Israël-Palestine. «Un Palestinien libéré d’une prison israélienne décrit les coups, les abus sexuels et la torture qu’il a subis»

Amer Abu Halil. (Crédit: Alex Levac)Par Gideon Levy

Amer Abu Halil – un habitant de la Cisjordanie qui était actif au sein du Hamas et a été emprisonné sans procès – se souvient de la vie de tous les instants du temps de guerre qu’il a endurée dans la prison israélienne de Ketziot.

Il n’y a aucune ressemblance entre le jeune homme qui s’est assis avec nous cette semaine pendant des heures dans son jardin et la vidéo de sa sortie de prison la semaine dernière. Dans le clip, on voit le même jeune homme – barbu, négligé, pâle et décharné – à peine capable de marcher. Aujourd’hui, il est bien coiffé et porte une veste rouge avec un mouchoir à carreaux glissé dans sa poche. Pendant 192 jours, il a été contraint de porter les mêmes vêtements en prison, ce qui explique peut-être son extrême élégance.

Il n’y a pas non plus de ressemblance entre ce qu’il raconte dans une cascade de mots difficile à endiguer – des témoignages de plus en plus choquants, l’un après l’autre, accompagnés de dates, des exemplifications physiques et des noms – et ce que nous savions jusqu’à présent de ce qui se passe dans les centres de détention israéliens depuis le début de la guerre. Depuis sa libération, lundi 22 avril, il n’a pas dormi la nuit de peur d’être à nouveau arrêté. Et voir un chien dans la rue le terrifie.

Le témoignage d’Amer Abu Halil, originaire de la ville de Dura, près d’Hébron, qui était actif au sein du Hamas, sur ce qui se passe dans la prison de Ketziot dans le Néguev, est encore plus choquant que le récit sinistre rapporté dans cette publication il y a un mois, d’un autre prisonnier, Munther Amira, âgé de 53 ans, qui était incarcéré dans la prison d’Ofer [voir sur ce site la traduction, le 23 mars, de cet article ]. Amira a comparé sa prison à Guantanamo, Abu Halil appelle sa prison Abu Ghraib, évoquant l’installation tristement célèbre dans l’Irak de Saddam Hussein, utilisée ensuite par les Alliés après le renversement de Saddam.

Parmi les candidats aux sanctions états-uniennes, l’administration pénitentiaire israélienne devrait être la prochaine sur la liste. C’est apparemment le domaine où tous les instincts sadiques du ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, trouvent leur exutoire.

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Lors de notre visite au domicile d’Abu Halil à Dura cette semaine, nous étions accompagnés par une enquêteuse et un enquêteur de terrain de B’Tselem, l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme: respectivement Manal al-Ja’bari et Basel al-Adrah. Abu Halil, âgé de 30 ans, est marié à Bushra, 27 ans. Il est le père de Tawfiq, 8 mois, né alors qu’il était en prison. Abu Halil l’a rencontré pour la première fois la semaine dernière, bien qu’il lui soit encore difficile, d’un point de vue émotionnel, de tenir l’enfant dans ses bras.

Amer Abu Halil est diplômé en communication de l’Université Al-Qods à Abou Dis, dans l’agglomération de Jérusalem, où il était actif dans la branche Hamas de l’école. Il est un ancien porte-parole de la société palestinienne de communications téléphoniques Jawwal [qui opère en Cisjordanie et dans la bande de Gaza au sein du groupe Paltel].

Depuis sa première arrestation, en 2019, il a passé une période cumulée de 47 mois en prison israélienne, dont une grande partie en «détention administrative» – durant laquelle le détenu n’est pas jugé. L’Autorité palestinienne a également voulu le placer en détention à un moment donné, mais il ne s’est pas présenté à l’interrogatoire. Comme certains de ses frères, Amer est actif au sein du Hamas, mais il n’est pas un «haut responsable du Hamas», dit-il dans les quelques mots d’hébreu appris en prison.

