Editorial de Esquerda online
Jair Bolsonaro a nommé sept ministres directement militaires, à savoir: le général de la réserve Augusto Heleno, nommé au Bureau de la sécurité institutionnelle (GSI); un autre général de la réserve, Fernando de Azevedo e Silva, nommé au ministère de la Défense; le général Carlos Alberto Cruz, nommé pour le Secrétariat de gouvernement, un secrétariat peut obtenir le statut de ministère [il a commandé des «missions de paix» en Haïti entre 2007 et 2009; et dans République du Congo de 2013 à 2015];le lieutenant-colonel de la réserve de l’armée de l’air brésilienne (FAB), Marcos Pontes, désigné pour le ministère de la Science et de la Technologie; Bento Costa Lima, ministre des Mines et de l’Energie, amiral de la flotte; Floriano Peixoto Vieira Neto, secrétaire à la communication (Secom), général de la réserve; Maynard Marques de Santa Rosa (SAE), général de la réserve qui sera à la tête du PPI (Programa de Parcerias de Investimentos), créé en 2016, pour accroître les liens entre l’Etat et le secteur privé, avec un système de participations croisées qui doivent faciliter des privatisations ou des «dé-étatisation» plus accentuées. [Voir aussi l’article publié le 4 décembre 2018 sur ce site: «Les relations historiques des forces armées avec la politique nationale»]
Il y en a aussi d’autres qui proviennent des forces armées. Il y a aussi le fait que le président élu Bolsonaro est lui-même issu de l’armée – il est un capitaine (parachutiste durant un certain temps) à la retraite – et son vice-président, Hamilton Mourão, est également un général de réserve et ancien président du Clube Militar [une structure qui a, depuis fort longtemps, 1887, réunit le secteur des militaires qui «surveille» la «scène politique»]. Certes, de nombreux autres militaires occuperont des postes importants, non seulement au premier rang, mais également aux deuxième et troisième échelons du nouveau gouvernement.
La nomination de militaires à des postes clés du gouvernement fédéral, après la fin de la dictature militaire (1985), avait déjà commencé avec le gouvernement illégitime de Michel Temer (après août 2016). Par exemple, avec un général de réserve – Joaquim Silva e Luna – occupant pour la première fois le ministère de la Défense. Ce n’est pas par hasard que le gouvernement Temer a décrété l’intervention militaire dans la «sécurité publique» dans l’Etat de Rio de Janeiro [ce fut donc une décision du pouvoir fédéral, ce qui est exceptionnel depuis 1985].
Les représentants du gouvernement de transition, de la presse traditionnelle et des chefs militaires tentent eux-mêmes de relativiser cette situation en affirmant que la présence de généraux et d’autres officiers militaires au gouvernement ne signifie pas une implication directe des Forces armées dans l’administration de Jair Bolsonaro. Cependant, plus d’un siècle d’histoire démontre, sans équivoque, la vocation de faiseurs de coups d’Etat des sommets des forces armées, lorsqu’ils sont directement impliqués dans le pouvoir.
La dictature plus jamais
En 1964, finalement, après plusieurs assauts voués à l’échec, l’élite des forces armées réussit le coup d’Etat sanglant renversant le président João Goulart (PTB – Parti travailliste brésilien) avec le soutien du gouvernement états-unien.
Au début, le coup militaire de 1964 avait été exécuté avec la promesse de garantir de nouvelles élections directes [soit par les citoyens et non le législatif] dans un court délai, déjà en 1965 (calendrier électoral normal). Un mensonge très utile pour les militaires car il a permis de recueillir le soutien populaire pour son projet autoritaire et d’attirer les dirigeants politiques civils du côté du coup d’Etat.
