Au moins 20 fonds de pension de salarié·e·s du secteur public ont investi dans des firmes qui profitent de la politique d’immigration de Trump, entre autres en Californie et à New York.
Des millions de dollars de l’argent des contribuables américains sont investis dans des opérateurs de prisons privées impliqués dans la détention de milliers de migrants à travers les Etats-Unis, selon une enquête.
Certains des investissements les plus importants, qui proviennent de fonds de pension pour les salarié·e·s du secteur public tels que les enseignants et les pompiers, proviennent d’Etats ayant des politiques de «sanctuaires» [protection contre les expulsions des migrant·e·s], comme New York, la Californie et l’Oregon.
A l’échelle nationale, au moins 20 fonds de pension ont investi dans Geo Group ou CoreCivic, les deux plus importants exploitants de prisons privées, selon une analyse du Guardian/Documented sur les dépôts enregistrés par la Securities and Exchange Commission (SEC) des Etats-Unis.
Ces investissements concernent des grandes structures comme le California Public Employees’ Retirement System (CalPers), qui gère 81 milliards de dollars en actions, jusqu’à des structures de taille plus modestes comme le New Mexico Educational Retirement Board, qui gère environ 2,3 milliards de dollars.
Les fonds de pension des salarié·e·s du secteur public à travers les Etats-Unis ont actuellement investi au moins 67 millions de dollars dans les deux firmes mentionnées Geo Group et CoreCivic, selon les comptes du premier trimestre de 2019, qui ne représentent probablement qu’une partie du montant total des fonds de pension du secteur public qui ont investi dans ces deux sociétés.
Les deux firmes sont devenues plus attrayantes pour les investisseurs depuis que Donald Trump est devenu président, stimulant des politiques d’immigration plus strictes. Les entreprises ont obtenu des contrats d’une valeur de centaines de millions de dollars de la part de l’Immigrations and Customs Enforcement (ICE) qui s’est adressée à des opérateurs privés, car cette agence a arrêté un nombre croissant d’immigrants.
«Une complicité inacceptable»
Bien que les avoirs déclarés auprès de la SEC ne représentent qu’une infime proportion des 3,8 billions de dollars investis dans les fonds publics de retraite, les défenseurs de l’immigration et certains législateurs affirment qu’ils ont un pouvoir symbolique et ont demandé que les fonds publics de retraite suivent l’exemple de certaines banques et désinvestissent.
La semaine dernière, il est apparu que l’une des plus grandes caisses de retraite du Canada s’était discrètement dessaisie des deux firmes après que le Guardian/Documented eut rapporté à la fin de l’année dernière que l’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada (OIRPC) détenait près de 8 millions de dollars US en actions dans Geo Group et CoreCivic.
Selon Daniel Altschuler, directeur de l’engagement civique et de la recherche chez Make the Road New York, un organisme de défense des droits des immigrants, le désinvestissement dans les exploitants de prisons privées a envoyé un message puissant.
«Prendre position envoie le message que la complicité avec des firmes qui profitent de la douleur des gens est inacceptable», a déclaré M. Altschuler. C’est un message que certaines grandes banques ont reçu, a-t-il ajouté. «Comme certaines villes et Etats désinvestissent ou envisagent de désinvestir, les banques sont au courant.»
En mars, JPMorgan Chase & Co a décidé de cesser de financer des sociétés pénitentiaires privées. Ils avaient auparavant souscrit des obligations et des crédits syndiqués pour Geo Group et CoreCivic.
Plus tôt, cette deuxième semaine de juillet, la Banque SunTrust a annoncé qu’elle cesserait de faire affaire avec l’industrie carcérale privée. Le mois dernier, la Bank of America a fait de même.
Le Miami Herald a rapporté que la banque avait accordé un prêt de 380 millions de dollars et une ligne de crédit de 75 millions de dollars à Caliburn, l’exploitant d’une installation en Floride où environ 2300 enfants migrants sont détenus. La banque a déclaré qu’elle avait décidé de cesser de faire affaire avec les opérateurs pénitentiaires, en partie à cause des «préoccupations de nos employés et des parties prenantes dans les communautés que nous servons», a déclaré un porte-parole de la Bank of America à CNN.
Les opérateurs de prisons privées connaissent un boom à l’époque de Trump
Vers la fin du second mandat de Barack Obama, le Ministère de la Justice (DoJ) a décidé de cesser d’avoir recours à des sociétés pénitentiaires privées pour loger les prisonniers américains et les immigrants détenus. L’action de Geo Group et celle de CoreCivic ont immédiatement chuté de plus de 30% chacune.
Mais peu de temps après son assermentation, Trump a mis fin à la politique du DoJ et les actions des deux sociétés ont lentement recommencé à grimper. Entre l’exercice 2015 et l’exercice 2018, alors que l’administration a commencé à intensifier sa répression contre les immigrants, la population quotidienne moyenne ciblée d’immigrants détenus a augmenté de 50%.
Depuis le 1er janvier 2017, Geo Group a remporté des contrats d’agence d’une valeur de plus de 390 millions de dollars, selon les données de USA Spending, l’outil de suivi des dépenses du gouvernement fédéral. CoreCivic a reçu plus de 228 millions de dollars au cours de la même période.