Les frères: Umar, 35 ans, vit au Qatar; Imru, 27 ans, atteint d’un cancer, est incarcéré à la prison d’Ofer pour son activité au sein du Hamas et a passé sept ans en prison en Israël et 16 mois dans un centre carcéral palestinien. Amar, 23 ans, est assis avec nous en robe blanche et kaffiyeh – imam de la mosquée de Dura, il espère bientôt occuper la même fonction dans une mosquée de Caroline du Nord, où il aimerait immigrer. Depuis 2013, tous les frères – Amer, Amar, Imru et Umar – ne se sont pas retrouvés pour un repas de fête. Il y avait toujours quelqu’un en détention.

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Une fois, Amer Abu Halil a été convoqué à un interrogatoire par le service israélien de sécurité Shin Bet, à la suite d’un appel à son père: l’agent du Shin Bet lui a demandé: «Pourquoi n’as-tu pas prié à la mosquée ces derniers temps? Ton silence est suspect.» Amer répond à son interrogateur: «Quand je suis tranquille, vous me soupçonnez, et quand je ne suis pas tranquille, c’est pareil.» C’est ainsi qu’ils le «surveillent», comme on dit.

Il est entré et sorti des centres d’interrogatoire jusqu’au 4 décembre 2022, date à laquelle son domicile a été perquisitionné en pleine nuit. Il a alors de nouveau été arrêté et placé en détention administrative sans procès, pour une durée de quatre mois, qui a été prolongée à deux reprises, chaque fois pour quatre mois. Abu Halil devait être libéré en novembre 2023. Mais la guerre a éclaté et la situation à la prison a subi un changement radical. Les peines de tous les prisonniers du Hamas qui devaient être libérés – dont Amer Abu Halil – ont été automatiquement et fortement prolongées.

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Au cours de sa dernière peine, il a travaillé comme cuisinier dans l’aile du de la prison «réservée» au Hamas. Le jeudi précédant l’éclatement de la guerre, il a envisagé de préparer des falafels pour les 60 détenus de l’aile, mais il a décidé de les reporter au samedi. Le vendredi, il prononce le sermon de la prière de l’après-midi et parle d’espoir. Le samedi, il s’est réveillé à 6 heures du matin pour préparer les falafels. Mais les détenus n’étaient plus autorisés à préparer leur propre nourriture ou à prononcer des sermons. Peu après, le Canal 13 israélien a diffusé des images de camionnettes du Hamas traversant Sderot [ville du sud d’Israël voisine de Gaza], et un barrage de roquettes tirées depuis Gaza s’est abattu sur la zone de la prison, située au nord de Jérusalem, en Cisjordanie. Les prisonniers ont dit «Allahu akbar» – «Dieu est le plus grand» – en guise de bénédiction. Ils se sont cachés sous leur lit pour échapper aux roquettes; pendant un moment, ils ont cru qu’Israël avait été conquis.

Vers midi, les gardiens de la prison sont arrivés et ont saisi tous les téléviseurs, radios et téléphones portables qui avaient été introduits clandestinement. Le lendemain matin, ils n’ont pas ouvert les portes des cellules. Les entraves, les coups et les mauvais traitements ont commencé le 9 octobre. Le 15 octobre, des forces de sécurité importantes sont entrées dans la prison et ont confisqué tous les objets personnels qui se trouvaient dans les cellules, y compris les montres et même la bague qu’Abu Halil portait et qui avait appartenu à son défunt père. Cela a marqué le début de 192 jours pendant lesquels il n’a pas pu changer de vêtements. Sa cellule, qui devait accueillir cinq détenus, en comptait 20, puis 15 et, plus tard, 10. La plupart d’entre eux dormaient à même le sol.

Le 26 octobre, d’importantes forces de l’unité Keter [Unité de réponse rapide] de l’administration pénitentiaire, une unité d’intervention tactique, accompagnées de chiens, dont l’un était déchaîné, ont fait irruption dans la prison. Les gardiens et les chiens se sont déchaînés, attaquant les détenus dont les cris ont plongé toute la prison dans la terreur, se souvient Abu Halil. Les murs ont rapidement été couverts du sang des détenus. «Vous êtes le Hamas, vous êtes ISIS (Daech), vous avez violé, assassiné, enlevé et maintenant votre heure est venue», a déclaré un gardien aux prisonniers. Les coups qui ont suivi ont été brutaux, les détenus étaient enchaînés.

