l’armée israélienne pour entrer à Rafah et rechercher leurs collègues disparus.

Mahmoud Basal, porte-parole de la Défense civile dans la bande de Gaza, raconte que dès que l’équipe d’Attar est arrivée à Rafah, l’armée israélienne a fermé les entrées et les sorties de Rafah, assiégeant ainsi les premiers intervenants. C’est à ce moment-là que les communications ont été coupées, explique Basal.

«Nous avons demandé aux organisations internationales et à la communauté internationale de nous aider à coordonner notre action avec l’occupation pour pouvoir entrer dans la zone et connaître le sort de nos équipes», a déclaré Basal à Mondoweiss. «Pendant plusieurs jours, nous avons tenté de coordonner nos actions, mais l’occupation a catégoriquement refusé. »

Après de nombreuses demandes, la Défense civile, le Croissant-Rouge et le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) ont obtenu la permission de l’occupant le 27 mars.

«Nous sommes entrés à Rafah après de nombreuses souffrances, pour être surpris par l’ampleur du massacre qui s’y était déroulé», raconte Basal. «Les forces d’occupation ont ouvert le feu sur les véhicules du Croissant-Rouge et de la Défense civile. Les bulldozers israéliens ont même placé des barrières de sable sur la zone [où ils ont été enterrés], en modifiant complètement ses caractéristiques.»

«Tout indique que les forces d’occupation israéliennes ont exécuté les équipes médicales», poursuit Basal en ajoutant que, lors des recherches menées le 27 mars, les équipes ont identifié le corps d’Anwar al-Attar. «Nous avons essayé de localiser les autres, mais la nuit est tombée et nous a empêchés de compléter les recherches.»

Trois jours plus tard, les équipes de la Défense civile ont retrouvé le reste des équipes manquantes: 14 personnes ont été retrouvées enterrées, certaines avec les mains liées et présentant des signes de blessures par balle à la tête et à la poitrine.

Les équipes de la Défense civile et du Croissant-Rouge jouissent de l’immunité internationale et sont protégées par le droit international humanitaire, souligne Basal.

«Mais malheureusement, l’occupant a une expérience évidente des meurtres. Nous parlons de 105 martyrs de la Défense civile, qui bénéficiaient tous de l’immunité, mais l’occupation les a tués», dit Basal. «Cela démontre que l’occupant n’a pas de limites et ne respecte pas le droit international ou humanitaire.»

Une déclaration de l’armée israélienne à l’AFP indique que «quelques minutes» après que les soldats ont «éliminé plusieurs terroristes du Hamas» en ouvrant le feu sur leurs véhicules, «d’autres véhicules se sont approchés de manière suspecte des troupes». La déclaration ajoute que l’armée a tiré «sur les véhicules suspects, éliminant un certain nombre de terroristes du Hamas et du Jihad islamique».

L’armée a admis qu’une enquête initiale avait révélé que «certains» des véhicules étaient des ambulances et des camions de pompiers, ajoutant qu’elle condamnait l’utilisation de tels véhicules par des «organisations terroristes» à des «fins terroristes»!

Mahmoud Basal nie ces allégations, affirmant que l’occupant voulait dissimuler le crime en prétendant qu’il s’agissait de combattants du Hamas et du Jihad islamique. Il affirme que la Défense civile tient l’occupant israélien entièrement responsable du meurtre des équipes, de la violation du droit international humanitaire et du massacre du personnel médical et des premiers intervenants, qui se distinguent par leurs gilets orange.

«Ce gilet est approuvé par l’occupant israélien», dit Basal. «L’opération d’entrée [des équipes de secours à Rafah] était claire, mais l’occupant a commis le massacre et veut maintenant échapper à l’indignation.»

«Ce qui est arrivé à nos équipes est un véritable massacre et un crime dont l’occupation doit être tenue responsable par le monde libre et les organisations humanitaires», a ajouté Basal. «Cela a de graves répercussions, et le monde doit se rendre compte que ce qui s’est passé à Gaza est une violation flagrante du droit international humanitaire.» (Article publié sur le site OpenDemocracy le 4 avril 2025; traduction rédaction A l’Encontre)

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Une vidéo confirme une attaque délibérée

Une vidéo récupérée sur le téléphone portable d’un secouriste tué par les Israéliens avec d’autres en mars à Gaza, selon le Croissant-Rouge palestinien, montre leurs ambulances aux signes clairement reconnaissables et gyrophares allumés avec le bruit de tirs nourris.

Le 23 mars, 15 secouristes et personnel humanitaire ont été tués par des tirs israéliens à Rafah, dans le sud de Gaza, selon le Croissant-Rouge palestinien et l’ONU qui a dénoncé une «guerre sans limite» dans le territoire palestinien en proie à une guerre entre le Hamas et Israël.

Il s’agissait de huit membres du Croissant-Rouge palestinien, six membres de l’agence de défense civile de Gaza et d’un membre de l’ONU.

«Fosse commune»

Leurs corps ont été retrouvés le 30 mars enterrés sous le sable près de Rafah dans ce que le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha) a qualifié de «fosse commune» [voir la déclaration de Tom Fletcher, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence de l’OCHA].

Lors d’une conférence de presse vendredi à l’ONU à New York, le vice-président du Croissant-Rouge palestinien, Marwan Jilani, a indiqué que la vidéo avait été filmée avec un téléphone portable par l’un des secouristes tués, retrouvé avec son corps.

L’armée israélienne nie

L’armée israélienne «n’a pas attaqué (la moindre) ambulance au hasard» le 23 mars, a affirmé plus tôt cette semaine le porte-parole Nadav Shoshani, ajoutant que des soldats avaient ouvert le feu sur des «véhicules suspects» tous feux éteints.

Mais sur la vidéo obtenue par l’AFP, on voit des ambulances circuler, phares et gyrophares allumés.

En réponse à des appels de civils

Selon le Croissant-Rouge palestinien, le convoi avait été dépêché en réponse à des appels d’aide de civils pris au piège des bombardements à Rafah.

La vidéo, apparemment filmée depuis l’intérieur d’un véhicule en mouvement, montre un camion de pompiers rouge et des ambulances circulant dans l’obscurité.

Les véhicules s’arrêtent ensuite à côté d’un autre sur le bord de la route, et deux hommes, l’un portant un uniforme d’ambulancier et l’autre un gilet de secouriste, en sortent.

Quelques secondes plus tard, des tirs nourris éclatent et l’écran devient noir.

«Pardonne-moi maman»

On entend ensuite l’ambulancier en train de filmer réciter la déclaration de foi, la «shahada», traditionnellement prononcée par les musulmans avant la mort. «Il n’y a de Dieu que Dieu, et Mahomet est son messager», répète-t-il sans arrêt, la voix tremblante de peur.

Les tirs nourris continuent et on l’entend dire: «pardonnez-nous les gars, pardonne-moi maman car j’ai choisi cette voie, celle d’aider les gens.»

Il ajoute ensuite et à plusieurs reprises: «Dieu, acceptez mon martyre et pardonnez-moi.» Et juste avant la fin de la vidéo et alors que les tirs continuent, il dit: «Les juifs arrivent, les juifs arrivent», en référence aux soldats israéliens. (Source LFM, ATS/AFP)

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