Le caractère autoritaire et dictatorial du régime militaire s’intensifiera quatre ans plus tard. Confronté à un vaste processus démocratique de remise en cause des gouvernements militaires dont le point culminant sera la «marche des cent mille» en 1968 [dans la foulée de diverses grèves et luttes étudiantes, le 26 juin se déroula à Rio une manifestation massive réunissant étudiants, intellectuels, milieux populaires et ouvriers; le thème central: contre la répression dictatoriale], le régime va se durcir, entre autres avec la publication de la loi organique n° 5 (AI-5). Elle se substitue à la Constitution, met fin au régime parlementaire, les mandats des parlementaires sont annulés, le pouvoir se concentre sur la personne du président. Conjointement est approfondie la politique de persécutions, de tortures et de meurtres, entre autres horreurs. En décembre 2018, il y aura 50 ans que ces tristes événements ont marqué l’histoire du pays, alors qu’en janvier 2019 Jair Bolsonaro occupera son poste de président, lui qui valorise la période de la dictature.
L’armée a été officiellement au pouvoir jusqu’en 1985, soit plus de deux décennies d’une dictature servile [face aux Etats-Unis], corrompue, criminelle et meurtrière.
Le coup militaire de 1964 marque la consolidation définitive au sein des forces armées de l’idéologie dite de «sécurité nationale». C’est la doctrine qui a servi, jusqu’à aujourd’hui, à expliquer toute la politique de coups d’Etat que les forces armées ont exercée dans notre pays au cours des différentes périodes de notre histoire.
L’importance de l’unité d’action démocratique
La fin de la dictature militaire, formellement en 1985, la nouvelle Constitution de 1988 et la première élection présidentielle au suffrage direct de 1989 ont fini par marginaliser le sommet des forces armées des postes clés du gouvernement. [En novembre 1989 se déroule le premier tour de l’élection présidentielle au suffrage direct; Fernando Collor de Mello gagnera le second tour en décembre devant Lula; Collor prendra son mandat en mars 1989 et sera destitué pour corruption en décembre 1992. Itamar Franco prendra sa succession jusqu’aux élections de fin 1994, qui marqueront la victoire de Fernand Henrique Cardoso, président jusqu’au 1er janvier 2003, Lula lui succède alors.]
Mais son influence politique n’a jamais cessé d’être présente et ressentie, que ce soit pour la défense collective de ses intérêts ou principalement dans sa lutte afin d’empêcher toute action visant à réviser la loi d’amnistie [adoptée déjà en 1979!], qui exempte de punition tous les criminels qui ont commis des actes de terreur, mis en place des prisons illégales, torturé et assassiné, tout au long de la phase dictatoriale.
Malheureusement, plus de trois décennies après la fin de la dictature militaire, encore une fois, d’abord avec Michel Temer [qui occupe le poste présidentiel suite à la destitution de Dilma Rousseff en août 2016; il était candidat à la vice-présidence aux côtés de D. Rousseff lors des élections d’octobre 2014], puis et de manière accentuée avec Bolsonaro, nous avons assisté au retour au pouvoir d’une fraction des sommets des forces armées. En particulier l’armée de terre, la plus grande et la plus importante institution militaire du pays.
Dès lors sont en sérieux danger les libertés démocratiques et le régime démocratique lui-même, qui, malgré leurs limites évidentes, furent le résultat des luttes pour mettre fin à la dictature militaire depuis la fin des années 1970 et au début des années 1980.
Le grand test politique se concrétisera face à un possible grand mouvement de résistance populaire qui remet en question les mesures réactionnaires que le gouvernement Bolsonaro veut appliquer; qu’il s’agisse d’attaques brutales déjà entreprises [par M. Temer] contre les droits sociaux ou d’attaques directes contre les libertés démocratiques.
Une fois encore, comme à d’autres moments de notre histoire, la tâche des travailleurs et des travailleuses, des jeunes, de l’ensemble des exploité·e·s et des opprimé·e·s ainsi que des partis de gauche consistera à affronter avec une force organisationnelle et des mobilisations ces attaques du gouvernement d’extrême droite qui possède des traits marqués néofascistes.
Seul un front uni des salarié·e·s, des mouvements sociaux et de la gauche pourra faire face de manière décisive aux assauts qui vont intervenir. Ce mouvement doit y compris proposer une grande unité d’action démocratique, formée de tous les secteurs qui veulent lutter contre les atteintes à la démocratie de Bolsonaro et de son gouvernement d’extrême droite. En fait, nous traversons une période de résistance. (Editorial publié sur le site d’Esquerda Online, en date du 8 décembre 2018; traduction A l’Encontre)
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