Nicaragua. «La dictature accuse Oscar René Vargas, sans préciser le “crime”»

Par Octavio Enriquez

Le 23 novembre, quelque 24 heures après son arrestation, le Ministère public a inculpé le sociologue Oscar René Vargas, un intellectuel critique du régime de Daniel Ortega qui a été appréhendé alors qu’il rendait visite à sa sœur, dont l’état de santé est fragile, dans le quartier de Bolonia à Managua.

Les autorités n’ont pas précisé le délit, mais ont estimé que l’Etat était «victime ou offensé» par Vargas, qui, dans les années 1980, était conseiller à la Direction nationale du Front sandiniste de libération nationale (FSLN). Dans le cas de précédentes arrestations dans des circonstances similaires, les personnes arrêtées ont ensuite été accusées de «propagation de fausses nouvelles» ou de «conspiration visant à porter atteinte à l’intégrité nationale».

La procureure est Yubelca del Carmen Pérez Alvarado, qui a déposé l’acte d’accusation de quatre pages à 12h56 mercredi 23 novembre devant la juge Gloria María Saavedra Corrales, cheffe du Tribunal pénal du dixième district de Managua. L’affaire est enregistrée sous le numéro 025318-ORM4-2022-PN.

Oscar René Vargas était membre du FSLN dans les années 1960 et, en novembre 1967, il a sauvé Daniel Ortega dans le quartier Monseñor Lezcano de Managua, alors que ce dernier était sur le point d’être capturé. Un acte que le sociologue n’a jamais regretté comme il l’a confié au journaliste nicaraguayen Fabián Medina dans Infobae en 2019, alors qu’il était en exil.

Oscar René Vargas rentrera ensuite discrètement au Nicaragua, où il n’aura aucune activité publique, mais maintiendra un travail intellectuel intense, publiant ses articles critiques sur son blog et exposant ses analyses à divers médias indépendants, sur la crise du FSLN, d’Ortega et la crise sociale et politique qui frappe le Nicaragua.

Une juge et une procureure qui poursuivent des prisonniers politiques

Tant la procureure que la juge chargées la procédure contre Oscar René Vargas sont connues pour persécuter les prisonniers politiques. L’universitaire a été arrêté lors d’une opération menée par la Direction des opérations spéciales (DOEP), composée de policiers chargés des opérations contre le trafic de drogue et le terrorisme.

Le sociologue et économiste n’a pas résisté, selon des sources proches de sa famille. Il a été transféré vers une destination inconnue.

L’un des plus récents procès contre des prisonniers politiques, intenté par la juge Saavedra Corrales, concerne l’Eglise catholique, cible d’une persécution féroce de la part de la dictature. Ainsi, la juge a imposé 90 jours de détention pour «enquêter» sur les religieux et les laïcs qui accompagnaient Monseigneur Rolando Álvarez, évêque de Matagalpa, lorsqu’il a été emmené de force après une descente de la police contre la Curie, le 19 août 2022.

Yubelca del Carmen Pérez Alvarado fait partie du réseau de procureurs et de juges qui ont exécuté l’ordre politique d’Ortega de condamner les prisonniers politiques dans une escalade répressive déclenchée par le régime pour imposer un régime de terreur contre les citoyens. Il y a actuellement 219 prisonniers politiques dans le pays, détenus dans un système qui a été dénoncé pour avoir pratiqué la torture et effacé les garanties constitutionnelles.

Ces agents du système judiciaire commettraient le crime de prévarication et de torture, selon une enquête menée il y a plusieurs mois (12 février) par Confidencial. En effet, la procureure a été sanctionnée par les Etats-Unis en juillet dernier comme faisant partie des 23 agents du système judiciaire du régime Ortega qui sont caractérisés comme des bourreaux de prisonniers de conscience.

Le Cenidh demande sa libération: « Sa vie est en danger»!

En apprenant l’acte d’accusation publié sur le système électronique des tribunaux de Managua, le Centre nicaraguayen des droits de l’homme (Cenidh) a tenu le régime Ortega-Murillo pour responsable de ce qui pourrait arriver à l’intellectuel, âgé de 76 ans et porteur d’un pacemaker.

