Par Fernando Molina
L’autodestruction du Mouvement vers le socialisme (MAS) bolivien en raison de la lutte entre ses deux dirigeants, Evo Morales [président de l’Etat plurinational de Bolivie de janvier 2006 à novembre 2019, et président du MAS de 1997 à novembre 2024] et Luis Arce Catacora [président depuis le 8 novembre 2020, ancien ministre de l’Economie sous Evo Morales], un processus qui se déroule péniblement depuis trois ans, aura des effets dévastateurs sur les élections présidentielles d’août 2025. Ces élections seront les premières, depuis 2005, où ce mouvement politique ne sera plus le favori. Les premières où un secteur de l’opposition traditionnelle aura une chance d’accéder au pouvoir. Pour certains, ce seront les premières élections d’un «nouveau cycle historique», comme l’a défini Samuel Doria Medina, l’entrepreneur et candidat du Bloque de Unidad, qui comprend également l’ancien président Jorge «Tuto» Quiroga et Luis Fernando Camacho [gouverneur de Santa Cruz depuis 2021, ancien leader du Comité civique pro-Santa Cruz].
Il est évident que cette trajectoire coïncide avec le «virage à droite (extrême)» que commence à connaître le continent, avec Donald Trump humiliant les Latinos au nord et Javier Milei vociférant des slogans homophobes au sud. Ces deux personnages, surtout le second, servent de modèle à certains candidats boliviens. Mais les causes internes et plus profondes de la nouveauté que ces élections représenteront par rapport au climat politique des deux décennies précédentes sont autres. Tout d’abord, la scission du MAS [en automne 2024] en deux parties et – par un de ces hasards qui n’en sont pas vraiment – l’échec parallèle de la stratégie étatiste de ce parti pour gérer les ressources naturelles du pays.
Commençons par ce dernier point. Cet échec s’est manifesté en février 2023, lorsque les Boliviens ont découvert que les réserves de devises de la Banque centrale s’étaient volatilisées. Il a alors été révélé que n’avait pas été tenue la principale promesse avec laquelle le gouvernement avait justifié la nationalisation du gaz en 2006 et le «modèle économique social communautaire productif» qu’il avait construit à partir de cette date, à savoir que les revenus du sous-sol resteraient dans le pays. L’incroyable excédent de devises de la période de prospérité (2006-2014), qui a atteint 630 000 millions de bolivars (90 000 millions de dollars, dix fois le PIB de la Bolivie lors de l’époque précédente), s’est dissipé en raison de la croissance des importations, de la fuite des capitaux, de l’augmentation des dépenses publiques et du manque de mesures progressistes de pointe – ou «de deuxième génération» – qui auraient permis de combler les failles de l’économie par lesquelles le revenu s’échappait. Il restait un volume important d’infrastructures, bien que pas tout à fait fonctionnelles, mais le train de vie que le pays menait est devenu brusquement insoutenable.
Il fallait «ajuster» l’économie, ce que le président Luis Arce a refusé de faire et qu’il est déjà clair qu’il ne fera pas avant la fin de son mandat en octobre de cette année. Cette décision ne lui a cependant pas été d’une grande utilité, car 88% de la population qualifie la situation économique de «mauvaise», «très mauvaise» ou «moyenne» (le pire résultat régional)[1], dans un contexte où la crise socio-économique est la préoccupation majeure des Boliviens. Dans le même temps, 87% d’entre eux souhaitent «aller dans une direction très différente de celle placée sous la direction du gouvernement d’Arce».
Cela s’est reflété dans les intentions de vote. Dans la série de sondages les plus sérieux publiés jusqu’à présent, Luis Arce ne recueille que 2% des voix, soit dix fois moins qu’Evo Morales, qui bénéficie de son «vote dur» rural, mais qui, avec environ 20%, est également très loin de ses résultats passés, après avoir perdu le soutien de la classe moyenne urbaine émergente qui le soutenait auparavant. En somme, c’est un désastre pour les deux. Il faut ajouter à ce tableau que pour le MAS, il est déjà pratiquement impossible de gagner un second tour électoral, qui est prévu par la Constitution depuis 2009 mais qui n’a jamais eu lieu jusqu’à présent. Par conséquent, même si la fragmentation de ce qui est en dehors et en opposition au MAS conduisait à ce que l’un des ailes de ce dernier se place entre les deux candidats les plus votés au premier tour, les pronostics pencheraient en faveur du candidat rival, même s’il était le moins bien placé d’entre eux. Face à la faiblesse du MAS, un opposant comme «Tuto» Quiroga [président de la République du 7 août 2001 au 6 août 2002, et vice-président sous la présidence de Hugo Banzer, d’août 1997 à août 2001], Samuel Doria Medina [vice-président de l’Internationale socialiste depuis avril 2023] ou encore le maire de Cochabamba, Manfred Reyes Villa, se passionnent pour incarner «l’anti-masisme», tandis que le millionnaire Marcelo Claure cherche à jouer, à l’échelle locale, un rôle similaire à celui d’Elon Musk lors de l’élection américaine.