Les coups sont devenus quotidiens. De temps en temps, les gardiens demandaient aux prisonniers d’embrasser un drapeau israélien et de déclamer «Am Yisrael Chai», «Le peuple d’Israël vit». – «Le peuple d’Israël vit». Ils leur ordonnaient également de maudire le prophète Mahomet. L’appel habituel à la prière dans les cellules a été interdit. Les prisonniers avaient peur de prononcer un mot commençant par le son «h», de peur que les gardiens ne les soupçonnent d’avoir dit «Hamas».

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Le 29 octobre, l’approvisionnement en eau courante des cellules a été interrompu, sauf entre 14 heures et 15 heures 30. Chaque cellule n’avait droit qu’à une seule bouteille pour stocker de l’eau pendant toute une journée. Cette bouteille devait être partagée par 10 détenus, y compris pour les toilettes à l’intérieur de la cellule. Les portes des toilettes étaient arrachées par les gardiens; les détenus se couvraient d’une couverture lorsqu’ils se soulageaient. Pour éviter une odeur nauséabonde dans la cellule, ils ont essayé de se contenir jusqu’à ce que de l’eau soit disponible. Pendant l’heure et demie où il y avait de l’eau courante, les prisonniers accordaient cinq minutes dans les toilettes à chaque codétenu. Sans produits de nettoyage, ils ont nettoyé les toilettes et le sol avec le peu de shampoing qu’on leur a donné, à mains nues. Il n’y avait pas du tout d’électricité. Le déjeuner se composait d’un petit pot de yaourt, de deux petites saucisses à moitié cuites et de sept tranches de pain. Le soir, ils recevaient un petit bol de riz. Parfois, les gardiens livraient la nourriture en la jetant par terre.

Le 29 octobre, les détenus de la cellule d’Abu Halil ont demandé une serpillière pour laver le sol. La réponse à cette demande a été d’envoyer la terrifiante unité Keter dans leur cellule. Les gardiens ont ordonné: «Maintenant, vous serez comme des chiens.» Les mains des prisonniers ont été menottées dans le dos. Avant même d’être enchaînés, ils ont reçu l’ordre de ne se déplacer qu’avec le haut du corps penché en avant. Ils ont été conduits à la cuisine, où ils ont été déshabillés et forcés de s’allonger les uns sur les autres, formant une pile de dix prisonniers nus. Abu Halil était le dernier. Là, ils ont été frappés avec des matraques et on leur a craché dessus.

Un garde a ensuite commencé à enfoncer des carottes dans l’anus d’Abu Halil et d’autres prisonniers. Aujourd’hui, assis chez lui et racontant son histoire, Abu Halil baisse le regard et le flot de paroles se ralentit. Il est gêné d’en parler. Ensuite, poursuit-il, des chiens se sont penchés sur eux et les ont attaqués. Ils ont ensuite été autorisés à mettre leurs sous-vêtements avant d’être ramenés dans leur cellule, où ils ont trouvé leurs vêtements jetés en tas.

Le haut-parleur de la pièce ne s’est pas tu une seconde, avec des imprécations du chef du Hamas Yahya Sinouar ou une sonorisation au milieu de la nuit sur l’air de «Debout, bande de porcs» pour priver les prisonniers de sommeil. Les gardiens druzes les maudissaient et injuriaient en arabe. Ils ont subi des contrôles avec un détecteur de métaux alors qu’ils étaient nus, et l’appareil a également été utilisé pour leur donner des coups sur les testicules. Lors d’un contrôle de sécurité le 2 novembre, on leur a fait chanter «Am Yisrael am hazak» («Le peuple d’Israël est un peuple fort»), et une variation sur un même thème. Des chiens ont uriné sur leurs minces matelas, laissant une odeur épouvantable. Un prisonnier, Othman Assi, originaire de Salfit, dans le centre de la Cisjordanie, a plaidé pour un traitement plus doux: «Je suis handicapé.» Les gardiens lui ont répondu: «Ici, personne n’est handicapé», mais ils ont accepté de lui retirer ses menottes.

