La veille de la deuxième mobilisation d’ensemble, le mardi 31 janvier, face à la contre-réforme des retraites du gouvernement Macron, nous publions ci-dessous deux contributions de Jean-Marie Harribey, un appel de l’Union syndicale Solidaires, ainsi qu’un article du NPA (Nouveau Parti anticapitaliste). Pour établir un lien entre la mobilisation du 19 janvier et celle du 31 janvier, nous reproduisons le «Ouvrez les guillemets» d’Usul, vidéo présentée sur Mediapart le 26 janvier. (Réd. A l’Encontre)
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«En amont de la retraite, le travail»
Par Jean-Marie Harribey
La réforme des retraites d’Emmanuel Macron est non seulement injuste, elle est aussi absurde: travailler plus longtemps sans changer le travail est une aberration.
La réforme des retraites est une attaque en règle contre le travail. A trois dimensions. La première est de faire travailler deux ans de plus tout le monde, et même davantage ceux ayant commencé à travailler tôt. Deux ans de plus comme punition pour avoir gagné un mois d’espérance de vie par an depuis une décennie.
Si la baisse du nombre d’actifs par rapport aux retraités est un argument pertinent, pourquoi faire travailler ceux qui ont déjà un emploi, alors qu’il y a 5,5 millions de chômeurs? Pourquoi le taux d’emploi des femmes resterait indéfiniment inférieur de 8 points à celui des hommes? Comment le recul de l’âge de la retraite pourrait-il créer un seul emploi supplémentaire pour les seniors, sauf à supposer que le chômage résulte de leur choix?
La deuxième dimension est plus sournoise. 57% des personnes seulement passent directement de l’emploi à la retraite; les autres connaissent au moins une année sans travail entre 50 et 67 ans (Drees-Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, 2021) et 16% des plus de 53 ans ne sont ni en emploi ni en retraite.
Il existe donc un sas de pauvreté dans lequel les seules ressources des individus sont le RSA (revenu de solidarité active) ou une allocation d’invalidité. Avec la réforme des retraites, ce sas s’élargira, d’autant plus que les réformes de l’assurance-chômage réduisent les allocations et leur durée. La pension minimale à hauteur de 85% du Smic net ne concernera que les carrières complètes.
La troisième dimension atteint le comble de l’absurdité. Faire travailler plus pour produire plus! Mais produire quoi? Augmenter la durée du travail de chacun va totalement à l’encontre d’une réelle transition écologique. Alors qu’il faudrait saisir l’occasion de la crise pour transformer les processus productifs, les finalités du travail et les conditions de celui-ci, la fuite en avant tient lieu de planification! Qu’est-ce donc qui agite un président «découvrant» le réchauffement du climat?
C’est la volonté de ne pas toucher aux avantages de la classe qui domine tout et s’approprie une grande part des richesses. Aussi, la seule véritable mesure qui éviterait un déficit des retraites, au demeurant modeste, serait d’augmenter les cotisations. Horreur pour un gouvernement qui entend réduire les pensions pour réduire les dépenses publiques et qui professe de faire reposer tous les efforts sur le travail et aucun sur le capital. Quoi qu’il en coûte au travail.
Or, comme on ne peut plus fonder un modèle social sur une croissance forte de la productivité du travail, la réduction des inégalités devient un impératif catégorique [1]. C’est la seule manière de résoudre conjointement les questions sociale et écologique, c’est-à-dire d’enclencher simultanément la réhabilitation du travail et la redéfinition de ses finalités. Travailler plus longtemps sans changer le travail [2] est une aberration. (Article publié dans l’hebdomadaire Politis, en date du 25 janvier 2023, un hebdomadaire à soutenir)
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[1] Voir le chiffrage: «?Des retraites soutenables socialement et écologiquement?»,
11 janvier 2023.
[2] Il est possible de lire à ce propos le récent ouvrage de Thomas Coutrot et Coralie Perez, Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire, Ed. du Seuil, La république des idées, septembre 2022. (Réd. A l’Encontre)
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Quelle sera la pension minimum?