C’est la conclusion qu’avait pronostiquée en août 2023 l’ancien vice-président et principal théoricien du «processus de changement», Álvaro García Linera, le seul dirigeant important à s’être tenu à l’écart de la lutte fratricide qui se déroule dans le camp indigène et populaire: «Divisé, le MAS peut perdre au premier tour», avait-il alors déclaré[2]. A quoi Andrónico Rodríguez, le jeune président du Sénat et, pour certains, l’héritier naturel de Morales, a répondu par la suite: «dans un an, nous serons frustrés, déçus, exilés et soudainement emprisonnés»[3]. Andrónico, comme tout le monde l’appelle, a cherché, jusqu’à présent sans succès, à être le candidat présidentiel de l’ensemble du MAS, et pas seulement de la faction «evista».
Si l’on considère que le MAS a été le parti le plus puissant de l’histoire de la Bolivie et le seul à avoir réussi à réunir presque toute la gauche bolivienne, rassemblant des trotskistes aux postmarxistes derrière un projet national-populaire qui présentait les indigènes comme le sujet de la révolution démocratique, la question qui se pose est la suivante: qu’est-ce qui l’a conduit à cette situation?
Le système «caudilliste»
Pour comprendre cela, il faut tenir compte du fait que le système politique bolivien est fortement personnalisé ou «caudilliste». Il s’agit d’un héritage très ancien, d’abord précolombien puis colonial, qui s’est consolidé au fil du temps en raison de la faiblesse des institutions démocratiques et de la «dépendance à l’emploi» ou de la dépendance à l’égard des fonctions publiques pour obtenir une ascension socio-économique dans un pays où il y a peu d’entreprises privées modernes et où 80% de l’économie est informelle.
Cela ne signifie pas que les facteurs sociologiques et idéologiques n’interviennent pas dans la politique bolivienne, mais simplement qu’ils s’expriment à travers les figures de proue. Les véritables groupes politiques efficaces se composent des réseaux d’adhérents d’un leader. Les partis sont composés de ces réseaux et, lorsqu’ils sont de grande taille, de coalitions de ces réseaux qui ont tendance à se diviser à long terme parce que la loyauté des membres n’est pas directement envers l’institution, mais envers leurs chefs respectifs. Dit de manière axiomatique: chaque leader génère un réseau de partisans personnels autour de lui. Mais l’inverse est également vrai: chaque réseau ne peut avoir qu’un seul leader (sinon ce serait un réseau institutionnel, et non personnalisé). Donc, si le chef tombe, le réseau tout entier perd son pouvoir. Il s’agit d’une forme d’organisation populiste, au sens d’Ernesto Laclau: le nom du chef est le symbole qui représente et articule les différentes revendications des acteurs politiques, qui sont des demandes de pouvoir, et, en second lieu, également des revendications de secteurs de l’électorat[4].
Il en découle plusieurs attitudes: 1° la difficulté pour le caudillo de renoncer à son statut, car cette décision aurait des répercussions sur l’ensemble de son courant politique; 2° la tendance à éliminer le rival par des jeux du «tout ou rien» ou l’absence d’accords institutionnalisés gagnant-gagnant; 3° la propension de certains, ainsi que la résistance de certains autres, à la réélection présidentielle et 4° la difficulté de toute succession (par exemple, l’histoire de la Bolivie ne compte aucun cas de dauphinage/succession réussi)[5].
Entre 2006 et 2019, Evo Morales a incarné le mouvement indigène et populaire, le modèle économique extractif et redistributif, le «grand Etat». Il a incarné la gauche, le nationalisme et même la nation. C’est-à-dire que c’est lui qui a donné un caractère personnel à l’hégémonie du projet révolutionnaire[6]. On a même observé des symptômes de culte de la personnalité, comme la pratique de baptiser des bâtiments et des institutions du nom du président ou même de ses parents, la construction d’un musée pour l’honorer dans son village natal, Orinoca, ou l’octroi (parfois l’auto-octroi) à Morales d’un grand nombre et d’une grande variété de titres honorifiques. Le plus récent était celui de «commandant» du MAS, un «titre» qui, paradoxalement, ne lui appartenait pas lorsqu’il était un président puissant.
