Pérou. A Lima, la police tue un manifestant. La droite protège la présidente. La droite et une partie de la gauche bloquent une sortie institutionnelle momentanée

Intervention des médecins «brigadistes» volontaires pour tenter de sauver Victor.

Par Carlos Noriega (Lima)

Les manifestations exigeant la démission de la présidente Dina Boluarte et des élections cette année ajoutent un nouveau décès suite à la répression. Cette fois, il s’est produit à Lima. Victor Santisteban, 55 ans, est mort d’un coup à la tête qui lui a fracturé le crâne. Les manifestations qui ont débuté en décembre ont fait 58 morts, dont 47 sont le résultat de la répression directe policière et militaire. Il y a également un policier mort et dix citoyens qui sont décédés parce qu’ils n’ont pas pu recevoir à temps des soins médicaux ou à cause d’un accident dû aux multiples barrages routiers.

Victor Santisteban est la première victime à Lima. Les protestations ont commencé en décembre 2022 dans la région sud des Andes, se sont étendues à d’autres régions et, depuis onze jours, se concentrent dans la capitale. Dina Boluarte refuse de démissionner, la majorité au Congrès bloque la tenue d’élections anticipées cette année [voir l’article publié sur ce site le 29 janvier] et les protestations s’intensifient.

Samedi, la manifestation anti-gouvernementale a été massive à Lima. La répression, une fois de plus, s’est déchaînée. La police tirait sans discernement des grenades lacrymogènes, dont beaucoup avec un angle de tir dirigé vers le corps, tirant des chevrotines à bout portant, frappant les personnes arrêtées. Ce qui, dans l’après-midi, avait commencé comme une mobilisation de masse pacifique, s’est transformé dans la soirée en une bataille après que la répression policière a été déployée pour interrompre la dynamique de la manifestation. La police a attaqué avec des gaz lacrymogènes et des chevrotines, les manifestants ont répondu avec des pierres, des bâtons et quelques fusées. C’était une bataille inégale.

Diffusion en direct

Une chaîne d’information télévisée diffusait en direct ce qui se passait dans le centre de la ville. Un groupe de manifestant·e·s faisait face à un contingent de police, ils ne jetaient pas de pierres, rien. Soudain, une détonation a été entendue et une personne s’est effondrée sur le sol. Il y avait une agitation, des cris, du désespoir. Puis la chaîne a changé le plan et a coupé la diffusion en direct. Elle n’a pas retransmis ce qui se passait lors de la manifestation. Le journaliste qui rapportait ce qui se passait décrivait les manifestants comme des personnes violentes qui attaquaient la police et justifiait la répression policière. C’est le discours dominant dans les médias locaux grand public.

Brigades médicales volontaires

Il a été révélé plus tard que l’homme tombé à terre – que la télévision voulait ne pas montrer – était Víctor Santisteban. Il avait subi un choc qui lui avait brisé le crâne. Quelques minutes plus tard, il est mort. Une vidéo rendue publique par le média en ligne Wayka montre comment Victor tombe lorsqu’il se trouve avec un groupe de personnes qui s’éloignent des gaz lacrymogènes que la police lance à quelques mètres de là. On aperçoit un flash venant de l’endroit où se tiennent les policiers et qui frappent Victor. Il s’effondre. A côté de lui, de la fumée a commencé à s’élever, comme celle des grenades lacrymogènes. Puis on a pu suivre le déroulement du drame: avec des cris de «ils l’ont tué, ils l’ont tué» et des appels à l’aide désespérés. Victor a été soigné sur place par des médecins qui ont formé des brigades de volontaires pour aider les personnes blessées lors des manifestations. «Il est vivant, il est vivant», peut-on les entendre crier. Les médecins s’occupent de lui, lui bandent la tête et l’emmènent à l’hôpital. Les gens crient «laissez passer, laissez passer». Victor est mort peu après à l’hôpital.