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Mais le pire est encore à venir. Le 5 novembre. C’était un dimanche après-midi, se souvient-il. L’administration a décidé de déplacer les prisonniers du Hamas du bloc 5 au bloc 6. Les détenus des cellules 10, 11 et 12 ont reçu l’ordre de sortir, les mains liées dans le dos et la posture habituelle: courbés. Cinq gardiens, dont Abu Halil donne les noms, les ont emmenés à la cuisine. Ils ont de nouveau été déshabillés. Cette fois, ils ont reçu des coups de pied dans les testicules. Les gardiens s’élançaient vers eux et leur donnaient des coups de pied, s’élançaient et leur donnaient des coups de pied, encore et encore. Une brutalité ininterrompue pendant 25 minutes. Les gardes proclamaient: «Nous sommes Bruce Lee.» Ils les ont secoués et poussés comme des ballons d’un coin à l’autre de la pièce, puis les ont déplacés vers leurs nouvelles cellules dans le bloc 6.

Les gardiens ont affirmé avoir entendu Abu Halil prononcer une prière au nom de Gaza. Dans la soirée, l’unité Keter est entrée dans sa cellule et a commencé à battre tout le monde, y compris Ibrahim al-Zir, 51 ans, de Bethléem, qui est toujours en prison. L’un de ses yeux a presque été arraché sous les coups. Les prisonniers ont ensuite été contraints de s’allonger sur le sol et les gardiens les ont piétinés. Abu Halil a perdu connaissance. Deux jours plus tard, une nouvelle série de coups lui a été assénée et il s’est à nouveau évanoui. Les gardiens lui ont dit: «C’est votre deuxième Nakba», en référence à la catastrophe vécue par les Palestiniens au moment de la création d’Israël. L’un des gardes a frappé Abu Halil à la tête avec un casque.

Entre le 15 et le 18 novembre, ils ont été battus trois fois par jour. Le 18 novembre, les gardes ont demandé lequel d’entre eux était du Hamas, mais personne n’a répondu. Les coups n’ont pas tardé à pleuvoir. Ensuite, on leur a demandé: «Qui est Bassam ici?» Là encore, personne n’a répondu, car aucun d’entre eux ne s’appelait Bassam – et l’unité Keter a de nouveau été appelée. Ils sont venus le soir même. Abu Halil raconte que cette fois-ci, il s’est évanoui de peur avant d’être battu.

A la même époque, Tair Abu Asab, un prisonnier de 38 ans, est mort à la prison de Ketziot. On soupçonne qu’il a été battu à mort par des gardiens parce qu’il refusait de baisser la tête comme on le lui ordonnait. Dix-neuf gardiens, soupçonnés d’avoir attaqué Abu Asab, ont été placés en détention pour interrogatoire. Ils ont tous été relâchés sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux.

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En réponse à notre demande de commentaire, un porte-parole de l’administration pénitentiaire a envoyé à Haaretz la déclaration suivante cette semaine:

«L’administration pénitentiaire est l’une des organisations de sécurité [d’Israël] et elle fonctionne conformément à la loi, sous le contrôle strict de nombreuses autorités de surveillance. Tous les prisonniers sont détenus conformément à la loi, avec une protection stricte de leurs droits fondamentaux et sous la supervision d’un personnel pénitentiaire professionnel et formé.

«Nous ne connaissons pas les affirmations décrites [dans votre article] et, à notre connaissance, elles ne sont pas correctes. Néanmoins, chaque prisonnier et détenu a le droit de se plaindre via les canaux prévus, et leurs réclamations seront examinées. L’organisation fonctionne selon une politique claire de tolérance zéro à l’égard de toute action qui viole les valeurs de l’administration pénitentiaire.

«En ce qui concerne le décès du prisonnier, vous devriez prendre contact avec l’unité d’enquête sur les agents pénitentiaires.» (Article publié dans Haaretz le 28 avril 2024, illustration par Alex Levac; traduction rédaction A l’Encontre)

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