Par Jean-Marie Harribey
Un certain flou a entouré la promesse de la Première ministre, Elisabeth Borne, d’une pension minimum de (ou près de) 1200 euros par mois, c’est-à-dire à hauteur de 85% du Smic net pour ceux qui auront eu une carrière complète.[1]
La communication du gouvernement
Dans le dossier de presse présenté par Elisabeth Borne le 10 janvier 2023 [2], on lit: «Nous voulons garantir que celles et ceux qui ont travaillé toute leur vie puissent toucher au moins 85% du SMIC net par mois.» (p. 2) Puis: «Avec la réforme, la pension de retraite pour une carrière complètement cotisée au SMIC ne pourra être inférieure à 85% du SMIC net, soit environ 1200 € brut par mois. C’est plus de 200 € de plus que le minimum vieillesse.» (p. 9)
Dans l’Etude d’impact [3], on lit: «La réforme conduira à augmenter de 100 € le montant du MICO majoré, via une hausse de sa majoration de 75 € et une augmentation MICO de base de 25 €, de sorte à garantir une pension brute équivalente à 85% du Smic net aux assurés partant à la retraite à compter du 1er septembre 2023, et justifiant d’une carrière complète cotisée à temps plein au SMIC. Pour ces assurés, la pension brute, une fois relevée au MICO majoré et complétée par leur retraite complémentaire, atteindra 85% du SMIC net.» (p. 75)
Smic net et pension brute
Depuis le 1er janvier 2023, le Smic net mensuel est de 1353 €. Le gouvernement prévoit qu’il soit à hauteur de 1376 € au 1er septembre. 85% de ce Smic net vaudront 1170 € (p. 22 de l’Etude d’impact). Mais cela désignera le montant brut de la pension minimum, de laquelle il faudra déduire pour les anciens salariés du privé: 3,8% de CSG (contribution sociale généralisée) et 0,5% de CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale), soit 4,3% des pensions brutes provenant du régime général (retraite de base) et de l’Agirc-Arrco [4], dès lors que celles-ci dépassent le revenu fiscal annuel donnant doit à exonération totale qui est de 11 614 €, soit 968 € par mois.
Au total, la pension brute de 1170 € par mois se traduirait par une pension nette de: 1170 x 0,957 = 1119,69 €.
Non seulement on n’est pas «proche» des 1200 € qu’on aurait pu croire promis, mais on est loin du seuil de pauvreté à 60% du niveau de vie médian que l’on peut estimer à 1285 € par mois pour une personne seule en 2023 [5]. (Texte publié sur le blog de Jean-Marie Harribey, le 26 janvier 2023)
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[1] Ce texte a d’abord été publié que le blog des Économistes atterrés le 25 janvier 2023.
[2] Dossier de presse.
[3] Étude d’impact.
[4] Cotisations sociales des retraités.
[5] Soit le seuil de pauvreté de 1130 € en 2020 revalorisé avec l’évolution du revenu par unité de consommation selon les notes de conjoncture de l’INSEE. Cette dernière précision m’a été fournie par Henri Sterdyniak que je remercie.
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Usul. «Réforme des retraites: la rue peut-elle gagner?»
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«Le 31 janvier on tape encore plus fort»
Union syndicale Solidaires, 22 janvier 2023
Jeudi 19 janvier nous avons été des millions à nous mobiliser par la grève et/ou en manifestant. Nous le savons: la majorité de la population et l’ultra majorité des travailleuses et travailleurs rejettent ce projet de réforme injuste et brutal.
L’intersyndicale nationale [CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, UNSA, Solidaires, FSU] a appelé à une journée de grève et de manifestation le 31 janvier prochain, avec comme objectif une mobilisation allant crescendo et s’inscrivant dans la durée pour gagner.
Le gouvernement est fébrile. Il avait annoncé qu’il n’y aurait pas de mobilisation massive, nous avons prouvé le contraire. Il clame qu’il ne retirera pas sa réforme, nous allons lui prouver qu’il n’a pas le choix.
Pour gagner, l’Union syndicale Solidaires appelle le maximum de travailleurs et travailleuses à participer à la journée de grève et de manifestation du 31 janvier. Il faut convaincre autour de nous pour que nous soyons encore plus nombreuses et nombreux dans la rue!
Pour réussir le 31, il nous faut mettre collectivement de l’énergie: multiplier les rassemblements, les actions et les manifestations, les réunions et débats publics, les tractages, collages, mise en place de banderoles, interpellations d’élu-es locaux ou nationaux (hors extrême droite), etc.
Il faut construire dans le maximum de secteurs des assemblées générales de grévistes pour débattre des suites de la mobilisation et poser la question de la grève reconductible: il va falloir passer à un cran supérieur de la lutte pour faire plier définitivement le gouvernement. Cela passera par le blocage de l’économie liée à des grèves massives et continues dans tous les secteurs.
