Venezuela. Le dilemme de l’opposition

Henrique Capriles met dans la balance de sa candidature la «liberté totale» pour les activités de son parti

Par Ociel Alí López

Alors que le président de l’Assemblée nationale vénézuélienne, Juan Guaidó, appelle au boycott des prochaines élections législatives, l’ancien candidat à la présidence, Henrique Capriles [gouverveur de l’Etat du Miranda de novembre 2008 à octobre 2017], est revenu dans la mêlée ces dernières semaines en appelant à une participation massive aux scrutins. Divisée, l’opposition se trouve à un carrefour difficile contre le gouvernement Maduro.

A la fin du mois dernier, le représentant de la Maison Blanche pour le Venezuela, Elliott Abrams, a qualifié de «réalisme magique» et de «folie» les exigences de l’ancienne candidate à la présidence, Maria Corina Machado [elle a soutenu Ivan Duque lors de l’élection présidentielle en Colombie en 2018 et s’est ralliée activement à Juan Guaidó à partir de 2019], concernant l’intervention militaire étrangère. C’était dans une interview à la radio colombienne NTN24, dans laquelle Abrams a minimisé la probabilité d’une intervention directe des États-Unis au Venezuela, au moins pour cette année.

Elliott Abrams, qui dirige l’intensification du blocus économique du Venezuela, a également évoqué les élections parlementaires qui se tiendront dans ce pays le 6 décembre: «Il est évident qu’il ne s’agit pas d’élections libres et c’est pourquoi nous devons montrer qu’aucune démocratie ne va les reconnaître», a-t-il déclaré, rejoignant l’orientation du président intérimaire autoproclamé Juan Guaidó. Mais, en même temps, il a ouvert une porte: «L’opposition débat de ce qu’il faut faire. C’est une décision que les dirigeants politiques doivent prendre. Nous ne cherchons pas à imposer une formule.»

La vérité est que, presque involontairement, en écartant les options violentes proposées par Maria Corina Machado, Elliott Abrams a laissé la voie électorale comme seul scénario efficace pour l’opposition. Les paroles d’Abrams ne sont pas passées inaperçues au Venezuela, où le 2 septembre, Henrique Capriles a appelé les Vénézuéliens à participer en masse aux élections législatives du 6 décembre: «C’est un faux dilemme de participer ou de ne pas participer. Le dilemme est de se battre ou de ne pas se battre, et j’ai décidé de me battre», a-t-il déclaré sur ses réseaux sociaux. Il défiait ainsi clairement Guaidó et les secteurs de l’opposition basés à Miami, qui appellent à l’abstention [voir l’article publié sur le site alencontre en date du 12 août].

L’appel de Capriles – qui ne peut toujours pas se présenter aux élections – fait suite au décret de grâce approuvé par le président Nicolas Maduro le 31 août, libérant de prison plus de 100 dirigeants de l’opposition. Cette mesure est le résultat d’une série de négociations secrètes entre Maduro et Capriles lui-même, sous la médiation du gouvernement turc.

Ces deux événements ont ouvert un nouveau scénario. Pour une partie importante de l’opposition vénézuélienne, le pari de l’ancien gouverneur de l’État de Miranda (2008-2017) et candidat à la présidence en 2012 et 2013 pourrait signifier une alternative à la voie insurrectionnelle et interventionniste, en rééditant une voie, celle des élections, qui a déjà donné aux opposants une victoire écrasante lors des élections législatives de décembre 2015.

Faire preuve de force

Le 11 août déjà, la Conférence épiscopale vénézuélienne, l’un des secteurs traditionnellement les plus conservateurs et anti-Chávez du pays, avait publié un communiqué dans lequel elle demandait à l’opposition de prendre ses responsabilités dans la recherche de solutions et l’élaboration de propositions claires. Et elle a ajouté: «L’abstention à elle seule augmentera la fracture politico-sociale dans le pays et le désespoir pour l’avenir. […] Ne pas participer aux élections législatives et appeler à l’abstention conduira à l’immobilisme, à l’abandon de l’action politique et au renoncement à montrer sa force.»

La déclaration a créé une division parmi ses destinataires. L’institution qui l’a émise ne peut pas être facilement classée comme collaboratrice du gouvernement. Quelques semaines auparavant, un sondage publié par l’Université catholique Andrés Bello, un groupe de réflexion aligné sur l’opposition, avait révélé que 58,9% des personnes interrogées étaient prêtes à aller voter, contre 29,5% qui disaient ne pas vouloir participer.

Il est possible que plusieurs représentants élus de l’opposition finissent, directement ou indirectement, par soutenir des candidats et des partis à l’approche du mois de décembre. C’est le cas, par exemple, de la gouverneure de l’Etat de Táchira, Laidy Gómez, qui a été expulsée du parti Acción Democrática après avoir annoncé qu’elle participerait aux élections législatives. Ne pas le faire et demander ensuite une réélection en tant que gouverneurs et/ou maires en 2021 serait pour le moins déroutant.

Pour sa part, Jorge Roig, ancien président de l’association patronale Fedecamaras et figure toujours très influente au sein de cette association, a déclaré au journaliste Vladimir Villegas le 9 septembre dernier qu’il s’engageait sur le chemin tracé par Capriles, sachant que celui de Guaidó était «dynamité». La semaine dernière, Jorge Roig a déclaré à Unión Radio, en réponse aux critiques que Capriles reçoit de l’opposition radicale, que l’ancien gouverneur de Miranda «est un véritable opposant et ne devrait pas être criminalisé pour s’engager sur une voie différente de celle de Juan Guaidó».

