Des milliers d’Indonésiens ont envahi les rues de Jakarta, de Bandung et d’autres villes pour protester contre la pression exercée par le gouvernement pour promulguer la «loi omnibus» [portant sur divers sujets] qui, selon les critiques, affaiblira la protection des travailleurs et de l’environnement [et ouvre des secteurs pour la privatisation]. Plus de 400 manifestants ont été arrêtés à la date du jeudi 8 octobre, lors de la répression policière dans tout le pays. La loi complète sur la création d’emplois – Job Creation Law – adoptée par la chambre basse du parlement indonésien, le People’s Representative Council (DPR-RI), le 5 octobre, a provoqué un tollé national de la part des syndicats et du mouvement étudiant.
Une coalition de syndicats, de groupes d’étudiants et de militants écologistes organise des manifestations nationales pour s’opposer à la loi de grande envergure qui, selon le gouvernement de Joko Widodo [en fonction depuis juillet 2014 et réélu en avril 2019], créera des millions d’emplois. Cette loi, appelée «loi omnibus», apporte des changements radicaux à plus de 79 lois existantes concernant le travail, l’environnement et les investissements privés, entre autres domaines.
La loi modifie considérablement le droit du travail, en supprimant d’importantes protections pour les salaires minimums, les congés payés et les indemnités de licenciement. Les travailleurs et travailleuses peuvent s’attendre à voir leur indemnité de licenciement réduite de 40%, leurs congés hebdomadaires réduits à un jour et leurs congés annuels payés menacés. Plus important encore, les travailleurs perdront la protection fédérale de leur salaire minimum. La loi supprime complètement les salaires minimums sectoriels au profit de normes salariales minimales locales fixées par les gouverneurs provinciaux et régionaux [l’Indonésie comprend 34 provinces, donc cinq avec un statut spécial parmi lesquelles Jakarta, population: 270 millions].
La loi supprime également d’importantes réglementations environnementales et des limitations pour les industries polluantes. Elle fait passer de 300 à seulement six le nombre de secteurs interdits aux investissements privés.
Le gouvernement de Joko Widodo promet de créer 9 millions d’emplois, mais les syndicalistes et les groupes d’activistes ont remis en question cette affirmation. La Confédération de l’ensemble des syndicats indonésiens (KSPI- Konfederasi Serikat Pekerja Indonesia), un mouvement syndical représentant plus de 4 millions de travailleurs, a appelé à une grève illimitée après l’adoption de la loi par la Chambre basse. Il dirige actuellement la coalition qui s’oppose au projet de loi.
Les syndicats s’opposent à la loi depuis qu’elle a été proposée en février de cette année. Le KSPI et d’autres mouvements avaient également appelé à des délibérations publiques sur la «loi omnibus», mais le gouvernement Widodo a ignoré ces appels et a fait passer la loi sans grand débat lundi 5 octobre.
La Confédération internationale des syndicats (CSI-ITUC), à laquelle la KSPI est affiliée, a réagi à l’adoption de la loi dans sa déclaration: «Il est stupéfiant, alors que l’Indonésie, comme d’autres pays, est confrontée aux ravages de la pandémie Covid-19, que le gouvernement cherche à déstabiliser davantage la vie des gens et à ruiner leurs moyens de subsistance afin que les entreprises étrangères puissent extraire des richesses du pays.» (Texte publié par People Dispatch, le 9 octobre 2020; traduction rédaction A l’Encontre)
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Dans la rue malgré la répression
Le lundi 12 octobre, des milliers de syndicalistes, d’étudiants et de citoyens ont organisé des manifestations et des rassemblements dans différentes parties de l’Indonésie contre la «loi omnibus». Une manifestation massive a eu lieu devant le palais présidentiel à Jakarta, organisée par la Confédération des syndicats indonésiens pour la prospérité des travailleurs (KSBSI- Konfederasi Serikat Buruh Sejahtera Indonesia), une importante confédération syndicale [qui organise plus de 2,1 millions de travailleurs]. On estime que la manifestation devant le palais présidentiel a rassemblé plus de 1000 participants.
Les représentants de la KSBSI ont déclaré que la manifestation s’inscrivait dans le cadre de l’appel national lancé par les syndicats pour exiger le retrait de la loi sur la création d’emplois, également appelée «loi omnibus», qui est très impopulaire. Un rassemblement a également eu lieu sur la place Medan dans la capitale, organisé par la KSBSI, avec des participants à vélo portant des pancartes de protestation.
