Yémen. «Jetés par-dessus bord», bombardés et ravagés par le choléra

Réfugiés dans la Corne de l’Afrique…

Par Thomas Casavecchia

Le Yémen est un passage obligé pour les migrants de la corne de l’Afrique. Mais la région est très dangereuse. Trois cents personnes jetées par-dessus bord, sans aucune autre forme de procès. En deux jours, au moins 35 migrants ont péri dans la mer au large du Yémen, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). L’agence de la migration rattachée à l’ONU craint que le coût humain ne soit bien plus lourd et puisse atteindre plus de 55 victimes.

Ce mercredi 9 août, lors d’une patrouille de routine, des travailleurs de l’OIM ont découvert 29 tombes creusées à la hâte, à fleur de sol sur la plage. Les survivants encore présents sur les lieux ont expliqué que les passeurs avaient forcé les quelque 120 migrants en provenance majoritairement d’Ethiopie et de Somalie, à sauter du bateau au large de la côte.

Ce jeudi, alors qu’elle continuait d’apporter de l’aide d’urgence aux survivants, l’agence n’a pu que constater une nouvelle fois l’horreur, tandis que 186 nouveaux migrants subissaient le même sort. Six corps ont été retrouvés ce jeudi, une cinquantaine de personnes sont toujours portées disparues et présumées mortes, selon l’OIM.

Selon les survivants, les trafiquants ont pris peur en apercevant à l’horizon, un bateau ressemblant à ceux des autorités locales et ont forcé leurs passagers à sauter de l’embarcation sur la côte yéménite, à proximité de Shabwa.

«Ces passagers étaient tant des hommes que des femmes. Et très jeunes, pour la plupart, la moyenne d’âge se situant autour de 16 ans», explique un porte-parole contacté par nous. Ces personnes tentent de rejoindre d’autres pays du Golfe pour y retrouver famille ou amis et des moyens de subsister.

Un pays en guerre

«C’est loin d’être une pratique courante, explique le porte-parole. Mais le fait est que la zone est extrêmement dangereuse en ce moment car le pays est en proie à la guerre civile. Reste à espérer que ce ne soit pas le début d’une tendance.»

Depuis le début de l’année, l’OIM estime que pas moins de 55’000 personnes – dont plus de 30’000 mineurs – ont tenté de rejoindre les pays du Golfe persique et l’Europe depuis la Corne de l’Afrique par cette route migratoire.

Depuis 2014, les rebelles «chiites» [en fait zaidites qui se réclament de l’enseignement de l’imam Zayd Ibn Alî Ibn Alî Tâlib, VIIIe siècle] Houthis et les forces fidèles à l’ex-président Ali Abdallah Saleh [président du Yémen du Nord –dit République du Yémen du Nord, de 1978 à 1990, puis de 1990 à 2012 suite à la réunification du Yémen – entre le Nord et la République démocratique populaire du Yémen du Sud] s’opposent en effet au gouvernement d’Abdrabbo Mansour Hadi [vice-président de 1994 à 2012; le Conseil de coopération du Golfe, cornaqué par l’Arabie saoudite, aboutit à un accord où le vice-président devient président et le président a un statut de président honoraire et, surtout, une immunité assurée]. Mansour Hadi sera élu [car seul candidat aux élections de février 2012] suite de la révolution yéménite de 2012 qui avait conduit au départ du premier. Une coalition de pays musulmans, menée par l’Arabie saoudite [intérêts pétroliers «communs» dans la zone»] soutient le pouvoir en place depuis 2015 et lutte contre les rebelles [soulèvement des Houthis issus de la région la plus pauvre du Yémen, qui passent un accord avec Saleh] appuyés par l’Iran. Le conflit [de fait une guerre civile qui débouche sur une guerre de bombardements massifs par les Saoudiens, grand acheteur d’armes et de services d’entretien aux Etats-Unis] a d’ores et déjà fait 8400 morts et plus de 48’000 blessés.

Les ravages du choléra

Des milliers de migrants ont toutefois préféré rebrousser chemin, vu la conjoncture très difficile du Yémen. «La situation y est extrêmement préoccupante», estime Christof Godderis, porte-parole de MSF Belgique. Les équipes françaises, et hollandaises de MSF sur place luttent activement contre l’épidémie de choléra qui touche violemment la région. On estime que 430’000 personnes sont touchées et qu’à peine 100’000 ont pu être soignées. Mais prodiguer des soins est extrêmement difficile étant donné les combats qui se déroulent un peu partout dans le pays. Ce qui aide aussi la maladie à se propager, vu la raréfaction de l’accès à l’eau potable. Les populations locales se trouvent bien souvent obligées de consommer de l’eau contaminée.»

Le choléra a déjà fait plus de 1900 morts depuis le mois d’avril et l’OMS estime que 95,6% des provinces du pays sont touchées, faisant de ce pays du sud du Golfe persique la plus grave crise humanitaire au monde, selon l’ONU. (Article publié dans Le Soir, le 11 août 2017)

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