Dossier Gaza. Selon de hauts responsables de l’ONU, «le monde doit agir de toute urgence pour sauver les Palestiniens de Gaza»

Khan Younès, 1er avril 2025. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

«Depuis plus d’un mois, aucun approvisionnement commercial ou aide humanitaire n’est entré à Gaza.

Plus de 2,1 millions de personnes sont à nouveau prises au piège, bombardées et affamées, tandis que, aux points de passage, les vivres, les médicaments, le carburant et les fournitures d’abris s’accumulent et que le matériel d’importance vitale est bloqué.

Plus de 1000 enfants auraient été tués ou blessés au cours de la seule première semaine qui a suivi la rupture du cessez-le-feu [18 mars, le cessez-le-feu avait été déclaré le 19 janvier], soit le nombre le plus élevé de décès d’enfants en une semaine à Gaza au cours de l’année écoulée.

Il y a quelques jours à peine, les 25 boulangeries soutenues par le Programme alimentaire mondial (PAM) pendant le cessez-le-feu ont dû fermer en raison de pénuries de farine et de gaz de cuisine.

Le système de santé – du moins celui encore partiellement opérationnel – est débordé. Les fournitures médicales et de traumatologie essentielles s’épuisent rapidement, menaçant d’inverser les progrès durement acquis pour maintenir le système de santé en état de fonctionnement.

Le dernier cessez-le-feu nous a permis d’accomplir en 60 jours ce que les bombes, les embuscades et les pillages nous ont empêchés de faire en 470 jours de guerre: acheminer des fournitures vitales dans presque toute la bande de Gaza.

Bien que cela ait offert un court répit, les affirmations selon lesquelles il y a maintenant assez de nourriture pour nourrir tous les Palestiniens de Gaza sont loin de la réalité sur le terrain, et les denrées se font extrêmement rares.

Nous assistons à des actes de guerre à Gaza qui témoignent d’un mépris total pour la vie humaine.

De nouveaux ordres de déplacement israéliens ont contraint des centaines de milliers de Palestiniens à fuir une fois de plus, sans aucun endroit sûr où aller.

Personne n’est en sécurité. Au moins 408 travailleurs humanitaires, dont plus de 280 de l’UNRWA, ont été tués depuis octobre 2023.

Alors que le blocus israélien de Gaza se durcit depuis maintenant deux mois, nous appelons les dirigeants du monde entier à agir – fermement, de toute urgence et résolument – pour garantir le respect des principes fondamentaux du droit international humanitaire.

Protéger les civils. Faciliter l’acheminement de l’aide. Libérer les otages. Renouveler le cessez-le-feu.» (7 avril 2025; traduction rédaction A l’Encontre)

Tom Fletcher, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, Catherine Russell, Directrice générale de l’UNICEF, Jorge Moreira da Silva, Directeur général de l’UNOPS, Philippe Lazzarini, Commissaire général de l’UNRWA, Cindy McCain, Directrice exécutive du PAM, Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’OMS, Amy Pope, Directrice générale de l’OIM

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Gaza. «L’armée prend pour cible tout le monde»

Des Palestiniens déplacés, qui fuient Rafah, arrivent à Khan Younès, le 23 mars 2025.

Par Ruwaida Amer et Ahmed Ahmed

L’armée israélienne frappe Gaza avec une intensité qui rappelle la phase la plus meurtrière de la guerre, déplaçant en masse les civils de Rafah et de la ville de Gaza.

Depuis qu’Israël a rompu le cessez-le-feu à Gaza le mois dernier [le 18 mars], les Palestiniens sont confrontés à des horreurs qui rappellent les premiers jours de l’attaque génocidaire d’Israël. Selon le ministère de la Santé de Gaza, l’armée israélienne a tué plus de 1300 personnes et en a blessé plus de 3000 au cours des trois dernières semaines, période pendant laquelle le nombre total de morts dans l’enclave a dépassé les 50 000.

