Algérie. La répression se déchaîne. Les étudiants la brave

Par Salima Tlemcani

Fidèles à leur rendez-vous avec la lutte pour le changement du système, les étudiants ont marché hier, mardi 8 octobre, au centre de la capitale, malgré l’imposant dispositif sécuritaire et les brutales rafles policières. Malmenés, violemment embarqués à bord des fourgons banalisés sous les cris de douleur et de colère, ils ont bravé la répression pour battre le pavé en ce 33e mardi de leur contestation.

Totalement assiégé par un imposant dispositif policier, le centre de la capitale a vécu hier des scènes qui ont failli tourner à l’émeute. En ce 33e mardi de contestation estudiantine pour le changement du système, la répression était au rendez-vous. Dès la matinée, de nombreuses interpellations ciblent les premiers étudiants regroupés à la place des Martyrs, d’où devait démarrer la marche.

En plus des contingents du dispositif antiémeute déployé tout autour de la place et le long des quartiers limitrophes, des agents en civil filtrent les passants et interpellent tout étudiant qui refuse d’évacuer les lieux. Les plus récalcitrants sont brutalement encadrés, puis emmenés de force et embarqués à bord des fourgons blancs stationnés à quelques mètres. Vers 10h30, un petit groupe d’étudiants arrivent à se former au niveau de la rue Bab Azzoun pour entamer la marche. De nombreux citoyens les rejoignent.

Subitement, de nombreux policiers surgissent des ruelles adjacentes. Citoyens et étudiants marchent ensemble sous les cris de «Makach el vote maa al issabate» (Pas de vote avec la bande), «Dawla madaniya machi askaria» (Etat civil et non militaire), «Talaba ghadiboun, linidham rafidoun» (Etudiants en colère, ils refusent le système), «Djazair horra democratiya» (Algérie, libre et démocratique). Des drapeaux et des banderoles sont hissés. Les policiers tentent de disperser les quelques dizaines de manifestants en sommant les automobilistes à passer au milieu.

A quelques mètres de l’Opéra, une colonne d’éléments antiémeute coupe le passage. Les cris de colère s’élèvent: «Ahna toulab machi irhab» (Nous sommes des étudiants et non pas des terroristes), «Silmiya silmiya !» (Pacifique, pacifique), «Makach al vote maa Bedoui et Bensalah!» (Pas de vote avec Bedoui et Bensalah). Des agents en civil surgissent et procèdent simultanément à l’arrestation de trois étudiants. Ces derniers résistent sous les cris de douleur. Ils tombent par terre, mais les policiers les prennent brutalement. La scène est choquante. Elle suscite la panique. La foule se disperse en courant dans tous les sens, provoquant de violentes bousculades.

Les pleurs, les sanglots et les crises d’hystérie durent plusieurs minutes avant que le quartier ne soit évacué. Les plus téméraires des manifestants se retrouvent à l’avenue Larbi Ben M’hidi, une rue commerçante où les magasins n’ont pas baissé rideau. Un immense drapeau est hissé très haut par un homme, d’une cinquantaine d’années, entouré par quelques dizaines d’étudiants téméraires qui scandent: «Makach el vote maa al issabate!» (Pas de vote avec la bande). Le groupe grossit au fur et à mesure qu’il longe l’avenue, bloquant totalement la circulation automobile.

De nombreux passants rejoignent la manifestation et, d’une seule voix, ils répètent sans arrêt: «Djazair horra démocratiya!» (Algérie libre et démocratique). Femmes, hommes, enfants, jeunes et moins jeunes marchent côte à côte pour réclamer le départ du système. Quelques pancartes sont brandies: «Système dégage», «Nous ne voulons pas de ceux qui ont tété la mamelle de Boutaflika», «Non au pouvoir des bandes», «Non au régime militaire», «Non à la répression», «Pour une Algérie forte et plurielle».

Les étudiants face à une féroce répression policière

Les étudiants tiennent le peloton de cette masse humaine qui avance vers la place Emir Abdelkader. A quelques dizaines de mètres, une haie de policiers leur fait barrage. Ils tentent de se frayer un chemin, mais la confrontation est violente. Certains sont piétinés, d’autres brutalement bousculés alors que bon nombre de personnes, y compris parmi les passants et les journalistes, sont pris par des agents en civil puis embarqués dans des fourgons blancs banalisés.

Dispersés brutalement, les étudiants ne désarment pas. Les nombreuses interpellations ne les empêchent pas de reprendre leurs forces et de s’installer sur les marches de la stèle de l’Emir Abdelkader, donnant libre cours à leurs cris de colère. Drapeaux en main, quelques pancartes et banderoles hissées haut, ils scandent des slogans hostiles au régime. Quelques policiers tentent de les déloger, mais les passants beaucoup plus nombreux s’en mêlent. La foule devient très dense.

Des renforts arrivent et les rafles suivent aux abords de la place Emir Abdelkader. «Pourquoi vous arrêtez les gens? Vous laissez Tliba s’enfuir et vous vous acharnez sur les étudiants. Laissez-les manifester», crie une dame à l’adresse d’un officier. La tension monte. Subitement un mouvement de foule provoque des violentes bousculades. Les cris de douleur résonnent fortement et donnent froid dans le dos. De nombreuses personnes sont par terre.

D’autres courent dans tous les sens, pensant échapper aux interpellations musclées. Non loin, des femmes en pleurs, des personnes âgées évanouies et des jeunes terrorisés par les brutalités policières. En quelques minutes, la place Emir Abdelkader est vidée.

Les magasins baissent leurs rideaux tandis que quelques groupuscules de manifestants courent vers les rues adjacentes, où bon nombre d’entre eux sont arrêtés et leurs téléphones confisqués. Vers 12h30, la grande artère Larbi Ben M’hidi est prise d’assaut par les éléments antiémeute, soutenus par des dizaines d’agents en civil. Un peu plus loin, à proximité de la Grande-Poste, les policiers ont fait le «ménage» de manière brutale.

Aucun rassemblement n’a pu avoir lieu en raison des arrestations dès le début de la matinée. Mais les étudiants de la Faculté centrale ont marqué leur journée en se regroupant durant plus d’une dizaine de minutes pour scander: «Toulab ghadiboun linidham rafidoun !» (Etudiants en colère, refusent le système), «Nahnou toulab machi irhab !» (Nous sommes des étudiants et non des terroristes), «Dawla madaniya machi askariya !» (Etat civil et non militaire).

En ce 33e mardi de la contestation estudiantine, la répression policière était féroce, mais n’a pas réussi à mettre en échec la détermination des étudiants. Ils se sont donné rendez-vous mardi prochain. (Article publié dans El Watan en date du 9 octobre 2019)

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