«Les syndicats et les travailleurs poursuivront les protestations de manière structurée, conformément à la Constitution», a déclaré le président de la Confédération des syndicats d’Indonésie (KSPI), Said Iqbal, en s’adressant à Kompas [quotidien national indonésien]. «Nous sommes contre la violence (sic) mais nous ne nous interdisons pas d’organiser des manifestations. Nous continuerons à exprimer notre opposition à la loi sur l’emploi», a-t-il déclaré, répondant aux allégations du gouvernement concernant la violence des manifestants.
Le KSPI, le KSBSI et la Confédération de tous les syndicats indonésiens (KSPSI- Konfederasi Serikat Pekerja Seluruh Indonesia), entre autres, organisent des manifestations depuis plus d’une semaine, depuis que la loi a été adoptée le corps législatif national [composé de deux chambres, le Conseil représentatif du peuple et le Conseil représentatif des régions] le 5 octobre. Appelée «loi omnibus» pour le large éventail de lois qu’elle annule, sa procédure d’adoption a été accélérée par le Conseil représentatif du peuple (chambre basse du parlement) avec très peu de délibérations. […]
Des milliers de personnes arrêtées
Alors que le gouvernement accuse les manifestants de violence, il répond aux protestations par une immense répression. La police indonésienne a arrêté des milliers de personnes pour avoir participé aux manifestations nationales. Selon les déclarations de la police, 5918 personnes ont été arrêtées en date du samedi 11 octobre, dont 285 font l’objet d’une enquête pénale pour les violences supposées commises lors des manifestations. Au cours de la semaine dernière, la répression policière des manifestations aurait causé différentes blessures à plus de 200 manifestants.
L’ampleur des arrestations et de la répression s’est poursuivie au cours du week-end, de nombreux dirigeants de la société civile, des étudiants militants et même des journalistes ont été arrêtés et ont subi des violences. La Coalition des journalistes indépendants (CJI) a déclaré la semaine dernière qu’elle avait documenté plus de 28 incidents de violence et d’intimidation contre des journalistes par la police.
Sur les 28 cas d’intimidation documentés, six étaient des arrestations effectuées dans les deux premiers jours des manifestations et le reste était des cas de destruction d’«outils de reportage», d’agression physique et même de menaces et d’intimidation par le personnel de la police. La CJI a déclaré que ces actions ont été menées dans le but d’entraver la couverture des manifestations et la violence policière.
Les universitaires répondent à la circulaire du gouvernement
Les étudiants et les jeunes ont été à l’avant-garde de la lutte contre la loi dans tout le pays. Les syndicats d’étudiants des principales universités ont soutenu l’appel des syndicats à résister à la loi. Pour cette raison, le gouvernement a récemment tenté de cibler la participation des étudiants.
Samedi 10 octobre, le ministère de l’Education a publié une circulaire demandant aux étudiant·e·s de ne pas participer aux manifestations et appelant même les enseignants et les autorités universitaires à dissuader les étudiants de participer. La circulaire demandait également aux étudiants de répondre à la législation de manière «polie» et appelait les parents à veiller à ce que les étudiants se concentrent sur leurs études. Elle a également dissuadé les enseignants d’encourager les étudiants à prendre part aux protestations et aux agitations contre le gouvernement.
La circulaire du ministère a été sévèrement critiquée par les universitaires de tout le pays. La direction de l’Association pour l’éducation et les enseignants (P2G) a critiqué la circulaire du gouvernement, disant au ministère de ne pas être «allergique» aux critiques. La coordinatrice de P2G, Satriwan Salim, a également déclaré que la circulaire «est une forme d’intervention qui prive les campus de leur indépendance». Satriwan Salim a également ajouté que le ministère devrait apprécier les critiques des étudiants, argumentant qu’il s’agit d’un «devoir des intellectuels».
Dans une lettre ouverte, un groupe de professeurs d’université, sous la bannière de l’Alliance des universitaires rejetant la loi omnibus, a qualifié la circulaire de tentative de faire taire les universitaires et les étudiants. Argumentant que les obligations de l’académie reposent sur la vérité et non sur les ordres des autorités, le groupe a déclaré que «dire aux professeurs de ne pas encourager leurs étudiants à rejoindre des rassemblements est une forme d’intervention politique contre l’indépendance des professeurs. En outre, dire aux étudiants de ne pas participer à des rassemblements est également une violation de l’indépendance des étudiants dans leur lutte contre les injustices et les abus de pouvoir.» (Texte publié par People Dispatch, le 14 octobre 2020; traduction rédaction A l’Encontre)
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