Plus de 280 000 personnes ont été déplacées alors qu’Israël rassemble la population de Gaza dans des «zones humanitaires» de plus en plus réduites et qu’elle continue de bombarder. Près des deux tiers de l’ensemble du territoire de la bande de Gaza font désormais l’objet d’ordres de déplacement effectifs ou sont définis par l’armée comme des zones interdites, les opérations actuelles de l’armée se concentrant en particulier sur la ville de Gaza au nord et sur Rafah au sud.

Le blocus total imposé par Israël sur l’aide humanitaire est en vigueur depuis sixième semaine, la famine et la malnutrition menaçant d’affecter l’ensemble de la population de Gaza. Et tandis que les forces militaires israéliennes continuent de raser des quartiers entiers à l’aide de bulldozers et de robots avec charges explosives, elles exécutent de sang-froid des journalistes et du personnel médical.

Les écoles transformées en abris ont également été la cible d’attaques intenses ces derniers jours. Le 3 avril, Israël a bombardé l’école Dar Al-Arkam dans le quartier de Tuffah, au nord-est de la ville de Gaza, tuant au moins 31 personnes et en blessant 70 autres. Selon un porte-parole de la défense civile de Gaza, six personnes sont toujours portées disparues à la suite des frappes, dont une femme enceinte de neuf mois de jumeaux.

Quelques minutes plus tard, Israël a bombardé une autre école dans le même quartier, Fahd Al-Sabah, tuant trois personnes. Plus de la moitié des victimes des deux frappes étaient des enfants. (En réponse à la demande du site +972, un porte-parole de l’armée israélienne a affirmé que le Hamas utilisait les écoles comme «centre de commandement et de contrôle» – une allégation qu’elle fait régulièrement sans fournir de preuves).

Nasser Al-Shorfa vit à une centaine de mètres de l’école Dar Al-Arkam, et l’explosion l’a fait perdre l’équilibre. «Le sol a tremblé sous moi», a déclaré l’homme de 55 ans à +972, se souvenant du «bruit assourdissant» de l’explosion. «Toutes les vitres de notre maison se sont brisées, et les portes ont été cassées. Ma femme a cru que j’étais mort. Nous sommes encore terrifiés par l’explosion.»

La semaine dernière, l’armée israélienne a émis des ordres d’évacuation couvrant une grande partie de la ville de Gaza, y compris le quartier de Shuja’iyya, où vit Sameh Said, 25 ans. Le 3 avril à 1h30 du matin, Said a été réveillé après avoir été projeté à travers la pièce par la force du bombardement israélien de la zone. «Je ne savais pas si j’étais vivant ou mort jusqu’à ce que mon frère m’asperge le visage d’eau pour enlever la poussière», a-t-il déclaré à +972. «Le mur entier de notre maison a été détruit. L’armée israélienne a bombardé huit fois en quelques minutes.»

Said et ses proches ont essayé d’appeler des ambulances pour aider leurs voisins qui étaient coincés sous les décombres, mais aucune n’est arrivée sur place avant 6 heures du matin. Pendant ce temps, a déclaré Said, un robot piégé a explosé dans le quartier, tandis que des drones quadricoptères ont ouvert le feu sur toute personne se déplaçant.

Selon Emily Tripp, directrice du groupe de surveillance de la guerre aérienne Airwars [ONG britannique], l’intensité des attaques israéliennes depuis la reprise des bombardements «ne peut vraiment être comparée qu’aux premières semaines d’octobre 2023», période au cours de laquelle Airwars a documenté «des taux de dommages civils presque sans précédent».

Alors que l’organisation continue d’évaluer pleinement l’ampleur des dernières attaques d’Israël, Emily Tripp a ajouté: «Nos premières recherches montrent déjà que la première vague de frappes après le cessez-le-feu a été plus intense, plus étendue et a probablement tué plus de civils que même certains des jours les plus meurtriers de la guerre à ce stade.»

