Brésil-débat. Lula Libre! Quelle tactique dans cette conjoncture

Par Valério Arcary

Lula est un prisonnier politique. Sa liberté provisoire est la plus grande victoire politique démocratique depuis l’investiture de Bolsonaro [le 1er janvier 2019]. Même une liberté partielle mérite d’être célébrée. La présence de Lula aux manifestations ouvre la possibilité de mobilisations populaires à plus grande échelle. L’évolution de la situation dans ce domaine dépendra en grande partie de Lula lui-même.

La place qu’occupera Lula dans la lutte contre le gouvernement d’extrême droite est la plus grande inconnue de la conjoncture politique. Le rétablissement de ses pleins droits politiques est d’une immense importance, et il trouvera une résistance bourgeoise inflexible.

Lula doit être libéré de prison avec la décision du STF [il a été libéré], mais l’opération Lava Jato à son égard [1] a été seulement affaiblie, elle n’a pas été vaincue. L’annulation des deux procès déjà jugés à Curitiba [lieu de détention jusqu’à hier de Lula] dépend de l’approbation de l’Habeas Corpus lors du procès devant le Tribunal suprême fédéral, prévu pour la fin novembre. Et il n’y a aucune garantie de ce qui va se passer, car il y a sept autres affaires à juger devant la cour de Curitiba. La lutte politique pour la pleine liberté de Lula est encore loin d’être terminée.

Le rôle de Lula dans la résistance [face à Bolsonaro, son gouvernement et ses appuis] devient un facteur clé. Et cela renforce la nécessité d’une véritable tactique de front de gauche. Si Lula est prêt à parcourir le pays pour une campagne afin d’aider à construire des mobilisations contre Bolsonaro, toute la gauche doit être prête à y participer.

Il s’avère que la gauche brésilienne est très divisée, fragmentée en une vingtaine d’organisations et de courants qui sont structurés au sein des partis reconnus légalement, des formations qui disposent de degrés d’influence très différents.

Mais, en opérant une analyse serrée, on ne peut que conclure qu’il n’existe que trois tactiques proposées dans la conjoncture présente. Il y a ceux qui défendent la passivité, ceux qui défendent l’offensive permanente et ceux qui défendent le Front unique. Ces concepts ont une histoire et font référence au répertoire accumulé par la gauche marxiste internationale.

La passivité est associée à l’orientation du SPD, le parti de la social-démocratie allemande sous la direction de Kautsky. L’offensive permanente fut la position de Bela Kun, leader hongrois de la Troisième Internationale face la situation allemande, qui aboutit à la défaite de la révolution en 1923. La tactique du Front unique a été développée sous l’inspiration de Lénine et Trotsky.

Ceux qui prônent la passivité partent du principe que nous avons subi une défaite historique. Ils concluent que la situation est contre-révolutionnaire et qu’il faudra des années pour rétablir la capacité de combat, et que le plus grand danger est un autogoal, donc nous ne pouvons pas provoquer.

Ceux qui défendent l’offensive permanente partent du principe que la défaite a été essentiellement électorale, que les forces liées aux masses laborieuses sont intactes, que la situation est prérévolutionnaire et que l’on s’attend à un renversement plus ou moins imminent du gouvernement, et nous ne pouvons donc pas hésiter.

Enfin, nous sommes de ceux qui considèrent qu’il y a eu une grave défaite politique et sociale, de type stratégique, nous évaluons la situation comme réactionnaire, et nous faisons face à une période défensive, dans laquelle la résistance a besoin d’accumuler des forces pour avoir la capacité de contre-attaquer, et que nous ne pouvons pas hésiter [en termes de politique de front unique].

Il faut tenir compte du fait que le gouvernement maintient une offensive dévastatrice, qui jusqu’à maintenant n’a pu être bloquée. Parce qu’il est soutenu, en premier lieu, par l’ambassade des Etats-Unis, par le soutien de la grande majorité des capitalistes qui sont très excités par les paquets successifs de Paulo Guedes [ministre de l’Economie: privatisations, système des retraites, baisses d’impôts, etc.]; par les forces armées et la police; par la majorité réactionnaire au Congrès national; par la Cour fédérale suprême et par la majorité de la classe moyenne riche. Alors que dans la classe ouvrière et dans le peuple, le découragement et l’insécurité prévalent toujours, sinon la confusion.

Dans les mobilisations de ces derniers mois – actions d’avant-garde avec quelques milliers de militant·e·s «dévoués» – le thème «Fora Bolsonaro» [Dehors Bolsonaro] a reçu une large adhésion de la part des participant, comme une expression d’un Basta, ou d’un «Assez», et cette adhésion peut nourrir des illusions. Cela semble avoir eu des répercussions dans la mobilisation Rock in Rio, ce qui est très bien. Le Fora Bolsonaro comme mot d’ordre pour l’agitation, synonyme de Basta, d’Assez, est utile.

Mais l’adopter comme axe de la stratégie politique, c’est-à-dire comme un «A bas le gouvernement», implique de considérer que les conditions objectives et subjectives sont réunies pour tenter de renverser Bolsonaro, ici et maintenant. Et cela est précipité, pour le moins. Parce que ces conditions, malheureusement, n’existent pas encore. Consacrer toutes les forces engagées dans une campagne que nous ne pouvons pas gagner, parce que nous n’avons pas les forces nécessaires, ne peut que générer la démoralisation.

J’espère que la situation évoluera rapidement et qu’elle aboutira à une issue adéquate (Article écrit le 7 novembre au soir; envoyé par l’auteur; traduction rédaction A l’Encontre)

Valério Arcary anime le site Esquerda online, il est membre du courant Resistencia au sein du PSOL.

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[1] Campagne contre la corruption utilisée par Sergio Moro – alors juge, aujourd’hui ministre de la Justice nommé par Bolsonaro – pour abattre Lula et faire obstacle à sa candidature à l’élection présidentielle, candidature dont tous les sondages confirmaient une avance nette sur Bolsonaro. Le site The Intercept a publié de nombreux échanges entre les magistrats et Sergio Moro qui confirment l’organisation d’un «complot politique» anti-Lula. Ce dernier a toujours clamé son innocence et aucune «preuve matérielle» n’a été fournie pour prouver les accusations de corruption; une corruption certes fort répandue parmi les élus du Parti des travailleurs, comme parmi ceux d’autres formations politiques. (Rédaction)

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