«Sa vie est en danger. Nous exigeons sa libération immédiate», a demandé la célèbre organisation. Elle a souligné qu’il est innocent et a ajouté que ses proches et son avocat ont pu lui faire passer de l’eau [l’aide apportée devrait encore être confirmée – réd.], mais qu’il a besoin de soins de santé spécialisés.

Répercussions internationales

L’arrestation de Vargas, auteur de 36 livres et co-auteur de 20 autres, a provoqué des réactions internationales. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) a qualifié cette détention d’arbitraire et a déclaré que les responsables de la prison, y compris celle d’El Chipote, ont nié le détenir. Le HCDH a affirmé que ce schéma est récurrent et peut être qualifié de «disparition forcée à court terme».

De son côté, l’Association latino-américaine de sociologie (ALAS) a également exprimé sa plus vive protestation et a souligné son travail dans une déclaration. «Son important travail d’analyse et de recherche s’est traduit, entre autres, par la publication de dizaines de livres et de centaines d’articles tant au Nicaragua qu’à l’étranger», a déclaré l’organisation.

Selon le site web du sociologue nicaraguayen, Oscar René Vargas est également économiste. Il a étudié, entre autres, à l’Université de Lausanne (Suisse) et à l’Institut universitaire d’études du développement (Genève). Il est titulaire d’un doctorat en économie politique de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM).

Dans l’un de ses derniers articles, Oscar René Vargas a analysé un document du Fonds monétaire international sur la situation au Nicaragua, article publié suite à une visite du FMI qui s’est déroulée entre le 7 et le 15 novembre.

L’organisation multilatérale a déclaré que l’économie se redresse et que ses perspectives sont favorables. «Malgré le fait que la dictature n’a pas d’accord formel avec le FMI, les mesures qu’elle va mettre en place en 2023 sont beaucoup plus sévères que celles recommandées par le FMI dans ses programmes d’ajustement structurel. La situation sera pire qu’aujourd’hui: plus de chômage, plus de d’émigration, une réduction du pouvoir d’achat, l’impossibilité de faire face au coût de panier alimentaire de base [1], la malnutrition, la faim et plus de mécontentement parmi les citoyens», a déclaré le sociologue. ( Confidencial, le 25 novembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Le 15 novembre, Oscar René Vargas, dans un article intitulé «Salaires, coût du panier alimentaire de base et faim» écrivait sur son blog: «Au début du mois de janvier 2022, le panier de la ménagère [panier des biens essentiels] coûtait 16 255,38 córdobas, en octobre 2022 il atteignait le prix de 18 636,44 córdobas. En d’autres termes, en dix mois, le panier des biens essentiels de 53 produits a augmenté de 2381,06 córdobas, soit une hausse de 14,64%. Entre 2017 et octobre 2022, le coût mensuel du panier des biens essentiels a augmenté de 5304,48 córdobas, ce qui équivaut à une augmentation de 39,78%.» Oscar René Vargas précisait: «L’évolution du coût du panier de base des produits alimentaires (23 biens) a été la suivante : 2017 : 8874.04, 2018 : 8972.57, 2019 : 9537.59, 2020 : 9681.56, 2021 : 11’096.45, octobre 2022 : 13’216,02 – 367 dollars (Fuente: Instituto Nacional de Información y Desarrollo-INIDE).» Il comparait l’évolution des prix du panier des biens essentiels au niveau des salaires minimums qui sont fixés par branche. Le salaire le plus bas actuel dans l’agriculture est fixé à 4723.95 ; dans le secteur manufacturier à 6351.88 ; dans le secteur du petit artisanat et du tourisme à 4977.07 ; le plus élevé, qu’il citait, dans le secteur des assurances, de la finance et de la construction situait à hauteur de 10’571.78 córdobas (294 dollars). Il soulignait que ces salaires minimums «nous disent que les travailleurs formels vivent dans la pauvreté laborieuse et l’insécurité alimentaire sans pouvoir acquérir les aliments nécessaires, ce qui indique une augmentation de la faim dans le pays, les gens ne sont pas en mesure de manger trois repas par jour». Les constats argumentés d’Oscar René Vargas impliquaient de facto une condamnation de la politique du régime d’Ortega-Murillo. Autrement dit, le fait flagrant que ce régime est une «offense» contre la très large majorité populaire du Nicaragua. Ce qui constitue un vrai crime. (Réd. A l’Encontre)

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