Les plus gros investissements de New York et de la Californie
Selon les données de la SEC, les investissements les plus importants dans les deux sociétés proviennent du New York Teachers Retirement System, qui a un investissement total de 9,5 millions de dollars, et de CalPers, qui a un investissement de 9,5 millions de dollars dans ces sociétés.
D’autres Etats qui ont des politiques favorables aux immigrants comme l’Oregon, le Nouveau-Mexique, le Colorado et l’Utah, ont des investissements dans les deux firmes.
Le conseil d’administration du Florida Retirement System de l’Etat de Floride a déclaré environ 3,8 millions de dollars au cours du premier trimestre de 2019. En réponse à des questions, John Kuczwanski, directeur de la communication du fonds, a déclaré qu’ils avaient investi plus de 16 millions de dollars dans les deux firmes, de manière active et passive.
Environ la moitié des 20 caisses de retraite ont répondu à une demande de commentaires sur leurs avoirs.
La plupart d’entre elles ont dit qu’elles avaient fait leurs investissements en suivant les indices créés par des sociétés de recherche financière comme Standard&Poors. Une partie des avoirs de certaines d’entre elles était gérée par des gestionnaires externes.
Certains fonds ont déclaré que les principes environnementaux, sociaux et de gouvernance d’entreprise (ESG) guidaient les investissements; plusieurs ont déclaré qu’ils n’avaient pas de lignes directrices ESG.
Dans un communiqué, le New York State Teachers’ Retirement System (NYSTRS) a déclaré que ses avoirs dans les deux sociétés sont «principalement détenus passivement dans des portefeuilles qui suivent un indice de marché large. NYSTRS est soucieuse d’équilibrer les obligations fiduciaires et les préoccupations environnementales, sociales et de gouvernance en matière de placement. S’il y a lieu, et au cas par cas, nous exprimons notre point de vue sur l’ESG par l’entremise de notre programme de vote par procuration. Par exemple, il y a eu récemment une proposition d’actionnaire de Geo Group demandant la publication d’un rapport annuel sur les droits de l’homme. NYSTRS a voté pour cette proposition.»
CalPers a répondu: «Le portefeuille d’actions mondiales de CalPers est composé de plus de 10’000 sociétés du monde entier et est géré en grande partie au moyen d’une stratégie de placement axée sur les indices. Pour plus d’informations sur les stratégies d’investissement de CalPers, voir la page de nos politiques… [et] nos principes de gouvernance et de durabilité de CalPers.»
Le fonds de retraite des employés du secteur public de l’Oregon a augmenté ses investissements de plus de 45% entre le premier trimestre de 2015 et le premier trimestre de 2019, passant d’environ 1,4 million à environ 2 millions de dollars. Quant au fonds de retraite de l’Etat de l’Arizona, son investissement a augmenté de 44%.
Meilleurs rendements
Certains fonds ont déclaré que la maximisation des rendements était leur priorité et non les préoccupations sociales.
«Nous ne sommes pas un investisseur social. Nous voulons obtenir le meilleur rendement tout en gérant les risques», a déclaré Beau Barnes, secrétaire exécutif adjoint et avocat général du Kentucky Teachers’ Retirement System.
Un représentant du Public School Employees’ Retirement System de Pennsylvanie a déclaré que le fonds n’a pas non plus de principes ESG et ne suit qu’une loi de l’Etat qui leur interdit d’investir dans des sociétés liées au Soudan et à l’Iran.
«Nos statuts interdisent généralement d’accorder la priorité aux considérations d’investissement social plutôt qu’à la maximisation des rendements à long terme ajustés en fonction du risque», a déclaré Matt Clark du South Dakota Investment Council.
Alors que Geo Group a maintenu une action relativement stable, celle de CoreCivic a passé d’environ 30 dollars à 19 dollars en trois ans. La croissance médiane de l’investissement au cours de l’administration Trump a été de 14%.
Ensemble, ces 20 fonds du secteur public gèrent plus de 319 milliards de dollars, dont seulement 0,02% est investi dans ces deux firmes privées.
Appels au désinvestissement
Certains fonds de pension publics se sont montrés réticents aux appels au désinvestissement.
Après une campagne âprement disputée menée par un groupe de militants appelé Educators for Migrant Justice, le California State Teachers’ Retirement System a cédé les avoirs du fonds de CoreCivic en novembre 2018 et de Geo Group, qui s’élevaient à environ 12 millions de dollars.
Aujourd’hui, les militants en faveur de ce désinvestissement se concentrent sur CalPers.
«Nous commençons à voir de l’intérêt chez les membres du conseil d’administration», a déclaré Emily Claire Goldman, fondatrice et directrice d’Educators for Migrant Justice, une initiative de transparence du ESG. Mme Goldman a expliqué que l’industrie des fonds de pension a commencé à utiliser de plus en plus des fonds de placement privés comme véhicule d’investissement. Ce qui, selon elle, «est une boîte noire complète».
CoreCivic et Geo Group affirment qu’ils suivent les lignes directrices du gouvernement en matière de pratiques de détention et passent régulièrement les inspections. «Les installations de Geo sont très bien cotées par des organismes d’évaluation indépendants… et fournissent des services de haute qualité dans des contextes sûrs, sécurisés et respectueux au plan humain», a déclaré la société dans un communiqué. (Article publié dans The Guardian, en date du 11 juillet 2019; traduction A l’Encontre)
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