Après son renversement le 10 novembre 2019, toute cette puissance personnelle qui était énorme et semblait incontestable s’est dissipée comme la brume matinale et plus rien n’a été pareil par la suite. Le MAS a réussi à transcender partiellement Morales, car il est revenu au pouvoir en octobre 2020, après une victoire électorale écrasante, avec 55% des voix, sans l’ex-président à sa tête. Mais celui qui est vraiment revenu au pouvoir à ce moment-là n’était pas l’organisation ou l’appareil MAS, mais un nouveau caudillo appelé Luis Arce et son entourage, qui, ce n’est pas un hasard, était issu de l’antagonisme avec l’entourage d’Evo.
On s’attendait à ce qu’à partir de ce moment, Arce devienne le détenteur de l’hégémonie et mette sa propre marque personnelle sur la nouvelle conjoncture, moins favorable mais toujours prometteuse pour la gauche. Le MAS n’était doté d’aucun mécanisme, règlement ou habitude institutionnelle qui aurait permis que les choses se passent autrement. Dans cette mesure, il n’y avait plus de place pour Morales. La seule façon d’éviter la scission, qui a commencé à se dessiner pendant la campagne électorale, aurait été que Morales se retire de la vie politique active. Mais dans ce cas, son entourage, le réseau caudilliste qui dépendait de lui, aurait disparu, ce qui aurait signifié la fin de la carrière de ses camarades. C’était donc une issue très improbable, et elle l’a toujours été. Malgré les apparences, le caudillisme est un phénomène collectif. De plus, il faut tenir compte des facteurs psychologiques. La lecture des meilleures biographies de Morales permet de découvrir que sa personnalité est de celles qui triomphent dans les systèmes caudillistes, avec des penchants pour le narcissisme et la mégalomanie[7]. Morales n’a jamais voulu démissionner, même s’il a évoqué cette possibilité à quelques reprises[8]. Sa vie n’a eu qu’un seul sens: sa réélection, c’est-à-dire le renouvellement du pouvoir. Il est le caudillo le plus parfait que la Bolivie ait eu depuis Víctor Paz Estenssoro (chef de la Révolution nationale de 1952, puis président de 1952 à 1956 et trois fois ensuite) ou peut-être depuis toujours.
Une fois que deux caudillos ont fait leur apparition sur la scène publique, brandissant les mêmes drapeaux idéologiques – Evo et Lucho –, revendiquant le même espace politique et électoral et pesant de manière égale sur les élections à venir, la seule possibilité qui restait était celle qui s’est finalement produite: la collision. L’un des deux devait vivre; l’autre, mourir. Au sens figuré, oui, mais aussi, pourquoi pas, au sens propre.
Evo Morales au pied du mur
Le 27 octobre 2024, un commando de la police a tenté d’arrêter l’ancien président Morales alors qu’il se rendait, très tôt le matin, de son domicile dans le village de Villa Tunari à la ville de Lauca Ñ, où se trouve la radio Kausachum Coca, qui diffuse l’émission dominicale de l’ancien président. Les deux localités sont voisines et se trouvent dans le Chapare, une zone subtropicale de cocotiers et bastion historique de Morales.
A ce moment-là, les cultivateurs de coca bloquaient les routes pour exiger l’habilitation électorale de Morales, après l’interdiction de participer décidée en décembre 2023 par une chambre du Tribunal constitutionnel associée au pouvoir. Peu de temps avant leurs barrages, les «évistas» avaient marché du sud du haut plateau bolivien jusqu’à La Paz, dans le but, à demi avoué, de créer les conditions pour renverser le président Arce ou, du moins, le mettre au pied du mur pour qu’il accepte l’habilitation électorale de leur leader.
S’il a été tenté de l’arrêter, c’est parce que, dans le contexte de la marche en question, Morales avait été accusé par le parquet de «viol aggravé avec incitation à la prostitution». Selon la plainte, il avait eu une fille avec une adolescente de 15 ans dans la ville frontalière de Tupiza, en 2016, alors qu’il était président et avait 57 ans. La descente de police ce matin-là n’a pas été très efficace et les voitures de Morales ont réussi à échapper aux véhicules qui voulaient leur barrer la route. Pendant leur fuite, ils ont été abattus. Une assistante de l’ancien président l’a filmé pendant la fuite, alors qu’il était accroupi sur le siège du passager, aux côtés d’un chauffeur qui continuait à conduire malgré ses blessures. Par la suite, les autorités gouvernementales ont indiqué que Morales et son entourage avaient dépassé un barrage de police et avaient tiré sur la police. Les évadés ont d’abord affirmé qu’il s’agissait d’une arrestation ratée, mais ont ensuite changé de version et ont commencé à dénoncer une prétendue «tentative d’assassinat».
