L’expérience rwandaise est-elle transposable?

Par Colette Braeckman

Pour beaucoup de spécialistes du développement, le Rwanda représente un gage d’espoir: 23 ans après un génocide, Paul Kagame et le Front patriotique rwandais ont démontré qu’il était possible de transformer un pays déchiré, ruiné, en nation émergente. Qu’il n’était pas utopique d’affecter les résultats de la croissance (7 %) [1], l’amélioration de la santé, de l’éducation, des infrastructures [aide, décisif dans ce domaine, utilisée efficacement, ce qui est assez exceptionnel], des services.

Dans beaucoup de pays africains, entre autres au Congo voisin, d’aucuns rêvent à leur tour d’un leader visionnaire, attaché au développement de son pays et surtout menant une lutte implacable (et sans cesse renouvelée) contre la corruption.

Le succès du Rwanda est-il pour autant sans faille et est-il transposable ailleurs? La pérennité du succès économique est-elle définitivement acquise dans ce pays ambitieux, certes, mais où les ressources sont comptées et la population (trop nombreuse – près de 11 millions, superficie: 26’338 km2, 10 fois le Luxembourg) encore peu ou mal formée? Entre voir loin et voir trop grand, la marge demeure étroite.

Mais surtout, ayant réussi le pari de faire vivre ensemble tous les Rwandais, les victimes et les bourreaux, les exilés des années 1960 et les réfugiés de 1994 qui avaient fui vers les pays voisins, ayant assuré à tous une sécurité appréciée mais payée par un contrôle rigoureux, omniprésent, le Rwanda et son chef, s’ils veulent assurer la pérennité de leurs conquêtes, doivent encore, impérativement, réussir un autre pari: soulever peu à peu le couvercle de la casserole à pression, laisser échapper la vapeur afin d’éviter les risques d’explosion. Bref, démocratiser sans dérive, réussir un vrai pluralisme, donner une chance à l’alternance sans réveiller les démons de la revanche et de la haine, bannis depuis 23 ans.

L’avenir seul dira si le succès rwandais est transposable, mais il est d’ores et déjà certain que si les Congolais – par exemple – s’inspiraient de la détermination de leur voisin à lutter contre la corruption et à mettre de l’ordre dans leur pays, des ressources, autrement plus importantes que celles du Rwanda, pourraient assurer un rapide décollage. Quant au pouvoir fort, au leader aussi charismatique et visionnaire qu’il est implacable, est-il vraiment indispensable dans un Congo vaste, multiple, très politisé, habitué à la liberté d’expression et aux joutes contradictoires?

Gageons plutôt que ce qui unit les Congolais (et les manifestations de ces derniers jours le démontrent davantage encore), c’est le désir de voir respectée une Constitution qui, après avoir scellé la fin de la guerre en 2002, est toujours le gage du vivre ensemble.

Le ciment de ce pays aux 400 ethnies, c’est sa loi fondamentale et seul celui qui s’en prévaudra aura la légitimité et la force d’entreprendre l’indispensable redressement, non seulement de l’économie et de la répartition des richesses, mais aussi cette «révolution morale» qui s’impose et qu’au Rwanda, pour un temps en tout cas, l’austère et inflexible Kagame a réussi à incarner. (Publié dans Le Soir, 5 août 2017)

____

[1] Avec un secteur agricole, car le pays le reste encore, ayant un taux de productivité bas. Il est vrai que: 1° le guichet unique et la simplification de la procédure permet l’inscription d’une firme en deux jours, avec défiscalisation de l’Etat; 2° l’absence de salaire minimum implique que, dans le texte, une entreprise chinoise du textile «alloue» un salaire mensuel de 100 dollars, par rapport à 500 ou 600 en Chine. Derrière le taux de croissance de 7% se camouflent des données socio-économiques moins divulguées. (Réd. A l’Encontre)

*****

(AFP) Les Rwandais ont afflué aux urnes vendredi 5 août et attendaient désormais le résultat d’un scrutin présidentiel promis à Paul Kagame, l’homme qui dirige le «pays des mille collines» d’une main de fer depuis 1994. Visionnaire pour les uns, despote pour les autres, M. Kagame, 59 ans, brigue un troisième mandat de sept ans face à deux candidats passés quasiment inaperçus dans une campagne phagocytée par le Front patriotique rwandais (FPR), qui contrôle toutes les sphères de la société de ce petit pays de la région des Grands Lacs. La victoire de M. Kagame semble d’autant plus acquise qu’un référendum en décembre 2015 avait plébiscité – 98 % des voix – une modification de la Constitution, lui permettant de briguer un nouveau mandat de 7 ans.

Le chef de l’Etat, salué pour avoir mis un terme au génocide, a voté avec son épouse dans une école du centre de la capitale Kigali où la sécurité avait été renforcée, notamment à l’aide d’un portique de détection de métaux et d’un chien renifleur.

«Le FPR est partout»

Dans ce même bureau de vote, un entrepreneur de 54 ans a illustré le fossé séparant M. Kagame de ses deux concurrents, louant l’ancien rebelle avant d’avouer ne pas connaître Frank Habineza, leader du seul parti d’opposition toléré au Rwanda (le Parti démocratique vert) et Philippe Mpayimana, candidat indépendant.

«On nous a dit qu’on ne pouvait pas mettre nos drapeaux là où le FPR avait mis les siens, mais malheureusement le FPR a mis les siens partout!», a d’ailleurs déploré Frank Habineza, qui se voulait toutefois optimiste pour l’avenir: «C’est la première fois depuis 23 ans qu’un parti d’opposition se trouve sur les bulletins de vote.»

Selon Robert Mugabe (sic), un des rares journalistes rwandais ouvertement critiques, «il n’y a pas d’élection au Rwanda, juste un couronnement». (5 août 2017)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*