La mort de Victor Santisteban a été annoncée à dix heures du soir (minuit heure argentine) samedi. La répression et les affrontements duraient depuis plusieurs heures. Le docteur Antonio Quispe, qui coordonne une des brigades médicales, a soigné Victor Santisteban à l’endroit où il est tombé mortellement blessé. «Nous avons fait ce que nous pouvions, mais le patient présentait un traumatisme crânien grave avec exposition de la masse encéphalique. En termes simples, ils lui ont fait sauter la cervelle», a déclaré Antonio Quispe dans un message après avoir appris la mort de Victor Santisteban. Dans un autre message, il rendait hommage au manifestant décédé: «Ils vous ont tiré dans la tête alors que vous étiez complètement sans défense. Mes brigadistas et moi sommes dévastés par votre décès.»

Devant l’hôpital où Victor et d’autres blessés ont été emmenés, un rassemblement a été improvisé, une veillée pacifique. Plus de 30 personnes ont été blessées. Un blessé grave, qui souffre également d’une fracture du crâne, est toujours aux soins intensifs. La police est arrivée au centre de santé et a violemment attaqué les personnes présentes sur les lieux.

Selon un rapport médical publié dimanche 29 janvier, Victor Santisteban est mort d’un choc à la tête derrière l’oreille droite, qui lui a fendu le crâne. Il est indiqué que la cause du décès était «un objet dur et contondant», sans autre précision. Les médias, sans plus de preuves, ont commencé à souligner que sa mort avait été causée par une pierre.

Les images vidéo, qui montrent le tir d’une grenade lacrymogène à bout portant contre Víctor, et les témoignages des brigadistes médicaux qui se sont occupés du défunt, réfutent cette affirmation. «Ce n’était pas une pierre», a assuré le Dr Antonio Quispe. A la porte de l’hôpital, Elizabeth Santisteban, sœur de la victime, a réclamé justice. «Je réfute ceux qui disent qu’une pierre l’a tué», a-t-elle déclaré. Une enquête du parquet et de la police a été annoncée pour déterminer la cause du décès, mais ces investigations ne suscitent aucune confiance.

Anticipation des élections: le blocage institutionnel

Avec une nouvelle mort suite à la répression, les protestations se poursuivent sans relâche. Ce lundi, le Congrès débattra et votera pour la deuxième fois sur des élections anticipées qui se tiendraient en octobre 2023. Cette possibilité a déjà été rejetée vendredi après seulement 45 votes. Or, il faut 87 voix, soit les deux tiers du parlement monocaméral, pour qu’elle soit adoptée. Si elle était approuvée, elle devrait ensuite être encore ratifiée lors d’un second vote. En décembre 2022, sous la pression des protestations, les élections fixées à 2026 ont été avancées à avril 2024. Vote qui n’a pas été ratifié par un second vote. Les juristes soulignent que puisqu’un vote a eu lieu et a été rejeté pour avancer les élections à 2023, le vote qui a fixé les élections à 2024 est ainsi annulé! Dès lors, si les votes pour avancer les élections ne sont pas atteints ce lundi, le calendrier électoral de 2026 serait rétabli. Il s’agirait d’une provocation face à l’indignation des citoyens et citoyennes. Ce qui enflammerait encore davantage les protestations massives qui se déroulent depuis près de deux mois maintenant.

Il y a un consensus sur le fait que l’approbation d’élections pour octobre de cette année, bien qu’elle ne satisfasse pas la demande populaire de démission de Dina Boluarte, pourrait faire baisser la tension [ce qui explique l’intervention en matinée – heure péruvienne – du 30 janvier de la présidente Dina Boluarte en faveur d’une anticipation des élections]. Mais une grande partie du Congrès ne semble pas voir ce qui se passe dans les rues. La droite veut du temps pour faire des réformes en sa faveur, pour contrôler les organes électoraux et pour que ce gouvernement renforce la répression contre la gauche. Un secteur de la gauche conditionne son vote pour des élections anticipées à un référendum pour une Assemblée constituante, que la droite rejette. Il y a des élus qui veulent prolonger leur séjour au Congrès aussi longtemps que possible, avec les avantages que cela leur apporte.

Le nouveau décès d’un manifestant, cette fois à Lima, accroît la pression en faveur d’une élection anticipée. Si cela n’aboutit pas, la seule issue pour des élections anticipées serait la démission ou la destitution de Dina Boluarte par le Congrès, ce qui obligerait à les convoquer dans six mois au maximum. Mais la présidente est réticente à démissionner et l’aile droite du Congrès la protège. (Article publié le 30 janviers dans le quotidien argentin Pagina/12; traduction rédaction A l’Encontre)

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