France. Face aux ravages de l’austérité

austerite3Par Michel Husson

Quels sont les principes sur lesquels s’appuient les politiques d’austérité, salariale et budgétaire, menées en Europe ?

Le premier postulat est que l’austérité budgétaire est nécessaire pour résorber les déficits publics. Les économistes de la Commission européenne ont même inventé le concept baroque d’« austérité expansionniste » pour démontrer que des baisses de dépenses publiques pourraient être compensées par un surcroît d’activité dans le secteur privé. En réalité, les politiques d’austérité budgétaire menées partout en Europe n’ont fait qu’étouffer la petite reprise qui se dessinait en 2010 et enfoncer l’Europe dans un contexte récessif.

Le deuxième grand postulat est que la reprise devrait être fondée sur une politique « de l’offre » visant à rétablir la compétitivité par une baisse des coûts du travail direct ou socialisé : gel ou baisse du « coût du travail », un « minimum de salaire minimum », et des réformes dites « structurelles » (flexibilisation du marché du travail, réformes des retraites et « maîtrise » des dépenses de santé).

En France, nous avons eu droit à une réforme des retraites (pour « rassurer » les marchés financiers), une loi sur la « sécurisation de l’emploi » (l’ANI) destinée surtout à sécuriser le patronat qui prétend qu’il n’embauche pas de peur d’avoir ensuite du mal à licencier. Les ruptures conventionnelles ont explosé, plus de 80 % des embauches se font en CDD (et les deux tiers sur CDD de moins d’un mois !). Le CICE (Crédit emploi compétitivité emploi) puis, plus récemment, le pacte de responsabilité, se traduisent par un cadeau d’au moins 30 milliards aux entreprises, sans contreparties ni conditions, en croisant les doigts pour que cet argent serve à créer des emplois plutôt qu’à augmenter les dividendes. Les cotisations sociales vont être à nouveau « allégées » et totalement annulées au niveau du SMIC. Elles vont même être réduites pour les bas salaires.

Est-ce que cela relance l’économie ?

Tout cela n’a jamais fonctionné. Les pertes de parts de marché de la France sont bien réelles mais ne peuvent être expliquées par un « coût du travail » trop élevé, comme le reconnaît même le fameux rapport Gallois. Les 50 milliards de baisses des dépenses publiques annoncées auront un effet sur la croissance, comme les précédentes coupes, elles se traduiront par de nouvelles baisses de recettes. Or 70 % des entreprises françaises répondent à l’Insee qu’elles ont des difficultés de demande ou pas de difficultés. Comme le dit très simplement Jean-François Roubaux, président de la CGPME : « encore faut-il que les carnets de commande se remplissent ».

Bref, tout cela paraîtrait absurde si l’objectif était vraiment de relancer l’activité et de réduire le déficit public. En réalité, l’objectif immédiat n’est pas vraiment celui-là : il s’agit de profiter de la crise pour appliquer brutalement les politiques néolibérales et rétablir la rentabilité des entreprises, en jouant à fond le jeu de la concurrence. Cette thérapie de choc est l’une des réponses possibles à la crise : faire payer la facture à celles et ceux qui n’en sont pas responsables et réduire autant que faire se peut l’Etat social.

Quelles alternatives à ce moins-disant social ?

Il y a une autre réponse possible qui passe par un refus des postulats néolibéraux. Le premier verrou à faire sauter, c’est celui de la contrainte budgétaire : en annulant la partie de la dette qui n’est rien d’autre que le cumul des cadeaux fiscaux passés, « renationaliser » la dette en la finançant ailleurs que sur les marchés financiers[1], suivre la suggestion… du FMI d’une taxe à un coup sur les patrimoines des plus riches.

Le second verrou à faire sauter, c’est la ponction actionnariale sur la richesse produite. Sur très longue période, la part des cotisations sociales et celle des dividendes nets varient en sens inverse : la montée de l’Etat social s’était faite au détriment des actionnaires, sa remise en cause se fait à leur profit (voir graphique).

Source : Insee [2]
Source : Insee [2]
Il serait alors possible de créer des emplois selon deux principales voies. Dans le secteur privé, la réduction de la durée du travail a, contrairement au discours patronal, fait ses preuves : près de deux millions d’emplois ont été créés entre 1997 et 2002, une spectaculaire marche d’escalier qui n’a pas été redescendue ensuite. Donc plus d’emplois, moins de dividendes[3].

Dans le secteur public, il faut reprendre la formule de l’économiste américain Minsky qui proposait de faire de l’Etat « l’employeur en dernier ressort »[4]. C’est évidemment inconcevable pour les partisans de l’austérité, mais il est pourtant facile de faire le calcul suivant : au lieu de faire cadeau à l’aveuglette de 30 milliards aux entreprises, pourquoi ne pas créer un million d’emplois publics ? L’Institut Montaigne, que l’on ne peut soupçonner de minimiser la « charge » des fonctionnaires évalue à 28,3 milliards le coût d’un million d’emplois publics[5] (Cet article de Michel Husson a été écrit pour le numéro «spécial salaires» de la revue du SNEP-FSU – Syndicat national des écoles publiques – Fédération syndicale unitaire, 10 avril 2014)



[1] Gaël Giraud, « Renationaliser la dette publique française », 2013, http://gesd.free.fr/ggiraud13.pdf

[2] Voir « Les cotisations sont une « charge », mais pas les dividendes ? », note hussonet n°72, 3 mars 2014, http://hussonet.free.fr/cotsoc14.pdf

[3] Michel Husson et Stéphanie Treillet, « La réduction du temps de travail : un combat central et d’actualité », ContreTemps n°20, 2014, http://hussonet.free.fr/rttct20.pdf

[4] Cédric Durand et Dany Lang, « L’Etat employeur en dernier ressort », Le Monde, 7 janvier 2013, http://gesd.free.fr/empminsky.pdf

[5] « Créer 60 000 postes dans l’Education nationale », http://goo.gl/5QB5O7

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