«Chaque nuit, c’est l’enfer»

A Rafah, la ville la plus au sud de Gaza, une vague de frappes aériennes israéliennes a accompagné l’annonce, la semaine dernière, que l’armée avait «encerclé» la ville pour créer un nouvel axe militaire, le «corridor de Morag», du nom d’une colonie juive qui se trouvait autrefois entre Rafah et Khan Younès. La bande de terre de 12 kilomètres qui traverse la bande de Gaza d’est en ouest comprend de vastes étendues de terres agricoles ainsi que des zones qu’Israël avait précédemment désignées comme «zone humanitaire» pour que les Palestiniens déplacés puissent y trouver refuge.

Selon le bureau des médias du gouvernement de Gaza, l’armée a détruit plus de 90% des quartiers résidentiels de Rafah (plus de 50 000 logements) au cours de la guerre et a rendu 22 des 24 puits d’eau de la ville inutilisables. Plus de 85% du réseau d’égouts de la ville a également été détruit et 320 kilomètres de rues ont été rasés.

«La grande majorité des habitants de Rafah ont été contraints de partir sous la menace des bombardements», a déclaré à +972 Ismail Al-Thuwabtah, un habitant de la ville. «Les violents bombardements et l’insécurité ont fait de la ville une zone sinistrée, dépourvue de services de base.»

Pourtant, certaines familles de Rafah refusent d’évacuer, invoquant l’absence de garanties qu’elles seront plus en sécurité à Al-Mawasi, où l’armée israélienne leur ordonne de fuir. «Je ne pouvais pas supporter les évacuations répétées, alors j’ai décidé de rester ici», explique Rami Ghossein, 40 ans, du quartier de Khirbet Al-Adas. «Il y a huit personnes dans la maison, dont certaines sont âgées et malades. Où les emmènerions-nous? Chaque nuit, c’est l’enfer à cause des bombardements incessants. Différents types d’obus et de missiles lourds secouent toute la région. Les Apaches [hélicoptères] et les F-16 tirent sur les maisons. Israël n’a pas de lignes rouges. Ils se fichent des civils. Je veux mourir chez moi; je ne veux pas partir et revenir pour la voir détruite ou occupée.»

«Nous sommes en train de perdre Rafah à cause de cette horrible opération terrestre», a déploré Ahmed Kassab, 28 ans, du quartier de Tel Al-Sultan, après s’être enfui à Al-Mawasi. «Nous vivons dans des conditions tragiques dans des tentes, sans eau ni nourriture, et le bruit des bombardements ne s’arrête pas un instant. Nos vies sont en danger. Nous demandons au monde de garder un œil sur Rafah et de la sauver.»

A Khan Younès également, Israël continue d’attaquer des habitations. Le 4 avril, l’armée a bombardé la maison de trois étages de la famille Al-Aqqad dans le quartier d’Al-Manara, tuant 25 personnes. Khaled Al-Aqqad, 30 ans, se trouvait dans une maison voisine lorsque la maison de ses proches a été touchée sans avertissement préalable. «A minuit, nous nous sommes réveillés au son d’un énorme missile qui explosait, secouant toute la zone», a-t-il déclaré à +972. «Nous avons couru dehors, à la recherche de nos enfants, en criant: “Y a-t-il des survivants?”»

Al-Aqqad a déclaré qu’il était difficile pour les médecins de sauver les personnes prises au piège sous les décombres. Une quinzaine de survivants ont finalement été transportés à l’hôpital européen pour y être soignés.

«Nous sommes des civils chez nous», a plaidé Al-Aqqad. «Nous ne voulons pas être déplacés vers des zones dangereuses. L’armée prend pour cible tout le monde sans exception. Nous voulons que le monde agisse et nous sauve, sinon ils nous tueront tous.» (Article publié par le site israélien-palestinien +972, le 7 avril 2025; traduction rédaction A l’Encontre)

Ruwaida Amer est une journaliste indépendante de Khan Younès. Ahmed Ahmed est le pseudonyme d’un journaliste de la ville de Gaza qui a demandé à rester anonyme par crainte de représailles.

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