La vérité se situe probablement entre les deux. La police a tenté d’arrêter Morales par la force, comme elle l’avait fait deux ans auparavant, avec plus d’habileté, avec un autre homme politique défendu par son peuple, le gouverneur de Santa Cruz Luis Fernando Camacho, accusé d’avoir dirigé les manifestations qui ont abouti à la chute de Morales en 2019. Camacho est toujours en prison. Dans le cas de Morales, la tactique n’a pas fonctionné. L’une des balles aurait très bien pu mettre fin à sa vie, auquel cas la lutte fratricide se serait terminée par un dénouement aux résonances macbethiennes et le spectre du leader indigène assassiné continuerait probablement à réclamer vengeance jusqu’à aujourd’hui.
Morales n’a pas disparu physiquement, mais le gouvernement cherche à le faire disparaître symboliquement. Quelques jours après ce que nous venons de raconter, il a été contraint de suspendre plus d’un mois de barrages routiers sans avoir obtenu de résultat. Et l’accusation de viol lui a fait beaucoup de tort sur le plan politique. C’est avant tout pour cette raison qu’elle a été lancée, et non parce que quelqu’un s’intéressait à la présumée victime, qui, au contraire, se trouve aujourd’hui dans une situation pire qu’avant: dans la clandestinité et persécutée par le Ministère public et le gouvernement, qui veulent lui arracher des aveux compromettant l’ancien président.
Pendant ce temps, Morales est de fait confiné dans sa forteresse de Chapare – où il est protégé d’une hypothétique opération commando de la police par une garde personnelle de cultivateurs de coca et de militants de gauche – car il serait arrêté partout ailleurs. Il a essayé de prendre la chose avec humour. Il a déclaré qu’on lui avait rendu service en le confinant, car maintenant il n’a plus à rendre visite aux gens, mais c’est eux qui viennent le voir, ce qui lui a permis de gagner en productivité.
D’autre part, Morales s’est retrouvé sans parti. La faction du président Arce a obtenu le contrôle du MAS en novembre de l’année dernière, grâce à une décision de la même chambre du Tribunal constitutionnel qui a également invalidé la candidature du leader cocalero, et sans tenir compte de l’avis des autorités électorales. Après avoir perdu le parti qu’il a fondé dans sa version actuelle en juillet 1997 et qui lui a permis d’accéder au pouvoir et d’y rester plus longtemps que tout autre homme politique bolivien, Morales a dû conclure un accord avec une autre organisation, le Front pour la Victoire (FPV), qui a accepté de le présenter comme son candidat présidentiel «invité», tandis que les évangéliques se désaffiliaient massivement du MAS. Sa candidature est un acte de volonté avant d’être un fait, car, comme nous l’avons vu, le Tribunal constitutionnel a fixé deux mandats comme limite intangible pour toutes les autorités élues du pays (bien que la Constitution autorise la réélection présidentielle non consécutive sans limite de mandats). Cela rend impossible l’inscription et la participation de Morales aux élections à venir, comme l’a déjà anticipé le président du Tribunal électoral[9].
«Nous serons sur le bulletin de vote!», a insisté Morales sur le réseau X. Dans cette hypothèse, celle d’être sur le bulletin de vote quoi qu’il arrive, il est parvenu à un accord avec le FPV, dont les caractéristiques précises sont inconnues. Ce parti appartient à une famille de politiciens et a par le passé été remis à des candidats aux idéologies les plus diverses, profitant du fait qu’il dispose de la personnalité juridique électorale, difficile à obtenir en Bolivie. Il a été critiqué comme étant une «affaire de famille», ce que son président, Eliseo Rodríguez, a nié. Le parti, qui va maintenant habiller Evo Morales de ses couleurs, a quelques affaires juridiques en cours avec le Tribunal électoral. Il est possible que le pouvoir en place cherche à obtenir un veto électoral pour le FPV, ce qui obligerait l’ancien président à chercher une autre organisation prête à l’accepter.
Le refus de Morales d’être remplacé par quelqu’un d’autre contribue à la stratégie des officiels pour améliorer les intentions de vote en faveur d’Arce en s’assurant que le président soit la «seule option de gauche» aux élections.