La voie de la mort

La route de Guaidó, sur laquelle l’Union européenne et, jusqu’à présent, les États-Unis parient mécaniquement, ne montre aucun signe de vie. Les tentatives de renversement du gouvernement Maduro qui auraient dû favoriser les autoproclamés ont été un fiasco. Celui-ci provient de l’échec de l’opération «d’invasion» Gedeón [voir sur ce site l’article publié en date du 10 mai 2020], qui a tenté, en mai, d’infiltrer des bases militaires. Un soulèvement militaire qui, le 30 avril 2019, a tenté de briser la chaîne de commandement a également échoué. Le Groupe de Lima [organisme constitué de 12 pays réunis en 2017 au Pérou et visant à établir «une sortie pacifique de la crise au Venezuela»; il demandait des élections libres, la libération des prisonniers politiques et 11 parmi ces pays demandaient à l’armée de rejoindre. l’opposant Juan Guaidó] est désormais désactivé. Les responsables états-uniens ne se préoccupent pas du Venezuela, sauf pour ce qui est d’infliger des sanctions.

Aujourd’hui, Guaidó attend le résultat de l’élection présidentielle aux Etats-Unis pour obtenir un moyen de pression lui permettant de sortir de l’impasse. Mais même Donald Trump a reconnu à l’époque la faiblesse du «président intérimaire», selon les récentes révélations de son ancien conseiller à la sécurité nationale, John Bolton [The Room Where It Happened: A White House Memoir, juin 2020]. Trump a même déclaré publiquement qu’il n’a jamais été «nécessairement favorable» à ce que la Maison Blanche soutienne l’intérim de Guaidó et ne pense pas que sa reconnaissance ait été «particulièrement significative».

En l’état actuel des choses, le leader de l’Assemblée nationale (Guaidó) ne pourra survivre politiquement que dans la mesure où il entravera le processus électoral vénézuélien. Guaidó a deux ennemis: son objectif est de battre Maduro, mais si Capriles se positionne avec une capacité de direction forte, il mourrait comme option viable. Il n’est pas exclu que l’opposition radicale tente un processus d’abstention active pour faire «exploser» les bureaux de vote pro-Capriles et tenter d’anéantir ses chances. Mais ce sabotage hypothétique, similaire à celui des élections de l’Assemblée constituante en 2017, signifierait l’octroi d’une hégémonie politique totale au gouvernement Maduro.

Que pourrait-il se passer en décembre?

Il y a encore beaucoup d’ombres qui s’accumulent. La pandémie peut influencer le manque de participation, la pression des faucons peut effrayer les candidats de l’opposition par des sanctions (qui ont déjà été appliquées envers certains politiques) et la division de l’opposition peut finir par l’effacer de la scène. De plus, au cours des deux derniers mois, la Cour suprême de justice est intervenue auprès d’une douzaine de partis d’opposition (et aussi de certains chavistes), en nommant des directions ad hoc de ces organismes.

Le résultat électoral variera aussi considérablement en fonction du niveau de participation et de l’unité de l’opposition. Si le scénario d’une forte abstention aux élections présidentielles de 2018 se répète, le parti au pouvoir [PSUV-Parti socialiste unifié du Venezuela], qui dispose d’un noyau dur de votes sûrs et d’une machine électorale huilée, aura une hégémonie politique totale dans le pays et contrôlera à volonté l’Assemblée nationale, seul pouvoir qui lui échappait ces dernières années.

Si, en revanche, la participation électorale augmente par rapport aux dernières élections, la domination absolue du Parti socialiste unifié du Venezuela pourrait être freinée. L’opposition, malgré sa division, pourrait profiter de l’événement électoral pour se réinventer, pour se débarrasser des radicaux, renoncer à des solutions immédiatistes et militaires, et projeter une solution démocratique autour d’un événement électoral tel que le référendum révocatoire [selon la Constitution, art. 72, 20% des électeurs inscrits peuvent solliciter la convocation d’un référendum pour révoquer un mandat politique].

Cette voie nécessitera, en tout état de cause, des observateurs forts pour contrôler le déroulement de ces élections parlementaires. Le gouvernement a invité l’Union européenne et les Nations unies à participer dans ce rôle. Cependant, l’UE, qui reconnaît l’intérim de Juan Guaidó et avait demandé un report des élections que Maduro a rejetà, a déjà refusé d’y assister comme observateur.

Pendant ce temps, les sanctions états-uniennes, qui ne visaient au départ que les officiels du gouvernement et qui englobent maintenant l’industrie pétrolière vénézuélienne, ont fini par bloquer l’entrée de l’essence dans le pays [livraison par l’Iran]. Dans les semaines à venir, au plus fort de la pandémie, la grave crise qui touche les domaines de la santé et de l’alimentation pourrait s’aggraver. Dans ce contexte, pour les gouvernements européens et la communauté internationale, l’abandon d’une option d’opposition démocratique pourrait avoir un coût élevé. (Article publié dans l’hebdomadaire uruguayen Brecha, le 18 septembre 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

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