De plus en plus de monde se rend compte que le sujet de fond c’est celui du partage des richesses et du temps de travail. Nous voulons une réforme des retraites de progrès social, avec retour à 60 ans max, 37,5 années de cotisations sans décote et à taux plein. C’est totalement possible si on arrête de se laisser voler notre travail, si on instaure – enfin! – l’égalité des salaires et si on revalorise les métiers féminisés, si on supprime les exonérations fiscales,et que nous récupérons les milliards d’euros qui chaque année engraissent les actionnaires, les milliardaires et les paradis fiscaux!
L’Union syndicale Solidaires est mobilisée et déterminée à faire retirer ce projet de réforme. Notre force est visible, amplifions le mouvement pour gagner!
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«Retraites: mardi 31 en grève et en manif, et après on continue!»
NPA, 24 janvier 2023
Les chiffres de mobilisation du jeudi 19 janvier ont été historiques, avec 1,2 million de manifestant·e·s selon la police, plus de 2 millions selon l’intersyndicale, des taux de grève très importants (avec aussi une participation exceptionnelle du privé), des mobilisations massives dans toutes les villes. Pendant ce temps, avec un mépris dont ils ont le secret, Macron et une bonne partie du gouvernement étaient en Espagne! Et la présentation du projet de loi en conseil ministre lundi confirme que leur objectif reste bien de nous faire travailler plus longtemps et pour des pensions moindres!
Une colère générale
Au-delà du refus de cette contre-réforme, c’est un véritable ras-le-bol face à la situation économique et sociale globale: suite aux précédentes contre-réformes, les pensions étaient déjà faibles, et l’inflation actuelle réduit encore plus le pouvoir d’achat des catégories populaires. La colère est là, contre Macron, contre ce gouvernement, contre leur mépris, contre leurs politiques injustes.
Le pouvoir veut baisser les impôts des entreprises, privatiser à terme le marché de la retraite, et nous infliger une défaite historique. Pour cela, il nous fait croire qu’il n’y a pas d’alternative : pas assez d’actifs pour payer les cotisations d’un nombre croissant de retraité·e·s, durée de vie plus longue, impossibilité d’augmenter la fiscalité et les cotisations «patronales». Il faudrait donc travailler deux ans de plus pour une retraite plus faible… Pire, le Modem, parti allié à Macron, vient de proposer d’augmenter la durée du temps de travail hebdomadaire à 35,5 heures!
De l’argent il y en a!
Une retraite à 60 ans avec 37,5 annuités et une pension calculée sur les 10 meilleures années, dans le public comme dans le privé, pèserait environ 3% du PIB. Taxer réellement les riches et les grandes entreprises permettrait de trouver cet argent sans problème.
D’autant plus que le président du très officiel Conseil d’orientation des retraites (COR) vient de rappeler que les arguments utilisés par le gouvernement sont mensongers: «Les dépenses de retraites sont globalement stabilisées et même à très long terme, elles diminuent dans trois hypothèses sur quatre. Dans l’hypothèse la plus défavorable, elles augmentent sans augmenter de manière très très importante […]. Donc les dépenses de retraites ne dérapent pas, elles sont relativement maîtrisées »…
Construire la grève générale pour gagner
Samedi dernier, nous étions par dizaines de milliers dans la rue avec la «marche pour nos retraites». Appelée en particulier par les organisations de jeunesse et diverses forces politiques, cette manifestation a été une réussite.
Les organisations syndicales appellent à une nouvelle journée de grève le mardi 31 janvier. Après la réussite du jeudi 19, il aurait certainement fallu fixer une date plus rapprochée pour monter en puissance. Il s’agit maintenant de se mobiliser à tous les niveaux pour passer à la vitesse supérieure: organiser des assemblées générales sur les lieux de travail et d’études, construire des assemblées interprofessionnelles, mettre en discussion la nécessité de préparer la reconduction de la grève à partir du mardi 31 janvier, dès le mercredi 1er février. Ce n’est pas à l’Assemblée nationale ou par un référendum mais bien dans la rue et par la grève que nous pouvons gagner.
Ce mouvement est un test : si la contre-réforme passe, le gouvernement va se sentir pousser des ailes et accélérer les attaques. Au contraire, si nous gagnons, nous pouvons renverser la vapeur, arracher le retour de la retraite à 60 ans, des augmentations de salaires, donner confiance pour aller vers la construction d’une alternative politique en rupture avec Macron et son monde.
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