Bolivie. Jeanine Áñez retire sa candidature à la présidence pour favoriser l’unité contre le MAS et Evo Morales

Jeanine Áñez, à gauche, derrière elle, Samuel Doria Medina, candidat à la vice-présidence

Par Fernando Molina

La présidente par intérim de la Bolivie, Jeanine Áñez, a retiré sa candidature aux élections présidentielles du 18 octobre, après qu’un sondage l’a placée en quatrième position. Le même sondage a placé Luis Arce, le candidat du Mouvement vers le Socialisme (MAS), le parti de l’ancien président Evo Morales, avec les voix nécessaires pour gagner au premier tour. Face à ce panorama, Jeanine Áñez a décidé de prendre du recul et de promouvoir la lutte en bloc contre le MAS.

«Je renonce aujourd’hui à ma candidature à la présidence de la Bolivie pour m’occuper de la démocratie. Ce n’est pas un sacrifice, c’est un honneur, car je le fais face risque de diviser le vote démocratique entre plusieurs candidats et que, du fait de cette division, le MAS finisse par remporter l’élection. Je le fais pour l’unité de ceux d’entre nous qui aiment la démocratie. Je le fais pour aider à la victoire de ceux qui ne veulent pas de la dictature… Si nous ne nous unissons pas, Morales reviendra», a déclaré M. Áñez dans une vidéo d’un peu plus de trois minutes qu’elle a publiée sur les réseaux sociaux. Elle a été soutenue par son colistier, l’homme d’affaires Samuel Doria Medina, et par d’autres dirigeants de l’alliance qui l’a nommée.

Le 16 septembre, un institut de sondage jouissant d’une grande crédibilité auprès des opposants de Morales a conclu que Arce disposait (selon les sondages) de 40% d’appui dans l’électorat, tandis que son successeur immédiat, l’ancien président (octobre 2003-juin 2005) Carlos Mesa, en avait 26%. La loi bolivienne permet la victoire «au premier tour» pour le candidat qui obtient un résultat supérieur à 40%, avec un avantage de plus de 10 points de pourcentage sur le second.

Ce résultat indique que Luis Arce est capable d’arrêter le changement politique en cours dans le pays depuis le renversement de Morales en novembre 2019, changement qui bénéficie du soutien des classes moyennes urbaines et des élites traditionnelles du pays. Ce processus vise à diminuer le poids de l’État, à augmenter la participation de l’entreprise privée, à «revenir à la République» (en remplaçant l’État plurinational créé dans la période précédente) et, surtout, à «arrêter le MAS». Un parti qui est accusé de fraude lors des précédentes élections, finalement annulées, de diriger une «dictature» et de violations des droits de l’homme.

Dans la presse, le MAS est considéré comme le «premier ennemi public» et un «cancer» de la «démocratie bolivienne». La prise de conscience que Luis Arce pourrait gagner a provoqué un tremblement de terre dans les réseaux sociaux, les utilisateurs «antiévo» (Morales) attaquant les politiciens de leur courant pour n’avoir pas présenté un seul front électoral. Outre Carlos Mesa et Jeanine Áñez, deux autres candidats se présentent «contre le MAS»: Luis Fernando Camacho, leader des manifestations qui ont précédé la chute de Morales et favori à Santa Cruz, la deuxième région la plus importante en nombre d’électeurs du pays, et l’ancien président de droite Jorge Quiroga [août 2001 à août 2002, après avoir été vice-président du général Hugo Banzer Suárez, président d’août 1997 à août 2001].

Le geste de Jeanine Áñez et de Samuel Doria Medina (candidat à la vice-présidence) a été accueilli avec soulagement et joie par ceux qui cherchent à concentrer le vote anti-MAS sur Carlos Mesa. Lors de l’élection «annulée» de l’année dernière, ce dernier a également bénéficié de ce «vote utile». Toutefois, dans son discours de démission, Jeanine Áñez n’a pas soutenu directement Carlos Mesa, qu’elle avait jusqu’à récemment mis en question pour son prétendu manque de caractère face au MAS et pour avoir collaboré avec l’ancien président Evo Morales.

Certains analystes pensent que, les ressources électorales de la présidente par intérim se trouvant principalement dans l’est de la Bolivie (Santa Cruz et le Beni), sa retraite profitera à Luis Fernando Camacho et non à Carlos Mesa, de sorte que son abandon de la course électorale n’aurait pas pour effet de «concentrer» le vote et d’empêcher la victoire de Arce au premier tour. La réalisation de cet objectif est également entravée par le fait que les bulletins de vote – qui, en Bolivie, sont uniques et comprennent tous les candidats – sont déjà imprimés et porteront la photo de Jeanine Áñez.

«Cette action répond à un accord conclu par des hommes politiques contre la volonté du peuple. Ça sent le business. Cela sent l’impunité pour les responsables de l’achat hors de prix de respirateurs [dans la «campagne» anti-Covid-19] et pour les responsables des massacres de novembre», nous a déclaré Sebastián Michel, porte-parole du MAS.

Après avoir assumé la présidence, surmonté la vacance du pouvoir causée par la démission d’Evo Morales, contrôlé les protestations des partisans de l’ancien président, qui ont fait plus de 30 morts, pris des mesures en faveur des hommes d’affaires de l’Est bolivien et formé un front [Front d’unité nationale dont Samuel Doria Medina est le président] avec plusieurs partis importants de centre droit, Jeanine Áñez semblait être la candidate ayant les plus grandes possibilités de mener le «vote pour le changement». Mais la pandémie a croisé son chemin électoral et l’a obligée à administrer pendant huit mois, et dans la plus grande urgence, un Etat qui a toujours été inefficace et désorganisé et n’a jamais eu de bons services de santé.

Mais ce qui a le plus terni son image, ce sont les scandales de corruption qui ont éclaté pendant son administration, en particulier celui concernant l’achat, à un coût surfait, par le ministère de la Santé de 170 ventilateurs venant d’Espagne. En conséquence, le ministre de la Santé de l’époque, Marcelo Navajas, est assigné à résidence. (Article publié dans El Pais, le 18 septembre 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

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