La gauche et les droits humains au Venezuela. Des relents staliniens bien connus

Daniel Ortega, Raúl Castro et Nicolás Maduro

Par Raúl Zibechi

L’ex-présidente du Chili (Michelle Bachelet) n’avait jamais été mise en cause par les gauches et les progressismes hégémoniques à cause de ses politiques envers le peuple Mapuche ou à cause de son alignement avec les entrepreneurs néolibéraux. Sous ses deux mandats présidentiels, elle l’a été, oui, par des rapporteurs sur les droits des droits des indiens et par des instances de l’ONU suite à l’application de la loi antiterroriste lors du conflit entre l’État chilien et la nation Mapuche.

A présent, des torrents de critique contre Bachelet de la part «d’intellectuels» camarades de route du progressisme, parce que, dans sa qualité de Haute Commissionnée des Nations Unies pour les Droits de l’Homme, elle dénonce avec des données crédibles et confirmées depuis le Venezuela, la violence systématique du régime qui commet, en moyenne, 400 assassinats extrajudiciaires par mois par l’intermédiaire des forces de sécurité de l’État (et des groupes informels soutenus par elles). Elle dénonce des tortures, des détentions arbitraires, des violences sexuelles et l’utilisation excessive de la force létale contre des manifestants opposés au régime.

Une bonne partie des critiques de l’ancienne présidente chilienne – pour laquelle je ne ressens la moindre sympathie politique – se sont tus quand les peuples étaient réprimés, mais maintenant ils courent, pressés, pour défendre un Etat et ses appareils répressifs. Ils le font pour des raisons géopolitiques, car dans leurs calculs mesquins, le Venezuela joue un rôle dans la lutte contre l’hégémonie américaine dans la région et dans le monde.

A proprement parler, ils ne démentent aucune des affirmations du rapport présenté par Bachelet, mais se bornent à discréditer la personne qui le signe. Si le fait de placer l’Etat avant et au-dessus des gens ordinaires organisés en mouvements est déjà grave en soi, dénigrer l’accusateur sans répondre aux accusations renvoie à une histoire bien connue des gauches du monde. C’est la politique de Joseph Staline, dont il s’est servi jusqu’à la paranoïa, contre ses adversaires politiques. Des milliers de communistes et des millions de soviétiques sont tombés entre ses mains, avec le silence complice de la grande majorité des communistes du reste du monde.

On dira que ceux qui font appel à l’éthique comme garante de la politique sont naïfs et incorrigibles, destinés à tomber sous les balles du réalisme des ennemis. Ceux qui disent cela oublient, cependant, que les meilleures traditions du camp rebelle, et quelques-unes de ses plus grandes créations, ont été dévorées par un pragmatisme mesquin et bas qui a transformé les forces du changement en forces d’oppression, qui ont discrédité toute tentative de faire du monde un lieu où il ferait mieux vivre.

Les désastres du stalinisme (de la révolution espagnole au Sentier lumineux, en passant par les crimes de Roque Dalton et de la commandante Ana Maria au Salvador) n’ont jamais été analysés en profondeur par les plumes mercenaires. Il y a toujours ceux qui défendent un violeur et un génocideur du nom de Daniel Ortega, avec toujours le prétexte de l’impérialisme et autres idioties.

Nous sommes face à un double tournant de l’histoire qui va changer le monde pour toujours. L’un, marqué par le conflit entre nations impérialistes (États-Unis, Chine, Russie) pour conquérir l’hégémonie mondiale. L’autre, traversé par les féministes et les peuples autochtones qui, par leur engagement anti-patriarcal et anticolonial, ouvrent des fissures profondes dans la domination.

On ne peut pas être avoir un pied de chaque côté. Ceux qui ont choisi le pouvoir d’Etat et l’action par en haut seront, soit relégués par les mouvements d’en bas, ou alors deviendront-ils, comme au Nicaragua et au Venezuela, leurs bourreaux. (Publié dans l’hebdomadaire uruguayen Brecha le 12 juillet 2019; traduction par R.N.)

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