Un jeu perdant-perdant
Evo Morales se bat avec acharnement pour ne pas sombrer, mais la volonté ne lui suffit plus, car il ne s’affronte plus, comme dans les années 1990, aux dirigeants du néolibéralisme qui finissaient toujours par tomber dans ses pièges ou par le victimiser. Aujourd’hui, il doit faire face à ses anciens compagnons, qui ont également des racines et un instinct populaires, qui le connaissent très bien et savent donc sur quoi l’attaquer. Et surtout, il doit affronter pratiquement seul toute la machinerie du pouvoir avec ses trois têtes: la politique étatique, la justice, les médias. Il subit l’attaque combinée du gouvernement d’Arce et de l’élite traditionnelle bolivienne, qui le déteste autant que le premier. Il semble difficile qu’il parvienne à survivre politiquement à une telle attaque.
Arce semble avoir conservé de meilleurs atouts, mais il ne pourra pas nécessairement les jouer. Dans les conditions actuelles, après le faux pas embarrassant et dangereux qu’il a déjà commis, il est très difficile pour lui d’emprisonner Morales. Ce dernier a complètement rejeté la possibilité de s’exiler à nouveau, comme il l’a fait en 2019 au Mexique et en Argentine. Ainsi, la victoire annoncée d’Arce sur l’échiquier s’est transformée, au fil du temps, en une situation de pat, ce qui, comme on le sait, équivaut à une partie déclarée nulle.
Comment se présentera-t-il à sa réélection si son soutien électoral est si faible et que les problèmes économiques s’aggravent avec le temps?
La crise économique continue de nuire à son image. Les files d’attente pour acheter de l’essence et du diesel sont revenues après le carnaval, ce qui aggrave le malaise des citoyens et citoyennes. L’inflation des deux premiers mois de cette année a été de 3,4%, soit le même taux que celui qui était généralement observé pendant toute une année avant l’essor du modèle économique. Personne ne sait s’il pourra continuer à fournir à l’économie les intrants dont elle a besoin, ni s’il pourra payer les échéances de la dette de cette année. On dit ces jours-ci que «le même aveuglement qui pousse Evo à croire qu’il pourra se présenter aux élections, pousse Arce à croire qu’il peut les gagner». La dernière chose qui se perd, c’est l’espoir.
Chacun des deux dirigeants a prédit que la carrière de l’autre se terminerait mal. Qui sait. Une chose est sûre, cependant: tous deux, au-delà de leurs réalisations passées, seront responsables – si les choses continuent ainsi – d’une défaite cuisante de la gauche bolivienne, dans le présent et l’avenir immédiat, une gauche hégémonique dans le pays depuis deux décennies. (Article publié dans la revue Nueva Sociedad, avril 2025; traduction rédaction A l’Encontre)
Fernando Molina est l’auteur de divers ouvrages sur la Bolivie, notamment Historia contemporánea de Bolivia (Gente de Blanco, Santa Cruz de la Sierra, 2016) y El racismo en Bolivia (Libros Nóadas, La Paz, 2022).
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- Latinobarómetro: Rapport Latinobarómetro 2024, disponible sur www.latinobarómetro.org. Une étude qualitative de la Fondation Friedrich Ebert montre que 89,6% des personnes interrogées pensent que le pays est sur la «mauvaise voie». «Le rapport Delphi indique que 89,6% des personnes interrogées pensent que le pays est sur la mauvaise voie» dans La Razón, 18/2/2025.
- Dans No mentirás, RTP, 21/8/2023.
- Boris Góngora: «Andrónico: Estamos en ‘grave y alto riesgo’ de perder las elecciones si no nos unimos» dans La Razón, 29/1/2025.
- E. Laclau: La razón populista, FCE, Mexico, 2010.
- F. Molina: La culture politique bolivienne, Editorial del Estado, La Paz, 2023.
- Fernando Mayorga: Mandato y contingencia. Estilo de gobierno de Evo Morales, Fondation Friedrich Ebert, La Paz, 2019, disponible sur https://library.fes.de
- Martín Sivak: Jefazo. Retrato íntimo de Evo Morales, Debate, Buenos Aires, 2009 et Vértigos de lo inesperado. Evo Morales: el poder, la caída y el reino, Plural, La Paz, 2024.
- Arce a déclaré que Morales était obsédé par la réélection dès son retour au pays après son exil. Susana Bejarano: «Entrevista exclusiva al presidente de Bolivia Luis Arce: ‘No vamos a acudir al FMI; no entiende cómo funciona cada país’» dans Diario Red, 31/8/2024.
- «Hassenteufel: El TSE debe acatar el fallo que inhabilita a Evo» dans Correo del Sur, 13/11/2024.
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